À Dijon, des amendes pour casserolades qui interrogent et inquiètent

Une trentaine de personnes ont reçu des amendes et courriers suite à des casserolades à Dijon, interdites par la préfecture. Problème : quasiment aucune n’a été verbalisée ni même contrôlée lors de ces rassemblements, ce qui questionne les méthodes policières d’identification.

Nadia Sweeny  • 30 mai 2023
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À Dijon, des amendes pour casserolades qui interrogent et inquiètent
Une « casserolade » le 24 avril 2023, à Paris, le soir du premier anniversaire de la réélection d'Emmanuel Macron.
© Lily Chavance.

Le milieu militant dijonnais est en émoi : chaque jour depuis une semaine, des personnes reçoivent des courriers du tribunal judiciaire, liés aux casserolades organisées depuis le discours d’Emmanuel Macron le 17 avril, suite à la mobilisation contre la réforme des retraites.

Deux types de courriers, en partie révélés par France Bleu et dont Politis a pris connaissance, ont été envoyés. Le premier, une amende de 68 euros pour « émission de bruit portant atteinte à la tranquillité du voisinage et à la santé de l’homme » dressé le 6 mai dernier à 11 heures par un policier – soit le jour même d’une casserolade organisée le jour de l’anniversaire de la Cité de la Gastronomie et du Vin de Dijon, où plusieurs ministres étaient attendus.

Or cette amende n’a pas été délivrée sur place aux personnes visées, mais envoyée a posteriori sans que les personnes concernées n’aient fait l’objet d’un contrôle d’identité. Si elles étaient là, pourquoi ne pas les avoir verbalisées de suite ? Et, a posteriori, comment les policiers ont-ils donc pu identifier les personnes sans contrôle d’identité ?

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Une question qui revient à propos du second courrier, encore plus étrange. Il émane de l’officier du ministère public près le tribunal judiciaire et annonce : « Nous avons été destinataires d’un dossier vous mettant en cause pour les infractions suivantes : participation à une manifestation interdite sur la voie publique », assorti du lieu et de la date de la supposée infraction, remontant parfois jusqu’au 17 avril, soit la première soirée de casserolades organisée partout en France à l’occasion du discours du président.

Un questionnaire à renvoyer

Sur le document, on peut lire : « Afin de déterminer les suites à réserver à votre dossier, je vous demande de bien vouloir compléter et renvoyer cette demande de renseignements dans un délai de 15 jours », suivi d’un questionnaire comportant l’identité des personnes, date de naissance, lieu de naissance, adresse, profession mais aussi le nom de jeune fille et prénom de la mère ainsi que les noms et prénoms du père. Puis d’une case à cocher : je reconnais / je ne reconnais pas l’infraction.  

 « C’est la première fois de ma vie que je reçois un courrier pareil, s’étonne Victor, 66 ans, militant à la Fédération syndicale unitaire (FSU). Ma première réaction c’est de me dire que c’est flippant, on essaye de m’intimider. On me met en cause. » Tous ces courriers sont en lien avec des casserolades interdites par arrêtés préfectoraux. Mais beaucoup de ces arrêtés étaient impossibles à contester, au regard de leur publication tardive. Ainsi, celui interdisant les rassemblements du 17 avril de 19 heures à minuit a été publié le jour même rendant impossible une contestation devant le tribunal administratif.

On nous frappe, on nous met la pression. Quelque chose a changé. La démocratie est verrouillée.

Il en a été de même pour l’arrêté d’interdiction du 19 avril de 18 heures à minuit, ainsi que celui du 24 avril, de 19 heures à minuit. Malgré cela, et en contradiction avec la décision du tribunal administratif de Paris du 1er avril imposant au préfet de publier dans un temps raisonnable pour permettre un recours, les courriers de mise en accusation concernent toutes ces dates. « Manifester n’est pas interdit ! Malgré les arrêtés préfectoraux, on a toujours manifesté à Dijon et jamais ça n’a créé un tel problème. Maintenant, on nous frappe, on nous met la pression. Quelque chose a changé. La démocratie est verrouillée », se désole Victor, très investi pendant sa carrière auprès des mineurs isolés.  

Fichier des renseignements

Chacun suspecte l’utilisation des nombreuses caméras de vidéosurveillance de Dijon pour opérer une reconnaissance faciale. Mais sur la base de quel fichier comparatif ? Sur la trentaine de personnes destinataires, toutes membres de syndicats et de groupes associatifs locaux, la plupart dit n’avoir jamais eu de problème avec la justice pouvant justifier l’existence d’un traitement aux antécédents judiciaires (fichier TAJ), avec notamment la présence de photographies.

Les policiers ont-ils utilisé illégalement le fichier des Renseignements, PASP – prévention des atteintes à la sécurité publique ? Depuis la réforme de 2020, ce fichier a pour finalités de « recueillir, de conserver et d’analyser les informations qui concernent des personnes physiques ou morales ainsi que des groupements dont l’activité individuelle ou collective indique qu’elles peuvent porter atteinte à la sécurité publique ou à la sûreté de l’État. ».

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Un nombre d’informations très diverses – élargi par le décret d’application de décembre 2020 – peuvent être recueillies comme celles relatives à « des activités politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales » incluant les « opinions » politiques, les « convictions » philosophiques, religieuses et l’« appartenance » syndicale. Sont aussi visées les personnes susceptibles « d’être impliquées dans des actions de violence collectives, en particulier en milieu urbain ou à l’occasion de manifestations sportives. » Cela inclut-t-il les syndicats et organisations qui manifestent contre la réforme des retraites ?

Reconnaissance faciale

Tous les services de police et de gendarmerie, au moyen d’une demande motivée, peuvent avoir accès à ces renseignements. La réforme de 2020 y a ajouté les procureurs de la République. Elle a aussi supprimé une partie du texte qui, avant 2020, disait expressément que « le traitement ne comporte pas de dispositif de reconnaissance faciale à partir de la photographie. » Pour autant, aucune mention légale n’ouvre la possibilité d’utiliser cette reconnaissance faciale avec le fichier PASP. La CNIL, le confirme : « En l’état actuel, les décrets ne permettent pas de mettre en œuvre des dispositifs de reconnaissance faciale à partir des données contenues dans ces traitements. »

Certes on s’oppose aux autorités mais cela participe du rapport de force normal dans une démocratie.

Par ailleurs, une autre question subsiste : ce fichier extrêmement intrusif, peut-il être légalement exploité dans le cadre d’infractions passibles d’une simple amende ? Contactés, ni le procureur de Dijon, ni les services de police, ni la CNIL n’ont, pour le moment, donné suite à nos sollicitations.

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« Ça veut dire que je suis fiché ?, se demande Victor. Ça veut dire que quand vous vous occupez d’un dossier comme moi je l’ai fait pendant des années, que vous manifestez devant la préfecture, vous êtes fiché alors même qu’il fut une époque où le préfet nous rencontrait et on discutait. Certes on s’oppose aux autorités mais cela participe du rapport de force normal dans une démocratie :  maintenant si vous faites ça, on vous fiche ? Donc je ne suis plus un citoyen comme les autres. Ce n’est pas juste ! ».

Victor a décidé de ne pas répondre au courrier. Comme la plupart des autres personnes visées, il pense contester. Des réunions sont prévues dans la semaine pour réfléchir collectivement aux suites à donner à ces courriers.

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