​​Accusé de mensonges, le secrétaire d’État à la mer visé par une plainte

L’ONG de protection des océans Bloom attaque Hervé Berville devant la Cour de justice de la République. L’association dénonce des déclarations fallacieuses, qui auraient conduit à une escalade de violences chez les pêcheurs.

Rose-Amélie Bécel  • 11 avril 2023
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​​Accusé de mensonges, le secrétaire d’État à la mer visé par une plainte
Hervé Berville, le 20 mars 2023, à Bruxelles.
© Kenzo TRIBOUILLARD / AFP.

Ce mardi, l’association de protection des océans Bloom porte plainte contre Hervé Berville, secrétaire d’État à la Mer, auprès de la Cour de justice de la République. « L’irresponsabilité politique, ça suffit. Les mensonges anti-écologiques, ça suffit », tonne la directrice générale de l’ONG, Claire Nouvian. En cause ? Les propos tenus depuis un mois par le secrétaire d’État au sujet du plan d’action pour l’océan, porté par la Commission européenne.

Publié le 21 février dernier, le texte non-contraignant propose aux États membres de l’Union européenne d’interdire le chalutage de fond dans les aires marines classées Natura 2000 – mesure déjà en vigueur dans la loi européenne depuis 1992, mais non respectée – et d’étendre cette interdiction à l’ensemble des aires marines protégées d’ici à 2030.

« Le chalutage de fond est la méthode de pêche la plus destructrice pour la biodiversité, car il n’y a pas de sélection des poissons attrapés. Plus de 80 % des rejets européens [renvoi à la mer des poissons morts, ramassés par le chalut mais non commercialisables] sont liés au chalutage », explique Claire Nouvian.

Des mensonges à l’incendie

Auditionné par la Commission des affaires européennes à l’Assemblée nationale le 15 mars, Hervé Berville martèle, dès le début de son intervention, la ferme opposition du gouvernement au plan proposé par la Commission européenne : « La France est opposée au plan d’action présenté par la Commission, car il condamnerait notre pêche artisanale. Il l’amènerait à disparaître, non dans dix ans, mais demain. »

C’est le premier d’une longue série de mensonges qui vont mettre le feu aux poudres dans le secteur de la pêche. Selon l’ONG, en répétant que ce plan européen non-contraignant aurait pour conséquence une disparition quasi-immédiate de la filière pêche, Hervé Berville a créé un « vent de panique et instrumentalisé politiquement » les pêcheurs. Le 22 mars, ils étaient d’ailleurs près de 1 000 dans les rues de Rennes pour protester contre les contraintes – financières et réglementaires – qui pèsent sur la profession.

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Une semaine plus tard, le 31 mars, les locaux de l’Office français de la biodiversité (OFB) à Brest ont été incendiés. La veille, l’édifice avait déjà été visé par plus de 300 fusées de détresse et fumigènes lors d’une nouvelle manifestation de pêcheurs. Une enquête est ouverte pour déterminer les auteurs de l’incendie. Le soir même, dans une longue lettre adressée à la filière pêche et sans un mot à l’égard de l’OFB, Hervé Berville assurait : « Vous trouverez en moi et dans le Gouvernement les soutiens que vous attendez. »

Protéger les pêcheurs artisans

Si Bloom porte plainte, c’est parce que l’association tient le discours du secrétaire d’État responsable des violences de ces dernières semaines. Elle s’appuie d’un côté sur l’article 23 de la loi sur la liberté de la presse qui sanctionne les discours publics provoquant la commission de crimes ou délits, et d’un autre sur la loi pour la transparence de la vie publique qui impose aux membres du gouvernement d’exercer leurs fonctions avec dignité, probité, intégrité et impartialité.

Les aires marines protégées, c’est l’assurance-vie de la pêche artisanale.

Selon l’ONG, sous couvert de protéger les intérêts de tous les pêcheurs face au péril imaginaire d’un texte européen, le discours d’Hervé Berville est en réalité tourné vers le lobby de la pêche industrielle. Car, ce que le secrétaire d’État a omis d’expliquer, c’est qu’il existe en Europe deux catégories d’aires marines protégées : l’une où toute activité de pêche est strictement interdite et l’autre où la pêche artisanale – avec des bateaux de moins de 12 mètres et des méthodes de pêche peu invasives comme la ligne ou le casier – est la seule autorisée. « Les aires marines protégées, c’est l’assurance vie de la pêche artisanale », affirme Swann Bommier, chargé de plaidoyer à Bloom.

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Le secrétaire d’État avait d’ailleurs déjà choisi le camp des industriels en septembre dernier, en s’opposant à l’interdiction dans l’Union européenne de la senne démersale. Cette technique de pêche industrielle, utilisant des filets de plusieurs kilomètres carrés qui raclent le fond des mers, menace la biodiversité des océans et l’activité des pêcheurs artisans. Si Hervé Berville prétend protéger la filière pêche, aujourd’hui – selon Bloom – les pêcheurs artisans, qui représentent 70 % de la flotte française, ne captent que 12 % des subventions publiques du secteur.

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