« Perfect Days », de Wim Wenders (Compétition)

Le cinéaste allemand retrouve la grâce de ses premiers films.

Christophe Kantcheff  • 26 mai 2023
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« Perfect Days », de Wim Wenders (Compétition)
© Master-mind LTD

Et la plus belle surprise de cette compétition vient de… Wim Wenders ! Comme le phénix, le cinéaste allemand semble renaître de ses cendres. Depuis très longtemps, nous avions perdu la trace du Wim Wenders que nous avions tant aimé. Après Les Ailes du désir (1987), le cinéaste, qui avait pour l’occasion imaginé des anges sur terre, avait été gagné par un angélisme métaphysique peu inspirant. Et voilà qu’avec Perfect Days, Wenders renvient comme à ses plus beaux jours, ceux d’Alice dans les villes (1973) ou d’Au fil du temps (1976), ces films d’une insigne simplicité qui ouvrent sur la profondeur des êtres.

Perfect Days, Wim Wenders, 1 h 59. En salle le 29 novembre.

Quoi de plus simple en effet que la vie d’un homme de ménage de toilettes publiques ? Tel est Hirayama (Koji Yakusho), la soixantaine, citoyen de Tokyo, vivant seul, dont l’existence est strictement ordonnée par le travail. Tous les jours les mêmes gestes, les mêmes endroits fréquentés, avec le minimum de paroles échangées : Hirayama est un taiseux. Mais grand lecteur de littérature, amoureux des arbres – d’un en particulier, qu’il prend chaque jour en photo lors de sa pause déjeuner –, et amateur de la musique des années 1960 et 1970, celle des Kinks et d’Otis Redding, de Patti Smith et de Van Morrison, dont il possède nombre de cassettes dans sa petite camionnette.

Hiramaya ne fait pas les choses à moitié. Il est impliqué dans son travail, aussi socialement dévalorisé soit-il (ce qui n’est pas tout à fait le cas au Japon, comme le révèle le dossier de presse). On découvre, par ailleurs, comme les toilettes publiques ont une architecture particulièrement soignée, certaines sont même de petits chefs d’œuvre de design. Wim Wenders, dont l’amour pour le Japon est ancien et qui a toujours pour maître Ozu – au sujet de qui il a réalisé un documentaire, Tokyo-ga (1985) –, filme avec maestria le Tokyo du quotidien. Celui des voies rapides, des bains publics – plans magnifiques –, des petits restaurants.

Progressivement, grâce à quelques entorses à sa routine dues à des rencontres inopinées, s’éclaire l’épaisseur d’un homme, sa générosité, son attention à l’Autre, les traces de blessures du passé, sa conception de l’existence.

« Maintenant, c’est maintenant. La prochaine fois, c’est la prochaine fois », dit-il à un moment donné à sa jeune nièce, Niko (Arisa Nakano), qui a fugué pour rendre visite à son oncle. Une formule qui traduit sa façon de s’inscrire exclusivement dans le présent. Pour fuir le souvenir de heurts familiaux, de ruptures encore douloureuses, comme on le devine à voir la scène où sa sœur, d’une classe sociale aisée – le contraste est saisissant –, vient rechercher Niko. Mais aussi parce qu’il a trouvé ainsi une sorte de sagesse qui le comble.

Perfect Days n’est pas un film strictement idéaliste. Quand son coéquipier de ménage démissionne, Hiramaya doit faire face à une surcharge de travail qu’il refuse de réassumer le lendemain en exigeant que sa direction trouve un remplaçant. Mais ces préoccupations n’empêchent pas la disponibilité à l’instant présent. Attentif aux variations de la lumière, aux frissonnements des lueurs et des ombres dans le feuillage des arbres, intimement pénétré par les émotions suscitées par la musique, Hiramaya vibre comme une plaque sensible à toutes les beautés essentielles. De manière introspective, Perfect Days est une ode au panthéisme citadin.

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes
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