À quand l’arrestation de Poutine ?

TRIBUNE. Le mandat émis par la Cour pénale internationale contre Vladimir Poutine symbolise la persistance d’un idéal de justice et de paix. Aux États de le faire vivre par le plein effet de la collaboration avec la CPI.

William Bourdon  et  Vincent Brengarth  • 3 avril 2023
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À quand l’arrestation de Poutine ?
Sur un immeuble de Riga, en Lettonie.
© Brad Ritson / Unsplash.

Le 2 mars 2022, soit une dizaine de jours seulement après le début de l’invasion russe en Ukraine, le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye annonçait qu’il avait procédé à l’ouverture d’une enquête sur la situation en Ukraine. Le 17 mars 2023, la Chambre préliminaire II de la CPI délivrait des mandats d’arrêt à l’encontre de Vladimir Poutine, Président de la Russie, et Maria Alekseïevna Lvova-Belova, Commissaire aux droits de l’enfant au sein de son Cabinet. Vladimir Poutine est suspecté d’être responsable du crime de guerre de déportation illégale d’enfants et leur transfert illégal de population.

Ce mandat d’arrêt a évidemment une valeur symbolique et historique forte et surtout, il marque une étape décisive dans la lutte contre l’impunité. Il officialise en effet l’existence de motifs raisonnables de croire que Vladimir Poutine a commis un crime ou plusieurs crimes relevant de la compétence de la CPI. Alors que l’invasion de l’Ukraine par la Russie se poursuit, cette initiative est source d’espoir pour les victimes, en plus d’être un outil parfaitement contraignant.

L’arrestation de Vladimir Poutine suppose qu’il soit chassé du pouvoir et qu’un nouveau régime accepte de le transférer.

Ce mandat d’arrêt est également un signal fort envoyé à l’Ukraine qui, bien que non partie au Statut de Rome, avait reconnu la compétence de la CPI à l’égard des crimes qui auraient été commis sur le territoire, par le biais de deux déclarations.

Ce mandat d’arrêt est une première s’agissant du président d’un des pays membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Cependant, il est une évidence de dire que la Russie ne remettra pas Vladimir Poutine à la CPI. Outre le fait que la Russie ne reconnaît pas la compétence de la CPI, Vladimir Poutine, longtemps classé parmi les personnalités les plus puissantes du monde, exerce un véritable règne à la tête d’un pays qualifiable de superpuissance figurant parmi les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU.

L’arrestation de Vladimir Poutine suppose donc non seulement qu’il soit chassé du pouvoir mais qu’un nouveau régime accepte de le transférer à La Haye. Souvenons-nous, c’est ce qu’il s’est passé après l’exécution du mandat d’arrêt de Slobodan Milošević, à l’époque président de la Serbie en 1999 devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY).

Sur le même sujet : Faut-il encore parler avec Poutine ?

En dehors de cette hypothèse, pour ne pas qu’il reste à l’état de symbole, l’exécution du mandat d’arrêt émis contre Vladimir Poutine devra compter sur le soutien indispensable des 123 États aujourd’hui Parties au Statut de Rome, tenus de coopérer avec la CPI, qui est une institution judiciaire ne disposant pas de forces de police. La liberté de circulation de Vladimir Poutine va donc s’arrêter aujourd’hui à quelques pays non Parties (dont l’Iran, la Chine et quelques pays arabes)

Les États Parties sur Statut, de leur côté, ne pourront techniquement pas se prévaloir de la qualité officielle de Vladimir Poutine, puisque, conformément à son 27, le Statut de Rome : « s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d’État (…) n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine. ».

La responsabilité pénale individuelle est, au surplus, définie dans des termes qui embrassent un certain nombre d’hypothèses, puisqu’une personne est pénalement responsable et peut être punie pour un crime relevant de la compétence de la Cour notamment si elle « ordonne, sollicite ou encourage la commission d’un tel crime ». En l’occurrence, un certain nombre d’éléments permettant déjà de faire présumer l’existence lien entre le Kremlin et les crimes perpétrés et, partant, l’existence d’une chaîne de responsabilité.

La France, pour sa part, a réaffirmé son soutien à la CPI, en promettant « d’apporter son appui à l’indispensable travail de la justice internationale pour assurer que les responsables de tous les crimes commis en Ukraine rendent des comptes ».

Les détracteurs de la CPI pourront toujours objecter son impuissance, en rappelant ses atermoiements les plus retentissants, dont l’acquittement définitif de Laurent Gbagbo, ex-Président de la Côte d’Ivoire inculpé pour crimes contre l’humanité. Si la CPI peut effectivement avoir besoin de restaurer sa légitimité, elle n’en demeure pas moins une juridiction pénale indispensable pour juger des crimes les plus graves.

À l’heure où les autocraties gagnent du terrain, il est essentiel que la CPI consolide sa légitimité.

De plus, il faut garder à l’esprit que la délivrance de ce mandat d’arrêt a pris toute la communauté internationale par surprise et soustrait des arguments à ceux qui, anticipant sur le fait que la procédure de la CPI pouvait s’étirer en longueur, militaient en faveur de la constitution d’un tribunal ad hoc aux fins de juger Vladimir Poutine pour agression.

À l’heure où les autocraties gagnent du terrain sur les démocraties, et à l’heure aussi où les droits fondamentaux sont fortement atteints, il est essentiel que par ce mandat d’arrêt, la CPI consolide sa légitimité. Elle reste face à la logique cynique de marchandisation du monde, l’expression d’un idéal de paix porteuse de valeurs universelles qui nous font de plus en plus défaut.

Le mandat émis contre Vladimir Poutine symbolise la persistance d’un idéal de justice qu’il n’appartient désormais plus qu’aux États de faire vivre par le plein effet de la collaboration avec la CPI, en se donnant les moyens de faire arrêter Vladimir Poutine.

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