Les six policiers de Pantin jugés pour violences crient au complot

Au procès des six anciens policiers de la BTC de Pantin pour violences volontaires, les mis en cause défendent la thèse du complot, due à une guerre entre brigades. Le procureur a requis des peines allant de la relaxe à 18 mois de prison et 5 ans d’interdiction d’exercer.

Nadia Sweeny  • 2 juin 2023
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Les six policiers de Pantin jugés pour violences crient au complot
Un policier de la Brigade de contact territorial, à Paris, le 26 avril 2022.
© Thomas COEX / AFP.

Pendant trois jours, du 31 mai au 2 juin au tribunal de Bobigny, les six policiers de la Brigade territoriale de contact (BTC) du quartier des Quatre-Chemins de Pantin, jugés pour violences volontaires, faux en écriture publiques et perquisition illégale, ont nié l’ensemble des faits qui leur sont reprochés. Politis vous relatait cette histoire il y a quelques jours.

Sur le même sujet : Six policiers violents en roue libre au tribunal

Pour les violences contre Mathieu B. – huit jours d’incapacité totale de travail (ITT) après son interpellation pour outrage : « Je me suis défendu. J’ai fait ça pour rentrer chez moi le soir auprès de ma famille. Je n’ai rien à cacher », clame Raphael I. Concernant les brûlures au gaz lacrymogène, le policier Julien S. prétend que le jeune a dû se faire ça avec du mortier de feu d’artifice le soir des émeutes. « Je réfute de gazer des gens. Ce n’est pas du tout ma pratique et ça ne le sera jamais. » affirme-t-il. Une policière témoigne pourtant l’avoir entendu se vanter de ce gazage. Une autre dit l’avoir vu gazer un jeune, encore une autre des vendeurs à la sauvette le tout, gratuitement et depuis sa voiture. Un peu à l’image du gazage d’un SDF au Bourget, en juillet 2022, filmé depuis un appartement.

Fait rare : devant l’IGPN, une dizaine de policiers ont témoigné contre leurs collègues. Des stagiaires, d’autres gardiens de la paix, des majors, chef de brigade. Ils ont raconté les débordements de leurs collègues. Des violences inutiles et excessives. Des arrestations sans motif réel ou même des « individus laissés des heures sur le banc du poste de police sans aucun cadre juridique » note l’IGPN dans son rapport d’enquête.

Au tribunal les mis en cause dénoncent une collusion entre les jeunes dealers d’une cité et certains policiers du commissariat, supposément ligués contre eux à cause des résultats obtenus, principalement dans la lutte contre les trafics de stupéfiants. Un complot « instillé par la nouvelle commissaire », lance Christian M., l’ancien chef du groupe accusé de violences et de faux. Celle qui a signalé leur comportement au procureur. Un complot dont on peine à comprendre l’intérêt pour une cheffe de service.

Raphael I. va jusqu’à dire : « Ils me persécutent » par « jalousie à cause des affaires qu’on sortait et les chiffres qu’on nous demandait et que nous, on honorait. » Alors que les autres policiers en seraient incapables vu leurs méthodes « de fonctionnaires », comme le décrit Yazid B. accusé notamment d’une perquisition illégale chez un groupe de sans-papiers, dont l’un est venu témoigné à la barre et qui n’a aucun rapport avec les jeunes dealers. « Nos collègues se sont sentis humiliés : il y a des anciens de la BAC en 25 ans ils ont fait deux kilos. Nous, on est arrivé à la BTC et on les a éteints », se vante Marc-Henri S., lui aussi renvoyé pour violences.

« Une cabale »

Pour appuyer cette version, un avocat de la défense cite les déclarations de l’ancien commissaire Frédéric Segura. La présidente du tribunal le reprend : « le commissaire dit que cette équipe était performante mais l’IGPN retourne ce compliment en disant qu’ils faisaient deux tiers de plus de mise à disposition – ramener des gens au commissariat, ndlr – que tous leurs collègues et que c’est fort étonnant si on est carré. » L’avocat renchérit : « Mais grâce à leur réseau d’informateurs extrêmement développé, ils ont sorti de très grosses affaires ». Et la juge de rétorquer : « Ce ne sont pas pour leurs grosses affaires qu’on les juge ». Mais la question en sous-texte apparait clairement : faut-il accepter de dépasser les bornes au nom d’une certaine perception de l’efficacité ?

Deux visions du travail de policier s’opposent dans ce dossier. « Il existe un différend avec la J3 – la police secours de jour, N.D.L.R. – sur la façon d’effectuer notre travail, la façon de remplir les missions, la tenue à adopter envers les usagers, le comportement dans l’enceinte du commissariat », avait affirmé devant l’IGPN Raphael I., accusé de violences gratuites et de faux. Il reconnaissait que la BTC Quatre-Chemins était aussi en conflit avec la Brigade anticriminalité (BAC) à cause « de la qualité et du nombre d’affaires à traiter » ainsi qu’avec « certains effectifs du SAIP » – service de l’accueil et de l’investigation de proximité –, pour des « désaccords quant au traitement des affaires que ramenait la brigade ». En somme, la BTC Quatre-chemins s’opposait aux autres brigades à cause de ses méthodes.

« Pour moi la BTC c’est une police de proximité pour reconstruire la confiance avec les citoyens. Eux sont plus dans la répression et les interpellations », explique à la barre Ibtissam O., la cheffe de la BTC Centre-Ville. Julien S. – accusé de gazage gratuit et de violences – prétend que cette policière a « racolé au niveau de la cité Scandicci en ramenant des individus, pour les obliger à déposer contre nous. Elle a voulu nous nuire et est prête à mettre du stupéfiant dans notre bureau ». Une « cabale » qui arriverait « après que les têtes de réseau de la cité sont tombées grâce à nos informations. »Julien S. a d’ailleurs fait un rapport – après avoir su qu’une enquête était ouverte – disant qu’un des caïds de Scandicci s’était vanté d’avoir monté « un complot » avec les petits du quartier pour faire « tomber » la BTC.

« Ils étaient tous contre nous », renchérit Christian M. devant le tribunal notamment accusé d’avoir gratuitement cassé la main de Kevin*, un jeune de 17 ans connu des policiers pour des petites affaires de stups. Comme nous le racontions dans notre précédent article, le 20 juillet 2019, Kevin est appréhendé par la BTC Quatre-Chemins avant d’être conduit à l’hôpital : sa main gauche est brisée. Il écope de 45 jours d’ITT. Devant les magistrats, Christian M. décrit Kevin – présent à l’audience – comme un jeune « très violent » et réitère sa version : le mineur a attrapé le col d’Alisson P. et c’est pour lui venir en aide qu’il l’aurait tapé avec sa matraque. Or Alisson P., cheveux rasés sur les côtés, s’avance à la barre : « Kevin ne m’a jamais attrapé par le col. En arrivant au commissariat, ils se sont dirigés vers la salle des fouilles. Mais je ne sais pas ce qu’il s’est passé ».

*

Le prénom a été changé.

À l’époque, elle avait signé le procès-verbal disant qu’elle avait été attrapée par le col. « Personne ne m’a obligé à signer mais on ne veut jamais porter préjudice à son équipage. Je savais que le PV était faux et je l’ai signé. » Contrairement à ses collègues, elle n’est pas poursuivie pour ce faux. « Elle m’en voulait pour des problèmes d’horaires et voulait me discréditer, prétend Christian M. Je n’aurais jamais frappé Kevin gratuitement : il nous donnait des informations sur la cité Scandicci », balance-t-il avant de reconnaître que celles-ci étaient fausses et qu’une forme de rancœur mutuelle s’était donc créée. Une question émerge : ces violences avaient-elles pour but de le punir de ne pas donner des informations justes ?

Je savais que le PV était faux et je l’ai signé.

Sur la dizaine de policiers qui avaient témoigné contre ces méthodes, six déposent à la barre. Mal à l’aise, devant les anciens collègues et ceux venus faire nombre dans la salle d’audience, la plupart disent confirmer leurs déclarations de l’époque mais « ne plus se souvenir de rien » si longtemps après les faits. Que c’est dur de « balancer » ses colllègues en public.

Jalousie ?

Alors tous ces policiers, dont certains ne sont pas réputés pour être des enfants de coeur, se seraient-ils tous ligués avec des dealers de la cité Scandicci pour faire tomber d’autres policiers, simplement par jalousie ? La version semble caricaturale : un grand nombre de faits ne concerne pas des dealers, ni même des gens issus de cette cité. D’autres dealent même sur des points en concurrence, comme Yassine*, 15 ans au moment des faits, qui comparait détenu pour une autre affaire. Lui aussi se plaint d’avoir été passé à tabac gratuitement et sans interpellation dans un hall d’immeuble. Dans ses premières auditions, Yassine dit qu’il l’avait mérité parce qu’il avait couru.

« Il y a trois ans j’avais peur de la police. Je pensais que c’était normal de se faire frapper par la police et puis j’ai cru qu’il y aurait de représailles », dit-il a l’audience avant d’ajouter que « du jour au lendemain ils sont partis : on s’est dit : ouf ! Parce que les autres ne sont pas comme eux. » Chacun dans la salle a eu cette pensée furtive : « Veut-il dire que grâce à leurs départs, les jeunes dealers sont tranquilles ? » Ce que l’avocat de Christian M. ne manque pas de relever. « Non, ils font leur travail mais ça veut dire qu’on marche tranquille dans la rue », répond benoitement le jeune homme. Un policier, témoin du tabassage de Yassine et d’un autre jeune, racontait devant l’IGPN : « ils les ont frappé parceque cela faisait plusieurs fois qu’ils leur disaient de partir. J’ai vu des baffes et des coups, comme je ne cautionnais pas, je suis sorti du hall », avait-il déclaré.

Ce qui donne un écho particulier à la lancée lyrique du policier Yazid B. qui expose son parcours – né et grandi dans une cité – pour affirmer qu’il « sait comment ça se passe dans les cités », qu’aujourd’hui, « les jeunes ne sont pas inquiétés parce que les collègues ne travaillent pas de cette façon-là. Nous, on allait suivre des mecs avec nos voitures personnelles. Certains collègues ont peut-être fait de la merde et ils l’assumeront mais l’image qu’on donne de cette unité n’est pas la bonne », dit-il.

Mais il y a aussi une affaire qui fait tache dans ce récit des héros incompris. Celle du gardien d’immeuble qui ne connaît ni les jeunes de Scandicci, ni même les policiers de Pantin. Il n’habite même pas dans cette commune mais au Pré-Saint-Gervais. Un soir de janvier 2020, alors qu’il sort les poubelles de son immeuble, il prend trois coups, dit-il, de la part d’un policier pris dans une course-poursuite. Il écope de 21 jours d’ITT et porte plainte via un signalement IGPN sur internet, avant tous les autres. Devant les enquêteurs et à l’audience, il reconnaît formellement Raphael I. comme étant celui qui l’a frappé et Christian M. comme celui qui l’accompagnait.

Encore aujourd’hui, je ne comprends pas pourquoi il m’a tapé.

Deux témoins ont vu les mêmes choses, dont un voisin, présent à l’audience qui confirme identifier les deux policiers. « C’est impossible : je n’ai jamais vu ce monsieur », prétend Raphael I., avant de continuer dans sa version : « J’ai du mal à ne pas imaginer une collusion entre toutes ces personnes. Oui je me sens persécuté. » Pour Christian M. : ces gens sont « antipolice ». Ce que pense aussi Raphael I., qui dénonce une « haine viscérale contre la police » parce que « jamais un policier ne pourrait faire ça ».

Là encore la version semble caricaturale alors que le gardien d’immeuble est aujourd’hui agent de surveillance de la voie publique (ASVP) et veut devenir policier municipal. « Encore aujourd’hui, je ne comprends pas pourquoi il m’a tapé » dit-il à l’audience. Mais aucun bornage téléphonique ni trafics radios n’ont été récupérés qui prouveraient sans détour la présence des policiers à cet endroit. Comme le reste du dossier qui oppose principalement des témoignages face à d’autres. Des brèches dans lesquelles s’infiltre la défense.

Le procureur, qui avait refusé de saisir un juge d’instruction pour lancer une enquête plus longue mais plus fournie, a ainsi requis une relaxe pour Damien P. et Marc-Henri S. ; six mois de sursis avec un an d’interdiction d’exercer pour Julien S. et Yazid B. ; un an avec sursis et cinq d’interdiction professionnelle pour Christian M ; et enfin, dix-huit mois dont douze avec sursis et cinq ans d’interdiction professionnelle pour Raphael I. Décision le 14 septembre.

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