« Je défends une sobriété joyeuse et émancipatrice »
L’ingénieur et essayiste Vincent Liegey publie, avec la journaliste Isabelle Brokman, « Sobriété (la vraie) », un guide d’alternatives pour un mode de vie pesant moins sur la planète. Il rappelle le véritable projet qu’il sous-tend : une société de la décroissance.
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Né en 1979 à Besançon, Vincent Liegey a une formation d’ingénieur. Après plusieurs années à la tête de la sécurité ferroviaire de la gare d’Austerlitz, à Paris, il s’installe à Budapest en 2011. Pendant quatre ans, il travaille comme responsable du débat d’idées à l’ambassade de France. En 2015, il fonde avec quatre amis Cargonomia, un projet de livraison de nourriture en vélo cargo, véritable espace d’expérimentation de la décroissance.
On entend surtout parler de sobriété depuis la hausse du prix de l’énergie, dans le contexte de la guerre en Ukraine. Mais d’où vient cette notion historiquement ?
Vincent Liegey : La majorité des civilisations humaines ont vite compris que le bonheur et la liberté ne peuvent se construire que si l’on est capable de faire preuve de tempérance, de s’auto-instituer des limites. L’exception, c’est notre société occidentale, qui a oublié cette précondition, notamment depuis la révolution industrielle, qui a conduit à l’utilisation des énergies fossiles.
En l’espace de cent cinquante ans, plusieurs générations ont eu accès à une quantité d’énergie monstrueuse et ont pu façonner nos environnements, imposer par la violence notre modèle de société. Une société de surabondance, frustrée, construite autour du consumérisme, de la publicité et de la croissance.
Depuis plusieurs années, nous avons vécu des chocs qui sont à la fois des accélérateurs et des révélateurs. La pandémie de covid a mis en évidence les défaillances d’un système où les chaînes de fabrication et d’approvisionnement font le tour du monde. Il suffit d’un grain de sable dans l’engrenage pour se rendre compte qu’on n’est plus capable de fabriquer des médicaments de base en Europe, par exemple.
C'est par la contrainte que nous sommes revenus à la notion de sobriété, sous forme d’austérité imposée pour les plus pauvres.
De la même manière, la guerre en Ukraine a été un accélérateur et un révélateur de phénomènes déjà en cours : la fin du pétrole et du gaz peu chers et faciles d’accès. Nous avons pris conscience que nos économies étaient totalement dépendantes de ces ressources que nous ne possédons pas dans l’Union européenne. Finalement, c’est par la contrainte que nous sommes revenus à la notion de sobriété, sous forme d’austérité imposée pour les plus pauvres. De mon côté, je défends une vision de la sobriété joyeuse et émancipatrice.
La définition de la sobriété est très liée à celle de la décroissance. La première notion est employée jusque dans le discours du gouvernement, mais la seconde est toujours méprisée. Comment expliquer ce décalage ?
Dans son discours d’annonce du plan de sobriété énergétique, Élisabeth Borne avait été très claire : la sobriété prônée par le gouvernement n’est surtout pas la décroissance ! Le sens du mot « sobriété » est récupéré et dévoyé pour préparer les plus pauvres à une forme d’austérité subie. Au contraire, si un projet sérieux et émancipateur de sobriété était mis en place, il impliquerait davantage de partage et s’appliquerait donc d’abord aux plus riches. Mais faire moins pour redistribuer plus, ce n’est pas du tout dans le logiciel politique des dirigeants français.
« Si un projet sérieux et émancipateur de sobriété était mis en place, il impliquerait davantage de partage et s’appliquerait donc d’abord aux plus riches. » (Photo : Maxime Sirvins.)L’autre problème, c’est qu’on a donné l’impression que cette crise était passagère, qu’il suffirait de se serrer la ceinture quelques mois en attendant le retour de la croissance. Mais tous les travaux élaborés depuis des années montrent que nous sommes à la fin de ce modèle civilisationnel organisé autour du « toujours plus ». Nous avons déjà dépassé un certain nombre de limites planétaires (1). Au-delà d’être nécessaire, la sobriété est inéluctable. Mais je pense qu’elle est aussi souhaitable, à condition qu’elle soit portée politiquement dans le bon sens : faire moins, faire mieux et surtout partager plus.
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