« Ils veulent des boucs émissaires » : à Nanterre, une justice expéditive

Quand elle veut, la justice sait être rapide. Ce vendredi, une vingtaine de prévenus passaient en comparution immédiate au tribunal judiciaire de Nanterre, après avoir participé aux événements qui ont suivi la mort du jeune Nahel, tué par un policier.

Zoé Neboit  • 1 juillet 2023
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« Ils veulent des boucs émissaires » : à Nanterre, une justice expéditive
Marche blanche pour Nahel, à Nanterre, le 29 juin 2023.
© Maxime Sirvins

Le chemin vers le tribunal administratif de Nanterre porte encore les marques des deux dernières nuits de révolte. Sur plusieurs mètres, une enfilade de vitres brisées de commerces, de bureau et de banques. Devant les grilles du tribunal, des tableaux d’affichages sont maculés de tags « ACAB » (« All cops are bastards », NDLR) ou « mort aux porcs ». Devant la masse de fourgons de CRS, la rue est calme cet après-midi. Le contraste avec les événements de la veille est saisissant. La veille, la séance avait été levée après que des manifestants eurent tiré quelques pétards. Au 1er étage, dans la salle 4 de la 16e chambre correctionnelle, six prévenus sur la vingtaine de l’après-midi, âgés de 18 à 31 ans sont jugés en comparution immédiate pour des faits survenus la nuit de mercredi à jeudi.

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La séance est longue, entrecoupée de plusieurs suspensions d’audience. L’atmosphère, lourde dans cette salle pleine de mères – presque tous les prévenus ont été élevés par leur mère seule avec qui ils vivent encore -, frères, sœurs et amis des prévenus. La nuit dernière, 875 personnes ont été interpellées. « Il s’est passé quoi Monsieur, mercredi soir ? Un mariage dans les Hauts-de-Seine ? » C’est en ces mots, un rien ironiques, que le substitut du procureur de la République a interpellé un à un les prévenus. Nanterre, Issy-les-Moulineaux, Courbevoie, tous ont été interpellés aux quatre coins du département pour des faits que le jury et le ministère public associent aux violences urbaines suite à la mort de Nahel, 17 ans, tué par un policier mardi 27 juin. Malgré l’insistance d’un substitut du procureur provocateur – « Vous avez une haine de la police, c’est ça ? », lancera-t-il à l’un des prévenus –, aucun d’entre eux ne nomme directement les raisons des actes. Des actes qu’ils reconnaissent par ailleurs.

Délibérations express et prison ferme

« Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça, c’était de la curiosité mal placée », déclare Aidan*, 23 ans, accusé d’avoir jeté plusieurs mortiers sur des agents de la BTC (brigade territoriale de contact) à Courbevoie. « Je n’ai pas réfléchi, mais j’en suis pas fier », explique Moussa*, tout juste 18 ans, qui se retrouve en comparution immédiate après avoir été arrêté devant une poubelle incendiée par un jeune mineur de son quartier qu’il n’a pas empêché d’agir. Dans ces profils, certains ont des casiers pour d’autres délits, mais la plupart n’ont jamais eu de démêlés avec la justice. « Quand un gamin dit qu’il est incapable d’expliquer ce qu’il s’est passé, je crois que c’est sincère et que c’est la réalité. Il y a le mouvement de masse, c’est très difficile. Ce qui me frappe c’est la jeunesse de tous les prévenus. Là encore, ce sont des majeurs, mais on a beaucoup de mineurs », explique Morad Falek, avocat d’un des prévenus. « Nous-mêmes sommes incapables de comprendre ce qu’il se passe. »

On veut des réponses rapides dans une situation exceptionnelle ! 

Entre deux séances, des proches des prévenus s’insurgent : « Ils veulent faire des exemples, des boucs émissaires c’est tout », tempête Mehdi, 20 ans, qui habite à Nanterre et connaissait Nahel « depuis qu’il est tout petit ». À ses côtés, la mère d’un des jeunes prévenus attend la délibération avec angoisse. Elle ne cautionne pas les violences de ces derniers jours, mais « comprend que les jeunes soient sur les dents ». Après des délibérations express – une vingtaine de minutes pour tous les prévenus –, le tribunal requiert plusieurs peines de prisons fermes. L’un d’eux, âgé de 23 ans, prend 6 mois fermes avec mandat de dépôt pour « rébellion » lors de son interpellation, ainsi que pour avoir fait le guetteur en haut d’un immeuble, faits qui caractérisent « dans ce contexte », selon le parquet, le groupement en vue de la préparation de violences ou dégradations. Une infraction aux contours très flous qui a déjà été largement utilisée envers des militants et manifestants durant le mouvement social contre les retraites.

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Car c’est là la particularité de ces comparutions immédiates : le « contexte » a, sans équivoque, pesé de tout son poids dans les condamnations. Un élément que n’ont pas manqué de critiquer tous les avocats de la défense : « On semble oublier le droit. C’est le chaos de dehors qui arrive dans la salle d’audience ! », tonne Fabien Arakelian, l’un d’entre eux. « On veut des réponses rapides dans une situation exceptionnelle », estime quant à lui Morad Falek. Mais « ce n’est pas à la justice d’éteindre une révolte » rappelle le Syndicat de la magistrature dans un communiqué publié aujourd’hui. « On oublie l’essentiel : on a un gamin de 17 ans qui est mort et j’ai l’impression que tout le monde l’oublie. Le véritable scandale est là », conclut l’avocat avant de revenir dans la salle d’audience. Des condamnations qui se veulent d’une rare fermeté, « pour l’exemple », reconnaît-on, mais qui pourrait bien ajouter au désordre, alors que de nouvelles nuits de révolte se préparent.

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Les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.

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