Halte au débat

Ça fait quarante ans qu’il se trouve, chez nous la gauche, des gens pour entretenir d’interminables discussions autour de tout ce qui devrait depuis longtemps être acquis.

Sébastien Fontenelle  • 8 février 2023
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Halte au débat
© Unsplash

Je viens de tomber, chez les camarades de Mediapart, sur un débat entre deux député·es de gauche (Charles Fournier, d’Europe Écologie-Les Verts, et Sylvie Ferrer, de La France insoumise), autour du thème : « Faut-il restreindre la pratique de la chasse ? »

Ça m’a étonné (et un peu consterné), parce que je pensais (ou j’imaginais) que, chez nous la gauche, ce débat était définitivement tranché, et qu’il ne restait plus personne pour défendre l’activité, très sérieusement qualifiée de « sportive » par certain·es de ses pratiquant·es (1), consistant à tuer des animaux, non humains certes, mais tous doués de sentience – laquelle est « pour un être vivant », et d’après le Larousse, où ce mot a (enfin) fait son entrée en 2020, la « capacité à ressentir les émotions, la douleur, le bien-être, etc., et à percevoir de façon subjective son environnement et ses expériences de vie ».

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Très majoritairement masculins.

Pour le dire autrement – et sans même parler des homicides qui nous sont régulièrement (et, là aussi, très sérieusement) présentés comme des « accidents de chasse » : je pensais (ou j’imaginais) que nous étions tou·tes d’accord pour considérer qu’il fallait en finir avec cette pratique, et que sa restriction n’était qu’un moyen de la perpétuer. Puis je me suis rappelé que ça fait quarante ans que ça dure : quarante ans qu’il se trouve, chez nous la gauche, des gens pour entretenir d’interminables débats autour de tout ce qui, chez nous, devrait depuis longtemps être complètement acquis. 

Question : n’est-ce pas aussi parce qu’elle a trop renoncé à ce qui devrait la structurer que cette gauche perd tant ?

L’anticapitalisme ? D’accord, mais tation quamême à ne pas pousser trop loin le bouchon de l’intransigeance bolchevique : ne devrions-nous pas plutôt l’aménager, et considérer que les marchés peuvent être nos amis, dès lors qu’ils plantent des arbres et nous reversent, de (très) loin en (très) loin, quelques infinitésimales fractions des milliards de milliards dont nous les gavons ?

L’antifascisme ? D’accord, c’est important – mais pourquoi ne pas en débattre sur le plateau de ce si populaire histrion d’extrême droite ? L’antiracisme ? Oui da – cela va de soi. Mais tout de même : sommes-nous bien sûrs que trop d’immigration ne tue pas l’immigration, et que les musulmans sont bien complètement solubles dans la République fraaançaiiise que nous envie le monde entier ?

L’antisexisme ? D’accord encore – qui donc oserait aller là-contre ? –, mais ne va-ce pas parfois trop loin, et ne faudrait-il pas que Madame Coffin revienne à plus de tempérance ? Puis l’antispécisme, donc : pourquoi pas, mais franchement, tu te vois te nourrir de panais farcis au quinoa ?

L’époque est dure – c’est peu de le dire – et nous incite évidemment à rabattre nos exigences : en ces temps d’extrême-droitisation générale où la gauche est si désespérément à la peine, nous sommes bien sûr tenté·es, parfois, de nous accommoder de ses plus tiédasses succédanés.

Mais, question : n’est-ce pas aussi parce qu’elle a trop renoncé à ce qui devrait la structurer – et parce qu’elle en est encore à remettre cent fois sur son dévidoir à débat des évidences dont elle ne devrait plus jamais avoir à débattre – que cette gauche perd tant ?

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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