La ZAD, nouvelle peur des droites

À longueur de plateaux télé, droite et extrême droite agitent le champ lexical de la ZAD comme un chiffon rouge. Pour Politis, Sylvaine Bulle, sociologue spécialiste des ZAD, revient sur ce qu’elles sont et pourquoi elles font si peur.

Nadia Sweeny  • 22 février 2023
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La ZAD, nouvelle peur des droites
Manifestation près de Toulouse, au moment de l'ouverture de la COP26, en novembre 2021.
© Alain Pitton / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Les débats à l’Assemblée nationale autour de la réforme des retraites amènent les politiques à s’invectiver. Pour se qualifier, ils utilisent des thématiques stratégiques. C’est le cas de la « ZAD » (zone à défendre). Jordan Bardella, président du Rassemblement national, ne cesse de dénoncer, de concert avec les élus Renaissance, une « zadisation » de l’Assemblée nationale.

Cela semble décrire une sorte de bazar imputé à la gauche, une « bordélisation » selon les termes du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Ce terme a aussi été utilisé comme synonyme de « sale » et « désorganisé » par les opposants à la maire de Paris, Anne Hidalgo. La capitale étant devenue « une ZAD » à leurs yeux. La ZAD porte ainsi l’image d’une remise en question de l’ordre établi qui dérange fondamentalement droite et extrême droite.

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Irréductibles Sylvaine Bulle livre

Le stigmate est ainsi repris par Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe Ecologie Les Verts , qui assume de vouloir faire de l’Assemblée nationale « une ZAD démocratique ». Mais qu’est-ce qu’une ZAD ? Que recouvre-t-elle dans l’imaginaire politique d’aujourd’hui ?

Nous avons questionné sur le sujet Sylvaine Bulle, sociologue (LAP-CNRS-EHESS), spécialiste des mouvements écologiques et de la conflictualité politique, autrice de Irréductibles, enquête sur des milieux de vie de Bure à N.-D.-des-Landes. (1).

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Université Grenoble Alpes Editions , coll. Ecotopiques, 2020

Qu’est-ce qu’une ZAD ?

Sylvaine Bulle : Une ZAD – zone à défendre – est une forme d’engagement qui utilise un prétexte – une cause environnementale, la lutte contre un grand projet d’aménagement – pour mettre en place un projet autogéré, écologique et de transformation sociale et politiques. Les ZAD sont avant tout des zones d’expérimentation. Les thématiques centrales sont anticapitalistes avec le refus du système marchand, la solidarité aux personnes vulnérables mais aussi l’autogestion et l’autogouvernement en dehors des règles établies.

Cela dit, une ZAD n’est pas limitée à un objectif de lutte écolo contre un projet écocidaire. Par exemple, le projet originel de Notre-Dame-des-Landes avait une visée bien plus large que la seule lutte contre le projet d’aéroport. Entre 2009 et 2012, cette ZAD était formée d’anarchistes, de libertaires, d’écologistes décroissants et de mouvances autonomistes qui ont, certes, fédéré autour d’eux des riverains ou des paysans, mais dans un objectif d’autonomie politique. Or la presse a surtout décrit la ZAD de Notre-Dame-des-Landes comme liée à la mobilisation contre le projet d’aéroport. Ça a détérioré l’idée initiale de ZAD.

Une ZAD est-elle une zone sans règle ?

Une ZAD est tout sauf l’absence de loi et de règle. Les ZAD sont un agrégat de libertaires, d’autonomes, d’écologistes et d’anticapitalistes : des mondes autocontraints, dans lesquels il y a des règles qui fixent tous les aspects de la cohabitation. Sur les principes de solidarité, de monétisation, d’autogestion, de circulation de l’argent, des techniques agricoles : quelles pratiques collectives sont possibles ? Des règles sont très clairement établies. Et le point le plus sophistiqué concerne la prise de décision : le fonctionnement de comités, etc.

Que veulent donc dire droite et extrême droite quand ils parlent de « zadisation » ?

Ils veulent décrédibiliser ces formes d’engagement politiques, écologiques et sociales. Lorsque Marine Le Pen ou Jordan Bardella parlent d’une zadisation de l’Assemblée nationale, ils cherchent à dégrader ce terme pour diffuser une idée de chaos qui n’est pas le propre de la ZAD. Ce qu’ils regardent, c’est exclusivement la vision d’une opposition aux forces de l’ordre.

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Lorsque Gérald Darmanin évoque une zadisation et va même jusqu’à parler d’écoterrorisme pour désigner la lutte contre les mégabassines, il utilise le même processus que Marine le Pen en prétendant qu’au fond, c’est une confrontation quasi armée avec les forces de l’ordre, alors que la confrontation ne concerne que des épisodes très ponctuels. La dimension écologique et commune de la ZAD est gommée au profit de la seule dimension sécuritaire.

Mais la ZAD s’oppose-t-elle à l’État ?

La ZAD ne s’oppose pas à l’État par simple antiétatisme mais pour construire autre chose. Là où beaucoup se trompent, c’est qu’une ZAD n’est pas anti-institutionnelle. Du point de vue de la ZAD, il y a les bonnes institutions, porteuses d’égalités et de fraternité et celles, mauvaises, productrices de répression ou d’inégalités.

La ZAD veut se mettre à distance des institutions d’état répressives, notamment la police et la justice. Mais une ZAD a des institutions sociales, de soin, de fraternité etc. Dans l’imaginaire de Marine Le Pen, en réalité, c’est l’opposition entre son autoritarisme et l’anti-autoritarisme auquel correspond une partie de la ZAD. La vision de Le Pen repose sur l’armée, la souveraineté et l’unité nationale alors que la ZAD n’a ni souveraineté, ni unité.

La vision de Le Pen repose sur l’armée, la souveraineté et l’unité nationale alors que la ZAD n’a ni souveraineté, ni unité.

Paradoxalement, on voit aussi se développer la thématique de ZAD dans l’écologie d’extrême droite. L’idée est d’encapsuler des paysans ou des occupants enracinés, porteurs d’un idéal de pureté des terroirs et de survivalisme. Marine Le Pen pourrait se trouver en difficulté face à cela : car lorsque ceux-ci viendront revendiquer l’existence de ZAD, elle se trouvera face à une sémantique qu’elle a elle-même cherché à détourner.

Marine Tondelier a, elle aussi, parlé de « ZAD à l’Assemblée »…

A gauche, il y a aussi des confusions, mais moins gênantes. A Notre-Dame-des-Landes, c’est le milieu autonome, libertaire, anticapitaliste et antifasciste qui a tenu la ZAD jusqu’en 2018. Ils n’étaient pas pro-gauche ou proche des partis écologistes. Ils se voyaient comme extérieurs au système.

D’ailleurs le terme « zadiste » n’était pas employé sur place. Ils voulaient construire autre chose : ce qui n’arrangeait pas les partis de gauche qui eux, renvoient la ZAD à une vision utopiste, c’est-à-dire à une simple alternative compatible avec une écologie décroissante et de transition, qui leur convient mieux.

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Depuis, les premiers sont partis et la ZAD de Notre-Dame des Landes s’est transformée : désormais les occupants ont accepté une quasi-régularisation de leur situation, travaillent plus avec les organismes publics. EELV se reconnaît dans cette logique d’avantage alternative qu’autonome. Marine Tondelier voit également la ZAD comme une vitrine des luttes écologiques avec des enjeux de justices sociales ou féministes.

Pourquoi ce terme de « zadisation » s’impose-t-il dans le vocable politique ?

Parce que les luttes environnementales percolent désormais à travers la forme « ZAD ».  Dès qu’on a un début de contestation, on voit arriver des individus parfaitement formés politiquement qui ne viennent pas seulement pour contester mais aussi pour amener leur projet de transformation sociale. Désormais, on lie lutte écolo et désir d’autonomie politique. Un projet à contester est l’occasion de montrer qu’on peut vivre autrement, construire quelque chose d’autre.

C’est ce qui gêne la droite et l’extrême droite : être confronté à ce type d’expériences efficaces et qui peuvent se propager.

La ZAD initiale de NDDL était plus proche de la transcription de l’effondrement du monde, voulant mettre l’accent sur les limites planétaires et les systèmes politico-économiques qui engendrent cette fin des ressources. Elle était sans doute d’avantage une façon de transcrire un autre projet dans le présent, hors du système.

La ZAD actuelle se rapproche de l’imaginaire porté par EELV : créer des scénarios d’un autre monde possible, dans le futur. C’est ce qui gêne la droite et l’extrême droite : être confronté à ce type d’expériences efficaces – elles accumulent les victoires face aux projets dénoncés – et qui peuvent se propager.

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Société
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