« On était terrifiés. Je me suis pris un grand coup dans le ventre »

Une nouvelle enquête vient d’être lancée contre la compagnie 12CI pour de violents coups de matraque, dans le cadre des manifestations contre la réforme des retraites. Politis a pu rencontrer une des victimes.

Maxime Sirvins  • 24 mars 2023
Partager :
« On était terrifiés. Je me suis pris un grand coup dans le ventre »
La 12CI à Paris, lors de la manifestation du jeudi 23 mars 2023.
© Maxime Sirvins

« On se retrouve à avoir la boule au ventre quand on va en manif’ alors que c’est un droit légitime. » Lundi 20 mars, après l’annonce de l’échec de la motion de censure suite au recours à l’article 49.3 par le gouvernement concernant la réforme des retraites, des manifestations spontanées se sont élancées dans tout Paris et autres villes de France.

Ce soir-là, alors qu’un cortège évolue dans le quartier de Châtelet-Les Halles, des policiers chargent et frappent violemment des manifestants coincés contre un mur. Parmi eux, une jeune étudiante se prend un puissant coup de matraque dans le ventre. Mercredi 22 mars matin, sur les conseils de son avocat, Maître Arié Alimi, elle est allée porter plainte auprès de l’IGPN, la police des polices.

« Lundi, il n’y a pas eu de casse mais des poubelles brûlées et des barrières renversées », explique la jeune femme qui se trouvait en fin de cortège. « La police est rapidement arrivée et a lancé des lacrymogènes. On continuait dans une rue, j’étais toujours pas mal derrière et je voyais les agents de la BRAV-M qui commençaient à arriver. Ça faisait peur. »

Sur le même sujet : Coups de poing et matraques : une compagnie parisienne en roue libre

Ces agents, Politis en a déjà parlé. Ils sont membres de la 12CI, compagnie d’intervention de Paris. Le même soir, un policier de cette compagnie frappe violemment un homme, qui finit inconscient au sol. L’étudiante décide de s’écarter contre un mur pour laisser passer la charge.

« C’est à ce moment-là qu’ils sont venus nous frapper. Je me disais que j’étais en sécurité sur le côté, je n’avais rien fait. On était terrifié. Je me suis pris un grand coup dans le ventre. » Choquée, elle quitte la scène au plus vite. « J’essayais de courir, car j’avais tellement mal, en me tenant le ventre. »

En rentrant chez elle, la jeune femme ne compte pas porter plainte ni faire de signalement, estimant que « de toute manière, ça n’aboutit jamais ». Mais après avoir vu la vidéo filmée par le journaliste indépendant, Jules Ravel, elle décide de prendre un avocat. C’est sur ses conseils qu’elle se rend chez son médecin généraliste afin de faire attester sa blessure. Elle ressortira avec 3 jours d’ITT (incapacité totale de travail).

Audition à l’IGPN sans attente

Mercredi, elle se rend donc aussi à l’IGPN. « Généralement, ils donnent un rendez-vous et là ils m’ont reçu directement et ont même prévenu l’état-major. » Preuve que son cas est pris au sérieux. Dans la foulée une enquête contre la 12CI est ouverte pour « violences par personne dépositaire de l’autorité publique ».

Sur le même sujet : Manifestations : le malaise judiciaire

Après son audition, elle ressort aussi avec un rendez- vous à l’UMJ, unité médico-judiciaire, pour faire constater sa blessure. Mais 5 jours après le coup reçu, la plaignante doute de l’utilité réelle de cet examen. « Ça sera trop tard et c’est pour ça que j’ai pris les devants en allant chez mon généraliste », explique-t-elle.

Malgré tout, l’étudiante décide quand même de se rendre le lendemain au rassemblement sur la place de la République, symbole d’une jeunesse qui ne lâche rien. « Après le coup de lundi, ça m’a mis une claque mais j’y suis quand même retournée le lendemain », lance-t-elle avec un regard déterminé. Mais face à la douleur et à la peur, elle ne reste qu’une heure sur la place.

On a peur, on se fait nasser, on se fait frapper mais on sera toujours là !

Car la violence dont elle a été victime n’est pas que physique, elle est aussi psychologique. Elle explique que ces derniers jours ont été « très difficiles. » À la douleur s’ajoutent des nuits blanches. « Je n’ai pas vraiment réussi à dormir depuis. Je ne fais que me remémorer la scène. » Pour celle qui manifeste depuis la première réforme des retraites en 2019, les prochaines manifestations se feront avec « la boule au ventre. » Car en face, la police fait peur.

Ne rien lâcher

« Au-delà du coup porté, c’est la façon dont ils agissent qui me terrorise. Ils sont en chasse. » En seulement quelques années de manifestations, la jeune étudiante a vu la violence s’exercer. « Ça me fait peur, j’ai vu des gens en sang, des hurlements, forcément ça dissuade. »

Mais la jeunesse est têtue. Elle ne se laisse pas faire et ne baisse pas les bras. « D’un côté, ça m’a encore plus déterminé. » Pour elle, le gouvernement et la police ont franchi un point de non-retour. « Ils pensent qu’en continuant comme ça ils vont nous démotiver et en fait non. On a peur, on se fait nasser, on se fait frapper mais on sera toujours là ! »

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Au procès du FN-RN, Marine Le Pen se met en scène
Justice 4 octobre 2024 abonné·es

Au procès du FN-RN, Marine Le Pen se met en scène

Après de vaines tentatives des avocats du FN-RN pour entraver le procès de ces assistants parlementaires, Marine Le Pen a présenté aux juges une défense très politique. Résumé des trois premières audiences d’un procès-fleuve.
Par Michel Soudais
VSS : « On ne sort pas guérie d’un procès »
Justice 30 septembre 2024 abonné·es

VSS : « On ne sort pas guérie d’un procès »

L’avocate, Anne Bouillon, publie un livre sur la défense des femmes victimes de violences sexuelles, Affaires de femmes : une vie à plaider pour elles. Un ouvrage qui éclaire d’une lumière singulière le procès des violeurs de Mazan. Entretien.
Par Hugo Boursier
Henri Leclerc, « une indignation coléreuse lorsque la justice se déshonore »
Hommage 4 septembre 2024 abonné·es

Henri Leclerc, « une indignation coléreuse lorsque la justice se déshonore »

La disparition d’Henri Leclerc est une perte immense pour les défenseurs des libertés publiques. Ce grand avocat était un redoutable et inlassable orateur promouvant les grands principes de la démocratie et de l’État de droit.
Par Olivier Doubre
De Poitiers à La Rochelle, une lutte contre les mégabassines entre flammes et océan
Reportage 22 juillet 2024

De Poitiers à La Rochelle, une lutte contre les mégabassines entre flammes et océan

Au cours d’une semaine de mobilisation contre les mégabassines, des milliers manifestants se sont rassemblés dans les Deux-Sèvres à l’appel des Soulèvements de la terre et de Bassines Non Merci. Les 19 et 20 juillet, les militants ont manifesté à côté de Poitiers et à La Rochelle pour exiger un moratoire. Récit et photos.
Par Maxime Sirvins