Quand la police devient juge…

Le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (Lopmi) allonge la liste des délits sanctionnables par une amende forfaitaire. Et menace davantage nos droits fondamentaux.

Michel Soudais  • 15 novembre 2022
Partager :
Quand la police devient juge…
Une pancarte lors d'une manifestation contre la loi de sécurité globale, à Toulouse, en janvier 2021.
© Alain Pitton / NurPhoto via AFP

Nul n’étant censé ignorer la loi, lisez donc ce qui suit. Vos droits fondamentaux sont menacés. Le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (Lopmi), actuellement examiné en procédure accélérée à l’Assemblée nationale après un passage au Sénat, ne se contente pas de prévoir davantage de moyens matériels et financiers pour les troupes de Gérald Darmanin.

Ce texte comporte également des dispositions en matière pénale. Initialement, le gouvernement avait même souhaité généraliser l’amende forfaitaire délictuelle (AFD) « à tous les délits punis d’une seule peine d’amende ou d’un an d’emprisonnement au plus ». Cette généralisation aurait concerné 3 400 délits (!), selon le sénateur Loïc Hervé (Union centriste), corapporteur du texte.

« Aurait » car les sénateurs ont restreint l’application de l’AFD à une « liste positive » de vingt-quatre nouveaux délits. On pourrait s’en féliciter si certains d’entre eux ne visaient à réprimer davantage les mouvements sociaux en ciblant des modes d’actions syndicale, associative ou citoyenne.

L’AFD est une sanction pénale prononcée par un policier, un gendarme ou un agent public habilité qui constate un délit. Il n’y a pas de procès, mais l’infraction est inscrite au casier judiciaire. Cette procédure expéditive est « particulièrement inquiétante au regard du respect des droits des justiciables », alerte la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

À l’approche de la réforme des retraites, le gouvernement durcit son arsenal répressif comme jamais.

« Ce mode de traitement judiciaire n’est pas respectueux des principes fondamentaux de notre justice pénale », estime la Défenseure des droits, Claire Hédon, suivie en cela par les députés des groupes LFI, EELV et GDR. Disparaissent en effet la présomption d’innocence qui précède tout jugement, le droit au contradictoire, celui d’être défendu, ainsi que l’individualisation des peines.

Seraient désormais sanctionnables par AFD la filouterie, la violation des règles au chronotachygraphe, les délits relatifs à la réglementation de la profession d’exploitant de taxi, aux chiens d’attaque, ou l’entrée par force et en état d’ivresse dans une enceinte sportive lors d’un événement sportif, les destructions, détériorations et dégradations des biens du patrimoine ou appartenant à autrui…

Mais également des modes d’action militante : une amende de 300 euros, majorée à 600 euros, est prévue en cas de trouble ou entrave à la circulation des trains, de 500 à 1 000 euros pour les lycéens et les étudiants qui occuperont leur lieu d’études, et de 800 à 1 600 euros pour celles et ceux qui bloqueraient la circulation routière comme naguère les gilets jaunes et ces jours-ci les militants écologistes de Dernière Rénovation.

À l’approche de la réforme des retraites, le gouvernement durcit son arsenal répressif comme jamais.

Publié dans
Parti pris

L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.

Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Le bayrouisme est un lepénisme
François Bayrou 1 juillet 2025

Le bayrouisme est un lepénisme

Sous couvert de sagesse, François Bayrou orchestre une stratégie d’immobilisme utile – pour lui. En coulisses, un pacte tacite avec le Rassemblement national se dessine. Plus qu’un blocage politique : un système de survie mutuelle où chacun gagne du temps, sauf le pays.
Par Pierre Jacquemain
L’info publique, bientôt privée ?
Parti pris 30 juin 2025

L’info publique, bientôt privée ?

Avec la création d’une « holding » rassemblant les médias audiovisuels publics, avec à sa tête un « super patron », la réforme de Rachida Dati s’attaque à l’indépendance du service public de l’information et de la création, à l’heure d’une concentration accrue des médias, des ingérences étrangères et des fake news.
Par Pierre Jacquemain
Dialogue social piétiné, CFDT isolée, patronat triomphant
Parti pris 24 juin 2025

Dialogue social piétiné, CFDT isolée, patronat triomphant

La fumée noire s’est élevée lundi soir, concluant six mois de négociations sur les retraites par un échec retentissant. Un épilogue sans surprise tant les conditions du dialogue étaient faussées dès le départ. La faute à un patronat toujours plus radicalisé. Et à des syndicats incapables d’imposer un rapport de force.
Par Pierre Jequier-Zalc
La « rhinocérite », ou comment le pouvoir banalise l’inacceptable
Parti pris 20 juin 2025

La « rhinocérite », ou comment le pouvoir banalise l’inacceptable

En revenant sur une multitude de faits accumulés ces derniers mois, une logique se dégage : celle de l’abandon des principes fondamentaux de notre République, des droits humains, du droit international. Sans fracas, l’affreuse contagion gagne.
Par Catherine Tricot