« Habibi, les révolutions de l’amour » : 100 % queer

L’exposition met en lumière la communauté LGBTQIA+ du monde arabo-musulman à travers un bel ensemble d’œuvres éclectiques, au croisement de l’intime et du politique.

Jérôme Provençal  • 4 janvier 2023 abonné·es
« Habibi, les révolutions de l’amour » : 100 % queer
Aïcha Snoussi, « Sépulture aux noyé.e.s », 2021 (Béton cellulaire, bouteilles en verre, eau, papier, encres à base d’alcool et de laine noire calcinée, éléments organiques, 2,5m de haut et 3m15 de diamètre). (c)
© Aïcha Snoussi / galerie La La Lande. Photo : Marc Domage.

« Habibi, les révolutions de l’amour » / Institut du monde arabe / Paris, jusqu’au 19 février.

Depuis quelques années, participant d’un mouvement global de remise en question du modèle hétéro-patriarcal, les communautés LGBTQIA+ tendent à s’affirmer de plus en plus à travers la planète, mais leur situation demeure très fragile, sinon précaire. Au sein de l’espace arabo-musulman, où l’homosexualité est encore considérée dans certains pays comme un délit voire un crime (parfois passible de mort, comme en Iran), le chemin menant à une pleine acceptation sociale paraît ainsi bien long…

Face à l’obscurantisme, « Habibi, les révolutions de l’amour  » oppose un contre-feu salutaire en apportant un éclairage précieux sur la représentation des minorités sexuelles et de genre dans la création contemporaine de culture arabe.

Proposée par l’Institut du monde arabe (IMA), à Paris, l’exposition a été conçue par Élodie Bouffard, responsable des expositions à l’IMA, avec Khalid Abdel-Hadi, directeur éditorial de My.Kali (webzine jordanien bilingue arabe et anglais, dédié à la culture queer), et Nada Majdoub, commissaire associée.

Constellation hors-normes

Une vingtaine d’artistes qui appartiennent à la communauté LGBTQIA+ ou en sont très proches y figurent. D’une grande diversité au niveau des formes d’expression (peinture, photographie, vidéo, installation ou encore dessin), leurs œuvres jouent à plaisir avec les genres et les codes (occidentaux ou orientaux), le tout composant une très stimulante constellation hors normes.

Le regard est d’abord happé par les tableaux de l’artiste iranien Alireza Shojaian (installé en France depuis 2019), portraits d’hommes nus ou peu vêtus, empreints d’une grande douceur attentionnée, parfois teintés d’une légère féerie.

Alireza Shojaian
Alireza Shojaian, « Sous le ciel de Shiraz, Arthur » (2010)(Photo : DR).

Non loin se dresse la Sépulture aux noyé·es, de l’artiste tunisienne Aïcha Snoussi. Haute pyramide faite de bouteilles de verre contenant des papiers calligraphiés (des lettres d’amour jetées à la mer ?), cette structure majestueuse agglomère les vestiges d’une imaginaire civilisation queer de l’Antiquité qui aurait disparu au fond de la Méditerranée.


Aïcha Snoussi, « Sépulture aux noyé.e.s », 2021. (Photo : Marc Domage.)

Sur le versant le plus fictionnel de l’exposition émerge également Out of the Blue. Réalisé par l’artiste et poète français Tarek Lakhrissi, ce court-métrage vidéo – dans lequel apparaît notamment la danseuse et chorégraphe transgenre iranienne Sorour Darabi – nous projette vers un monde où tous les hommes blancs riches seraient enlevés par des extraterrestres. Un conte d’anticipation (psyché) délicieux, à la fois onirique et caustique, très chiadé, beau prototype de futurisme queer.

Tarek Lakhrissi, « Out of the Blue », 2019.

Dans un registre plus festif, un grand espace circulaire baptisé Ballroom invite par ailleurs à découvrir un florilège de pimpantes vidéos d’artistes évoluant dans la sphère musicale ou dans le domaine de la performance.

Omar Mismar, « The path of love » (2013-2014)(Photo : DR.)

Broderies subversives

La photo tient également une place importante dans le parcours. Tout en traduisant une vraie exigence formelle, certaines séries s’inscrivent plutôt dans la veine du témoignage documentaire – par exemple, la série au flou frémissant réalisée par le photographe syrien Fadi Elias aux côtés de personnes queer syriennes qui ont, comme lui, trouvé refuge en Allemagne.

Encore plus stylisées, d’autres séries pratiquent la mise en scène de soi et/ou des autres, comme les autoportraits décalés de l’artiste tunisienne Khookha McQueer – très active sur Instagram – et les chatoyants portraits de personnes trans ou travesties composés par l’artiste libanaise Chaza Charafeddine, ces derniers évoquant des versions assez peu catholiques d’enluminures religieuses.

Chaza Charafeddine
Chaza Charafeddine, « L’Ange gardien II, divine comedy series » (2010)(Photo : DR.)

Parmi les œuvres les plus inclassables, avouons un coup de cœur pour les broderies subversives conçues par l’artiste marocain Sido Lansari. Présentées dans de petits cadres dorés à l’ancienne, elles arborent sur un fond blanc virginal des motifs fleuris et des phrases telles que : « c’est bien ici la partouze ? », « je cherche un CDI (et un plan Q régulier) », « barbu bouffeur de cul », « mary poppers » ou encore – une dernière pour la bonne bouche – « Un caca, une maman/On veut du porno allemand ».

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Exposition
Temps de lecture : 5 minutes