« La crise des opioïdes illustre la dérive du capitalisme »
Le journaliste Patrick Radden Keefe du prestigieux New Yorker retrace dans L’empire de la douleur la sinistre saga des Sackler, honorables mécènes enrichis par l’OxyContin, un médicament antidouleur qui a suscité dépendance et overdoses pour des millions de personnes.
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La « crise des opioïdes », qui perdure aujourd’hui, a provoqué des centaines de milliers de morts par overdose depuis la mise sur le marché de l’OxyContin, puissant opiacé antidouleur qui a rendu dépendants des millions de patients aux États-Unis.
Journaliste au prestigieux New Yorker, déjà auteur d’une longue enquête sur le conflit en Irlande du Nord entre les communautés catholiques et protestantes-unionistes depuis la fin des années 1960 (1), Patrick Radden Keefe a travaillé des années durant sur l’ascension sociale fulgurante de la très riche et très discrète famille Sackler, propriétaire du laboratoire Purdue, qui a commercialisé l’OxyContin au mitan des années 1990.
Il reconstitue dans L'empire de la douleur la success story de ce clan qui, présent dans la liste du magazine Forbes des vingt familles les plus riches des États-Unis – avec une fortune estimée à quelque 14 milliards de dollars –, n’apparaît jamais comme partie prenante de l’industrie du « Big Pharma ».
Ses membres se présentent plutôt comme de simples mécènes de laboratoires de recherche biomédicale, de prestigieuses universités et d’hôpitaux, et surtout de centres d’art, qui mettent leur prospérité au service des plus grands musées du monde…
Ces « philanthropes », aujourd’hui poursuivis en justice par des milliers de victimes, se sont enrichis avec ce médicament en dissimulant son caractère addictif, le présentant comme un véritable miracle contre la douleur.
Les Sackler ont une attitude typique de tant d’ultra-riches aujourd’hui : dissimuler une activité hyper rémunératrice (et ses conséquences néfastes pour l’humanité) par des fondations, des dons, des financements dans des domaines comme l’art contemporain ou la recherche médicale.
Votre livre raconte comment la famille Sackler a massivement commercialisé l’OxyContin, un des opioïdes les plus consommés au monde. Elle doit, depuis quelques années, faire face à des procès en chaîne à cause d’une véritable hécatombe…
Patrick Radden Keefe : Absolument. On estime entre 50 000 et 75 000 par an, durant les années 1990, 2000 et 2010 aux États-Unis, les morts par surdose d’opioïdes de personnes devenues dépendantes après des prescriptions régulières.
La difficulté juridique qu’affrontent les défenseurs des victimes est qu’aujourd’hui la plupart de celles-ci ne décèdent pas ou plus par overdose d’OxyContin, mais d’autres opiacés, légaux ou non – notamment le Fentanyl.
Elles sont pourtant devenues dépendantes avec l’OxyContin, un opiacé de synthèse que le laboratoire Purdue a commercialisé en dissimulant qu’il provoquait une dépendance. Il est prescrit à des patients souffrant de douleurs chroniques, comme des tendinites ou des maux de dos.
Devenus dépendants, ceux-ci augmentent alors les doses et, souvent, passent à des substances comme l’héroïne, la codéine et surtout le Fentanyl. Cet autre opiacé de synthèse, très puissant et très addictif, est parfois prescrit, mais il fait surtout l’objet aux États-Unis d’un important trafic depuis le Mexique ou l’Asie.
Les personnes achètent un produit dont elles ne connaissent pas la composition et, lorsqu’il est trop dosé, elles meurent par surdose. C’est d’ailleurs un argument contre la prohibition, puisque, s’ils étaient contrôlés, ces produits seraient beaucoup moins dangereux…
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