Manifestations : un Belge placé abusivement en centre de rétention

Arrêté samedi 18 mars sur la place d’Italie, un manifestant belge a passé 5 jours au Centre de rétention administratif de Vincennes, alors que son affaire avait été classée sans suite. Il a été relâché samedi 25 après une décision de la cour d’appel de Paris.

Nadia Sweeny  • 26 mars 2023
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Manifestations : un Belge placé abusivement en centre de rétention
Arrestation lors d'une manifestation spontanée, le 22 mars 2023, aux alentours de Bastille.
© Lily Chavance

Marc*, 37 ans, belge, est venu de son pays natal pour rejoindre des amis français et soutenir la mobilisation contre la réforme des retraites. Samedi 18 mars, il se rend au rassemblement place d’Italie à l’appel des syndicats. À partir d’un moment, narre-t-il, la situation s’est envenimée. Arrêté par la police, il est mis en cause pour participation à un « groupement en vue de commettre des violences et dégradations de biens ». « Ils ont voulu m’accuser d’avoir lancer une trottinette sur les forces de l’ordre : ce n’est pas vrai ! », clame-t-il.

*

Le prénom a été changé.

Placé en garde-à-vue, il passe devant le délégué du procureur et accepte un classement sans suite sous condition : s’engager à ne pas commettre d’infraction et ne pas paraître à Paris pendant six mois. Le mis en cause signe et prévoit de rentrer chez lui auprès de ses enfants.  « À peine j’étais sorti de la salle du juge que des policiers sont venus me voir pour m’emmener au Centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes, s’étonne-t-il. Même le juge n’était pas au courant. »

Même le juge n’était pas au courant.

Entretemps, le préfet de Paris a en effet pris plusieurs décisions administratives, sans avertir l’autorité judiciaire : obligation de quitter le territoire, placement en centre de rétention administratif et interdiction de circuler sur le territoire français pendant 36 mois.  

Intérêts fondamentaux

L’une des justifications de ces mesures répressives tient dans l’engagement passé de Marc. En 2019 et 2020, il avait été placé en garde à vue à plusieurs reprises, dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes.

La préfecture note ainsi que l’homme a été « signalé par les services de police ». Elle oublie de préciser qu’il n’a fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire et encore moins de condamnations. Le préfet agit ainsi comme si un placement en garde à vue était la preuve d’une culpabilité.

Sur le même sujet : Manifestations : le malaise judiciaire

Pire : « Ces faits constituent, du point de vue de l’ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l’encontre des intérêts fondamentaux de la société française », peut-on lire dans l’arrêté de placement en CRA que Politis a pu consulter. Il y aurait donc « urgence à l’éloigner du territoire français ».

Considérant Marc comme dangereux, la préfecture décide de ne lui accorder « aucun délai de départ volontaire » du fait que, selon elle, « il ne présente pas de garanties de représentations suffisantes » et que cette décision d’enfermement, ne portera pas atteinte à sa vie privée et familiale car, toujours selon elle, « il déclare en audition être célibataire et sans enfant à charge ». Ce qui est faux.

Disproportion

Marc attaque la décision devant le tribunal administratif qui renvoie la balle au juge des libertés et de la détention (JLD) – en mesure de se prononcer sur la légalité du placement. Non seulement ce dernier la valide mais la prolonge jusqu’au 28 avril.

« L’administration a perdu toute mesure et tout bon sens, alors même que la justice a estimé qu’il ne méritait aucune sanction, s’offusque Camille Vannier l’avocate de Marc. C’est la double peine pour les non-français avec la construction d’un système opaque et fractionné, entre administratif et judiciaire, qui permet la dissolution des responsabilités des magistrats qui se renvoient la balle ».

C’est la double peine pour les non-français avec la construction d’un système opaque et fractionné.

C’est la cour d’appel de Paris qui finit, samedi 25 mars, par mettre un terme à sa rétention, constatant que « les faits reprochés à l’étranger et contesté par celui-ci ont fait l’objet d’un classement sans suite par le parquet ».

Par ailleurs, jamais Marc n’a fait l‘objet de mesure d’éloignement et ne s’est donc jamais soustrait à aucune d’elle ; en garde à vue, il a également bien « déclaré être domicilié en Belgique et avoir trois enfants mineurs dont un à charge et a fait part de son souhait de partir dans son pays d’origine ». Par conséquent, la cour d’appel de Paris a considéré ce placement en rétention « manifestement disproportionné ».

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Publié dans le dossier
Macron, répression !
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