Montée des eaux dans le Cotentin, s’adapter ou lutter
Deux tiers du littoral normand sont exposés à l’érosion due à la montée des eaux. Dans le Cotentin, entre les dunes et les marais, la situation pousse déjà certains habitants à s’interroger sur leur avenir.
dans l’hebdo N° 1767-1771 Acheter ce numéro

© Rose-Amélie Bécel
Main en visière sur le front pour apercevoir l’horizon, Pierre Aubril a le regard tourné vers la mer. Au bout de ses champs, elle s’étend à perte de vue : « L’hiver, quand on voit d’ici les vagues taper sur la digue, on se sent tout petit. » À Ravenoville (Manche), les 60 hectares de l’agriculteur bio, qui élève des vaches avec son fils, sont situés en zone de submersion marine. « Je dis souvent à mes enfants que je leur transmets un cadeau empoisonné, les parcelles les plus basses sont 2 mètres en dessous du niveau de la mer », raconte l’éleveur. Selon le Giec normand, groupement d’experts et scientifiques régionaux spécialistes des questions climatiques, l’élévation du niveau de la Manche menace les logements de plus de 120 000 personnes en Normandie. Si l’eau venait à monter d’un mètre d’ici à 2100 – estimation haute des scientifiques –, alors les grandes marées pourraient se produire 65 fois par an, contre environ 4 fois aujourd’hui, renforçant les risques de submersion.
Je dis souvent à mes enfants que je leur transmets un cadeau empoisonné.
Pierre AubrilPierre Aubril connaît par cœur ce sombre tableau. Pendant plus de vingt ans, l’éleveur a été maire de Ravenoville. Il a aussi co-piloté le plan Notre littoral demain, afin de préparer l’adaptation des communes de la côte est du Cotentin aux enjeux climatiques. Mais la pandémie a eu raison du projet, petit à petit tombé dans l’oubli, et, depuis les élections municipales de 2020, l’ancien édile est passé dans l’opposition. Dans ce territoire qui reste conservateur, son approche écologiste n’a pas conquis la majorité : « On s’imagine que le littoral a toujours été ainsi, qu’on a toujours connu des problèmes de submersion et qu’on trouvera toujours des solutions techniques pour lutter contre. Mais les changements qui existaient autrefois sont aujourd’hui bien plus rapides, d’où la nécessité d’une adaptation difficile à admettre car elle doit être radicale. »
Pierre Aubril : "A-t-on vraiment besoin de tout déplacer pour aller bétonner ailleurs ?" (Photo : Rose-Amélie Bécel.)Le paysan applique cette philosophie à son exploitation, dont l’avenir est déjà tout tracé dans son esprit. Dans vingt-cinq ans, il imagine son troupeau de vaches intégralement remplacé par des moutons de pré-salé. Plus tard encore, sur des terres devenues marécageuses, son petit-fils élèvera des oies. Puis, quand la mer aura achevé de recouvrir ses champs, son arrière-petit-fils se tournera vers la pisciculture. « C’est ça,
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