« Zéro mort au travail » : Paris, ville pionnière

Le groupe communiste et citoyen a fait adopter au Conseil de Paris un texte qui s’attaque aux accidents professionnels. Objectif : faire de la capitale un modèle à suivre.

Pierre Jequier-Zalc  • 22 novembre 2022 abonné·es
« Zéro mort au travail » : Paris, ville pionnière
© Le 6 avril 2022 à Paris, rassemblement en hommage à Moussa Gassama, mort en nettoyant les vitres d’un centre social. (Photo : Cidjy Pierre / Hans Lucas via AFP.)

Le 18 mars dernier, Moussa Gassama nettoie les vitres du centre d’action sociale de la Ville de Paris. Il fait une chute mortelle. Deux mois plus tard, c’est M. Konaté qui meurt au fond d’une tranchée sur un chantier de rénovation de conduites de gaz à Odéon. Samir Bey, lui, décède fin juin en dépannant une voiture sur l’autoroute A4 près de la capitale.

Ces noms, ces histoires ne doivent pas spécialement vous parler. Et pour cause, elles n’ont été que peu traitées, ou façon fait divers, par des médias locaux. Pourtant, des détails (qui n’en sont pas) de ces accidents du travail montrent un caractère plus structurel du phénomène. Celui de conditions de travail dégradées et précaires qui vont à l’encontre de la sécurité des salariés.

Moussa Gassama était employé dans une société sous-traitante aux ordres d’une entreprise mandatée par le centre d’action sociale. M. Konaté, lui, était travailleur sans papiers, recruté par une agence d’intérim comme salarié temporaire sur un chantier sous-traité par GRDF à une entreprise privée.

Samir Bey travaillait quant à lui pour l’entreprise sous-traitante de la Ville de Paris en charge de l’acheminement de véhicules à la fourrière. Selon le groupe communiste et citoyen (GCC) au Conseil de Paris, cette entreprise a été condamnée trois fois depuis 2020 pour travail dissimulé et licenciement sans cause réelle et sérieuse.

© Politis
Le 6 avril 2022 à Paris, rassemblement en hommage à Moussa Gassama, mort en nettoyant les vitres d’un centre social. (Photo : Cidjy Pierre / Hans Lucas via AFP.)

Par-delà ces trois histoires, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Révélée par Politis, une note interne de l’inspection du travail Île-de-France souligne qu’avec au moins 38 morts entre janvier et août, 2022 a été la plus meurtrière des trois dernières années sur la même période dans la région.

Face à ce constat, le GCC a décidé de s’attaquer au problème en proposant une délibération au Conseil de Paris qui s’est déroulé entre le 15 et le 18 novembre. Son objectif affiché est limpide : mettre en place des « mesures concrètes » pour faire de Paris « une ville exemplaire sur la sécurité au travail et tendre vers un territoire zéro mort au travail ». « Parce qu’aucune femme et aucun homme ne doit perdre sa vie en essayant de la gagner », concluent les élus.

Limiter la sous-traitance ?

Pour parvenir à cet objectif, les mesures proposées dans un premier temps par le groupe communiste étaient très ambitieuses, car coercitives à l’égard des entreprises. La principale : mettre des dispositifs en place pour s’assurer que les marchés publics de la Ville de Paris soient réalisés avec le plus de sécurité possible pour les travailleurs.

Ainsi, le GCC suggérait d’encadrer la sous-traitance en cascade, ce phénomène par lequel la société qui remporte le marché public délègue tout ou partie du contrat à une entreprise qui elle-même sous-traite à une autre, et ainsi de suite. À chaque fois, l’entreprise qui délègue réalise une marge financière. Jusqu’en bout de chaîne, où l’entreprise qui doit réellement réaliser le marché est étranglée et se voit contrainte de rogner sur les coûts des conditions de travail et de sécurité des employés.

Ce texte n’est pas un exercice de radicalité pour la radicalité. Nous voulions rendre cette délibération adoptable.

Pour endiguer ce facteur accidentogène reconnu, le GCC proposait initialement de limiter la sous-traitance à deux niveaux ou à 20 % maximum du chiffre d’affaires de l’entreprise qui hérite du marché public. La majorité parisienne, à dominante socialiste et écologiste, est cependant venue retoucher cette ambition : c’était la condition pour qu’elle soutienne le texte et que celui-ci soit donc adopté.

« Ce texte n’est pas un exercice de radicalité pour la radicalité », souligne Barbara Gomes, conseillère communiste de Paris, pour justifier le compromis trouvé. « Nous voulions rendre cette délibération adoptable, car elle a vocation à améliorer concrètement les conditions de travail. »

Plus que sur le fond, c’est sur le cadre juridique dans laquelle elle s’intègre que cette délibération a fait l’objet de nombreuses tractations. « Les négociations étaient âpres, mais c’étaient plus des débats de juristes que des désaccords politiques », raconte l’élue communiste. La maire de Paris, Anne Hidalgo, a d’ailleurs soutenu le texte.

Privilégier les entreprises vertueuses

Ainsi, la limitation de la sous-traitance s’est transformée en un « travail de réflexion sur la possibilité de privilégier les entreprises s’engageant à limiter la sous-traitance à deux niveaux » dans la version adoptée en séance. Même chose pour la mesure qui proposait que la Ville de Paris prenne l’engagement de « ne plus contracter avec des entreprises qui ont été condamnées pour non-respect du droit du travail dans les cinq années précédant l’appel d’offres ».

Dans la version finale, cette radicalité a été adoucie. « La Ville portera une attention particulière vis-à-vis des entreprises qui ont été condamnées pour non-respect du droit du travail dans les trois à cinq ans selon l’état du droit positif en matière de délais de prescription. » Manière de rendre le texte plus en phase avec les jurisprudences européennes sur les marchés publics.

Mais, malgré ces retouches, le texte voté reste concret et ambitieux. Ainsi, dans la lignée de ce qui a été fait sur les chantiers des Jeux olympiques et paralympiques 2024, une charte sociale va être signée « par les représentant·es du personnel, la Ville et les entreprises qui opèrent sur le territoire parisien ».

Autres mesures fortes contenues dans cette résolution, l’instauration d’une « clause de droit social » qui « privilégie les entreprises socialement et écologiquement vertueuses » dans la conclusion des marchés publics. Cette clause offre aussi à la Ville « la possibilité de mettre en demeure et/ou de rompre le contrat en cas de manquement au droit social ou au droit pénal ».

Un observatoire des « personnes mortes au travail »

Enfin, les élus parisiens ont voté pour la création d’un « observatoire des personnes mortes au travail », afin de mieux prévenir et prendre en charge cette problématique. Celui-ci rassemblera les différentes institutions susceptibles de faire remonter des informations, que ce soit celles intervenant sur les lieux de l’accident (secours, police), l’inspection du travail, l’assurance-maladie, les partenaires sociaux ou les chercheurs.

Avec un objectif simple : rendre visible et documenter le « fait social » des accidents du travail et des maladies professionnelles, pour « permettre une meilleure adaptation des politiques publiques à l’échelle du territoire parisien ».

Ce texte met officiellement et explicitement la vie des travailleurs et des travailleuses au cœur des exigences de la Ville.

En plus de ces dispositifs précis, des engagements plus larges ont été pris, comme le renforcement de la prévention pour la sécurité au travail ou le rappel à l’État de l’importance de renforcer le contrôle des moyens de prévention déployés par les entreprises. Ou encore la volonté de la Ville de porter une vigilance accrue sur les délais accordés aux entreprises pour réaliser des chantiers et ainsi éviter des cadences infernales.

« Il faut vraiment se réjouir de ce texte, commente Barbara Gomes, après son adoption au Conseil de Paris, parce qu’il met officiellement et explicitement la vie des travailleurs et des travailleuses au cœur des exigences de la Ville. » Elle espère ainsi faire de Paris une ville pionnière sur le sujet, à la fois pour influencer d’autres communes et, pourquoi pas, pour peser sur des politiques nationales voire européennes. Car jusqu’à présent la France, avec plus de deux morts par jour au travail, reste en la matière l’un des pires pays européens.

Société Politique
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