Le Festival de Cannes : toujours vivant

La Palme d’or à la talentueuse Justine Triet couronne un bon palmarès au terme d’une édition intéressante à tous égards. 

Christophe Kantcheff  • 30 mai 2023 abonné·es
Le Festival de Cannes : toujours vivant
Justine Triet pose avec sa Palme d’or, amplement méritée.
© SYLVAIN LEFEVRE / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Nous avons été tant de fois marris par le passé qu’il serait dommage de ne pas savourer le palmarès de cette 76e édition du Festival de Cannes, qui s’est achevé le 27 mai. Le palmé d’or de l’an dernier pour Sans filtre, Ruben Östlund, cinéaste qui ne nous enthousiasme guère, s’est avéré un président de jury clairvoyant.

Au sein d’une compétition au niveau général acceptable sans plus, Östlund et ses jurés ont distingué des films d’excellente facture parmi les vingt et un en lice. En outre, si la plupart des auteurs de renom n’ont pas déçu (Bellocchio, Ceylan, Kaurismäki, Loach, Moretti, Wenders), le jury a réservé les plus hautes récompenses aux œuvres de cinéastes plus jeunes et non encore primés.

La tempête de mensonges et d’hypocrisie qui s’est abattue sur Justine Triet à la suite de son discours lors de la cérémonie de clôture (lire notre « parti pris ») ne doit pas reléguer au second plan la haute valeur de son film. Anatomie d’une chute est une formidable Palme d’or, qui va pour la troisième fois dans l’histoire du festival à une femme.

Un père est retrouvé mort en bas de son chalet de montagne par son jeune fils de retour de balade. Suicide ? Ou bien a-t-il été tué par sa femme, qui était seule avec lui ? La vérité judiciaire sera recherchée au cours du procès qui s’ouvre, où va apparaître l’intimité d’un couple ayant perdu son équilibre (le titre du film est polysémique). La séquence d’ouverture donne le ton de cette relation heurtée : alors qu’une jeune universitaire vient interviewer l’épouse, écrivaine connue, le mari, qui se trouve à l’étage, pousse le volume à fond de la musique sur laquelle il est censé travailler.

La magistrale Sandra Hüller dans Anatomie d'une chute, révélée à Cannes en 2016 dans Toni Erdmann, de Maren Ade. (Photo : Les Films de Pierre - Les Films Pelléas.)

Sur un scénario intelligemment écrit par Justine Triet et le réalisateur Arthur Harari, par ailleurs son compagnon dans la vie, les comédiens excellent. Parmi eux, Swann Arlaud, le jeune et très bon Milo Machado Graner, et la magistrale Sandra Hüller, révélée à Cannes en 2016 dans Toni Erdmann, de Maren Ade, tout aussi remarquable dans l’autre film qui a reçu la deuxième récompense par ordre d’importance : The Zone of Interest, de Jonathan Glazer.

Dans The Zone of Interest, l’horreur du camp est parfaitement audible. Des sons terrifiants, des ordres hurlés, des cris angoissés retentissent en permanence. Ce qui ne gêne en rien la vie des Höss. (Photo : DR.)

Le Grand Prix est en effet revenu au réalisateur britannique dont l’œuvre, d’une singularité extrême, a constitué la proposition cinématographique la plus marquante de cette compétition. Comment représenter la banalité du mal sans une seule image à l’intérieur d’un camp d’extermination ? Comment filmer l’ennemi sans déclencher la moindre empathie ? The Zone of Interest répond brillamment à ces questions épineuses alors qu’il met en scène Rudolf Höss, le responsable d’Auschwitz-Birkenau, et sa famille dans leur vie quotidienne.

Des absences qui interrogent

Que Merve Dizdar, la comédienne des Herbes sèches, de Nuri Bilge Ceylan, ait remporté le prix d’interprétation féminine est une relative surprise car le film a pour personnage principal un homme. Mais elle y incarne avec prestance une femme blessée et engagée. Le prix d’interprétation masculine, lui, ne pouvait échapper à Kōji Yakusho, souvent vu par ailleurs chez Kiyoshi Kurosawa, et dont le talent émerveille dans Perfect Days, réalisé par un Wim Wenders revenu au meilleur de sa forme.

Le prix d’interprétation masculine ne pouvait échapper à Kōji Yakusho (à gauche), dont le talent émerveille dans Perfect Days, réalisé par un Wim Wenders revenu au meilleur de sa forme. (Photo : Master-mind LTD.) Aki Kaurismäki a repris sa caméra pour notre grand bonheur et signé, avec Les Feuilles mortes, une œuvre réduite à l’épure, avec toujours son humour pince-sans-rire. (Photo : Malla Hukkanen – Sputnik.)

Aki Kaurismäki avait annoncé il y a six ans mettre un terme à son activité de cinéaste. Il a pourtant repris sa caméra pour notre grand bonheur et signé une œuvre réduite à l’épure, avec toujours cet humour pince-sans-rire qui est le contraire du cynisme. Les Feuilles mortes a obtenu un mérité prix du jury.

Les deux récompenses restantes vont à des œuvres dont l’attrait nous paraît moins prononcé. Paradoxalement, le prix du scénario est attribué au film de Hirokazu Kore-eda, Monster, dont le cinéaste n’a pas écrit le script – ce qu’il fait habituellement avec succès –, mais l’a confié à Sakamoto Yuji, dont le scénario est aussi ambitieux que compliqué.

Monster, de Hirokazu Kore-eda, un film qui accumule les détours inutiles et les pistes qui n’aboutissent pas. (Photo : Monster Film Committee.)

La Passion de

Envie de terminer cet article ? Nous vous l’offrons !

Il vous suffit de vous inscrire à notre newsletter hebdomadaire :

Vous préférez nous soutenir directement ?
Déjà abonné ?
(mot de passe oublié ?)
Cinéma
Temps de lecture : 9 minutes