Le tricheur

Le Conseil constitutionnel a validé la réforme des retraites par une décision tordue, venue couronner une affaire marquée de bout en bout par la ruse. Un pays entier a aujourd’hui le sentiment de s’être fait flouer par un président qui abîme la politique.

Denis Sieffert  • 19 avril 2023
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Le tricheur
Concert de casseroles devant la mairie du 10e arrondissement de Paris, lors de l'allocution télévisée d'Emmanuel Macron, le 17 avril 2023.
© Geoffroy Van der Hasselt / AFP.

Non sans malice, le constitutionnaliste Dominique Rousseau affirmait, dans une récente tribune, qu’il est inutile, pour critiquer la décision du Conseil constitutionnel, d’aller chercher « dans le passé politique » de ses membres ou dans les « intérêts particuliers et connivences des uns et des autres » (1). Astucieuse prétérition : je ne vous dirai pas que… mais je vous le dis quand même. À lire l’analyse que fait Dominique Rousseau des motifs de la décision qui, le 14 avril, a valu validation de la réforme des retraites, on ne doute guère en effet de son caractère politique.

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Le Monde daté du 18 avril.

Sa démonstration est d’autant plus efficace qu’elle ne fait que mettre en évidence les béantes contradictions du texte. Bizarrement, les « sages », comme on continue de les appeler, commencent par énumérer tout ce qui aurait dû conduire à une invalidation : les informations erronées données sciemment aux parlementaires, l’accumulation de procédures accélérées qui n’avaient pas lieu d’être, le choix de faire figurer le projet « au sein d’une loi de finances rectificative » dans l’unique but de pouvoir utiliser le 49.3.

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Le tout, pour conclure qu’il n’y a rien d’anticonstitutionnel dans tout ça. Honni soit qui mal y pense ! Au fond, on ne saurait s’étonner qu’une décision tordue soit venue couronner une affaire marquée de bout en bout par la ruse. Un pays entier a aujourd’hui le sentiment de s’être fait flouer. Si bien que le débat s’est déplacé sur la question de la démocratie, et même, de la morale publique.

Et maintenant quoi ? À court terme, on sait. Le 1er mai mobilisera comme jamais depuis la manifestation anti-Le Pen (père) de 2002. Le 3, le Conseil constitutionnel rendra une décision sur le référendum d’initiative partagée dont on n’imagine pas qu’elle soit inspirée par des motivations plus avouables que précédemment. À court terme encore, Macron et ses ministres vont devoir économiser leurs sorties. Où qu’ils aillent, les casseroles les attendent.

Macron et ses ministres vont devoir économiser leurs sorties. Où qu’ils aillent, les casseroles les attendent.

Et ce n’est pas l’allocution de lundi soir qui y changera quelque chose. Le président est apparu en rupture de réalité. Le monarque fou qui perd le sens de la réalité est certes une grande figure du répertoire, de Shakespeare à Ionesco. Mais Macron n’est pas fou. Il triche. Et cela se voit.

C’est le sens de ces « cent jours d’apaisement » qu’il a implorés, comme on décide une période de deuil national. Dans notre histoire, les cent jours ont mauvaise réputation. Macron n’ira pas à Sainte-Hélène, mais il peut se condamner lui-même à un long exil politique. Il espère que ces trois mois suffiront à faire oublier son forfait. Mais après ? Les échéances électorales sont encore loin.

Dans l’immédiat, la question est de savoir si le peuple peut prendre par lui-même cette parole que Macron lui a confisquée. Cela passerait par l’intensification de la mobilisation sociale. Les syndicats seraient-ils prêts à prononcer le mot « grève », et à s’en donner les moyens, au moins dans les secteurs stratégiques de notre économie ? Le souvenir de 1995 y encourage. Car ces quelques semaines d’intense mobilisation ont livré un message d’espoir. Le pays est combatif. La gauche existe. Elle est en quête de représentation politique.

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Je ne fais pas là allusion à toutes les brouilles et embrouilles qui font les choux gras des médias, qui d’ailleurs ne les inventent pas, mais à l’absence d’un discours unificateur et d’une stratégie à vocation majoritaire. Si, avec des millions de personnes dans la rue, une crise démocratique et de régime comme on n’en a pas connu depuis 1968, c’est Marine Le Pen qui s’échappe dans les sondages, c’est qu’il y a un problème. La difficulté, c’est que Macron ne s’est pas seulement abîmé lui-même, il a abîmé la politique. D’où, avec lui, et après lui, un risque de désaffection et d’abstention.

Macron ne s’est pas seulement abîmé lui-même, il a abîmé la politique.

La perspective de la 6e république est le remède, si on parvient à lui donner des contours précis, et une image qui parle au plus grand nombre. Comment ce discours peut-il pénétrer l’opinion ? Les conditions sont au moins faciles à énoncer : unité de la Nupes, élargissement à toute la gauche qui a rompu avec les années Hollande-Valls, travail en confiance et dans le respect avec les syndicats. Le pays a besoin de démocratie. Seule la gauche devrait pouvoir la lui donner. Cela se construit dès maintenant, car nul ne maîtrise plus le calendrier. Avec Macron, le pays plonge dans l’inconnu.

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