En Macronie, surdité et répression

Gilets jaunes, réforme des retraites, révoltes des quartiers populaires… Les crises s’enchaînent quasiment sans interruption pour un Emmanuel Macron autoritaire, qui ne veut ni entendre ni comprendre. Jusqu’à quand cela peut-il tenir ?

Pierre Jequier-Zalc  • 3 juillet 2023
Partager :
En Macronie, surdité et répression
Marche blanche pour Nahel, tué par un policier, le 29 juin 2023.
© Maxime Sirvins.

« Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. » Manuel Valls, alors Premier ministre, après les attentats de novembre 2015. Huit ans ont passé. Une phrase devenue doctrine. Ne pas expliquer. Ne pas politiser. Condamner ou légitimer. Dans une dichotomie digne d’un roman de gare, la Macronie, suivie par une bonne partie des médias mainstream, renvoie une semaine de révolte à une violence injustifiée. Injustifiable. Inexplicable, en somme. La stratégie est désormais trop bien connue, trop bien huilée. Dévier les débats de fond pour se concentrer sur la forme. Puis tourner en boucle dessus. Même processus lors de la mobilisation des gilets jaunes. Ou encore, plus récemment, pendant le mouvement contre la réforme des retraites. Toujours la même injonction, hier et aujourd’hui : condamnez-vous ces violences ? Expliquer, essayer de comprendre, en revanche, n’est pas une discipline macroniste.

Dévier les débats de fond pour se concentrer sur la forme. Puis tourner en boucle dessus.

Preuve en est : ce bingo, depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, de crises sociales qui s’enchaînent presque sans interruption. Les classes moyennes laborieuses : les gilets jaunes. Les fonctionnaires du service public : la crise sanitaire et de l’hôpital public. Les travailleurs, et surtout travailleuses, de la deuxième ligne : le mouvement social contre la réforme des retraites. La jeunesse des quartiers populaires : la mort de Nahel. À ces colères, légitimes, la seule réponse de ce pouvoir est celle de la surdité et de la répression. Ces derniers jours n’en sont qu’une cruelle illustration. Les jeux vidéo, les réseaux sociaux et le manque d’autorité parentale : voilà les vrais responsables du désordre, selon Emmanuel Macron, expert ès sciences sociales. Autant de déviations pour ne pas écouter. Des éborgnements, des arrêtés préfectoraux illégaux, une police toujours plus violente, des condamnations en comparution immédiate d’une extrême lourdeur : autant de répression pour faire taire. Jusqu’à quand cela tiendra-t-il ?

Sur le même sujet : Abandonner les notes pour mieux apprendre

Ces méthodes ont un but évident. Éviter, à tout prix, de s’attaquer au fond des problèmes. Pourtant, parfois, il s’agirait d’écouter les sachants. Car comprendre, c’est pouvoir agir. Expliquer, c’est vouloir améliorer. « C’est dans cette histoire [coloniale] que se sont construits un répertoire policier (contrôles d’identité, fouilles corporelles…) et des illégalismes violents (bavures, ratonnades…) qui n’ont pas cessé avec les indépendances des années 1960 », souligne, par exemple, Emmanuel Blanchard, directeur adjoint de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, dans un entretien au Monde. Un racisme de la police pointé du doigt par l’ONU. Mais non, circulez, il n’y a rien à comprendre, ces « émeutiers » sont des « nuisibles » pour reprendre les termes d’Alliance et de l’Unsa Police, les deux principaux syndicats policiers. « La police est merveilleuse », a même osé la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet.

Mais cette révolte ne dit pas que ça. Elle démontre une colère liée à l’abandon de ces quartiers. À la disparition des services publics, à l’incapacité de l’école à créer son rôle émancipateur, à l’insalubrité de logements sociaux vieillissants. À l’inflation, à laquelle les réponses gouvernementales sont restées au stade du pansement sur une fracture ouverte, aux inégalités fiscales, aux boulots pénibles, mal rémunérés, accidentogènes. Des phénomènes documentés, expliqués. Sans autre réponse politique à ces colères que celle de la répression, l’exécutif continue d’attiser la haine et la frustration. Jusqu’à quand cela tiendra-t-il ?

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Publié dans
Parti pris

L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.

Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Mollahs acculés, tactique éculée
Parti pris 30 avril 2024

Mollahs acculés, tactique éculée

Après la révolte populaire de septembre 2022, le régime iranien a d’abord courbé la tête, puis vite repris du poil de la bête, en réprimant férocement ses opposants. Il s’attelle aujourd’hui à restaurer la clé de voûte de son projet de société : s’attaquer à la liberté des femmes.
Par Patrick Piro
L’austérité qui vient
Parti pris 24 avril 2024

L’austérité qui vient

Le débat sur la politique économique du gouvernement s’annonce comme un théâtre d’ombres, avec un Parlement privé de vote. Une situation condamnable quand on sait ce que Macron a prévu pour ses trois dernières années à la tête du pays.
Par Michel Soudais
Européennes : à gauche, deux salles, deux ambiances
Parti pris 17 avril 2024

Européennes : à gauche, deux salles, deux ambiances

Et revoilà le vieux refrain des gauches irréconciliables. D’un côté, un candidat de compromis qui réactive le logiciel social-démocrate. De l’autre, la rupture brandie comme moteur de la gauche. Les vieux réflexes hégémoniques menacent une possible réconciliation après les élections.
Par Lucas Sarafian
Pollueurs éternels
Billet 10 avril 2024

Pollueurs éternels

Une proposition de loi contre les substances chimiques « per- et polyfluoroalkylées » – PFAS – aussi appelé « polluants éternels », a été adoptée à l’unanimité. Elles sont le révélateur de deux mondes qui s’affrontent avec aigreur alors qu’elles devraient être le tournant vers une bifurcation écologique globale.
Par Vanina Delmas