Un an après la mort de Moussa Sylla, un hommage pour demander justice

L’enquête sur l’accident du travail qui a coûté la vie à cet agent de nettoyage au cinquième sous-sol de l’Assemblée nationale est toujours en suspens. Un rassemblement a eu lieu à côté du Palais-Bourbon.

Pierre Jequier-Zalc  • 13 juillet 2023
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Un an après la mort de Moussa Sylla, un hommage pour demander justice
Danielle Cheuton (CGT) et Ladji Sylla, le frère de Moussa, lors du rassemblement d’hommage qui s’est tenu le 12 juillet, à proximité de l’Assemblée nationale.
© Pierre Jequier-Zalc

« On a du mal à comprendre : que fait la France ? » C’est les yeux embués que Ladji Sylla a pris le micro, ce mercredi, à quelques dizaines de mètres de l’Assemblée nationale. Face à lui, quelques dizaines de personnes, essentiellement des syndicalistes de l’Assemblée, des collaborateurs parlementaires et des députés. Tous sont venus pour rendre hommage à son frère, Moussa Sylla, mort le 12 juillet 2022, trois jours après un accident de travail qu’il a eu au cinquième sous-sol du Palais-Bourbon. Le jour de l’accident, cet agent de service de nettoyage pour l’entreprise Europ Net, sous-traitant de l’Assemblée nationale, commence sa journée à 7 heures.

Quelles sont les responsabilités d’Europ Net ? Et de l’Assemblée nationale ?

Il est censé la terminer à midi. Il est 11 heures 15 quand ce Mauritanien de 51 ans emprunte la rampe conduisant du 4e au 5e sous-sol du parking de l’Assemblée pour aller ranger sa machine – une autolaveuse autoportée. Sans explication officielle à ce stade, il en perd soudainement le contrôle. La machine prend alors de la vitesse et vient percuter un petit trottoir de protection. La force du choc éjecte le travailleur. Sa tête percute alors violemment le mur. Plongé dans le coma, il décède trois jours plus tard à l’hôpital du Kremlin Bicêtre.

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Aucun député de la majorité ou de la droite

À l’époque, ce décès avait provoqué l’émoi au sein du Palais-Bourbon. Les parlementaires avaient observé une minute de silence et la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, reçu la famille du défunt. Une année est passée. Et l’émoi semble bien être redescendu. À ce rassemblement d’hommage, aucune trace d’un parlementaire de la majorité ou de l’aile droite de l’hémicycle. Seuls quelques députés des quatre groupes de la Nupes avaient fait le déplacement.

Pour cause, un an après cet accident de travail, de nombreuses questions restent en suspens. Quelles sont les responsabilités d’Europ Net ? Et de l’Assemblée nationale ? Moussa Sylla était-il formé pour utiliser la machine qu’il conduisait ce jour-là ? Des réponses que l’enquête devrait apporter. Mais, comme souvent dans les procédures judiciaires pour accident du travail, celle-ci se fait attendre, notamment pour la famille qui n’en peut plus de ne pas comprendre ce qui est arrivé. « On ne sait rien, rien, rien », répète Ladji Sylla, désemparé, « moi je demande simplement la justice pour mon frère ».

Un plan de prévention changé en catimini

Comme Politis le révélait début mars, l’inspection du travail a terminé son enquête et a soulevé des manquements dans l’obligation de sécurité qui incombe aux employeurs vis-à-vis de leurs salariés. Preuve en est, un procès-verbal, qui répertorie la ou les infractions présumées au code du travail, a été déposé au parquet de Paris en début d’année. Le caractère de ces infractions et le(s) nom(s) de leur(s) auteur(s) n’ont, en revanche, pas fuité. Il reste désormais au parquet de décider d’engager des poursuites pénales ou non sur cette base.

Les virements opérés par la CRAMIF pour la rente due pour l’accident du travail ne sont jamais arrivés en Mauritanie où vivent sa femme et ses deux enfants.

Outre le temps long de la justice, c’est l’absence de réponse de l’Assemblée nationale qui interroge. En effet, comme révélé dans nos colonnes, celle-ci a changé, en catimini, le plan de prévention – ce document obligatoire qui régit et explique les règles de sécurité – passé entre elle et Europ Net peu après l’accident. « Ça a été une bataille de malade pour obtenir ce plan de prévention », note Manon Amirshahi, co secrétaire générale de la CGT des collaborateurs parlementaires. Le Palais-Bourbon a également refusé d’ouvrir une enquête interne, rejetant l’intégralité de la responsabilité sur le sous-traitant.

« La sous-traitance, c’est la mort ! »

C’est donc tout symboliquement que le collectif nettoyage de la CGT et la famille de Moussa Sylla ont décidé d’organiser ce rassemblement à quelques mètres de l’Assemblée nationale. Au micro, la CGT-SPAN, qui représente les fonctionnaires de l’institution, revendique la réintégration des personnels sous-traitants au sein de l’Assemblée. Une revendication partagée par Rachel Kéké. La députée LFI rappelle, en prenant la parole, son passé de femme de ménage pour le groupe Accor, en tant que sous-traitante. « La sous-traitance, c’est la maltraitance. La sous-traitance, c’est la mort ! » À la fin de son intervention, la petite foule scande, d’une seule voix, « Justice pour Sylla ».

Surtout, la famille de Moussa Sylla – sa femme et ses deux enfants – continue de vivre en Mauritanie. Depuis la France, il leur envoyait de l’argent gagné grâce à ses emplois à temps partiel dans le monde du nettoyage. Depuis sa mort, ce n’est plus le cas. Et les virements opérés par la CRAMIF pour la rente due pour l’accident du travail ne sont jamais arrivés. « On ne sait pas pourquoi », confie Danielle Cheuton, membre du collectif nettoyage Paris de la CGT, « on suppose que l’argent est bloqué par la banque mauritanienne, mais on n’est pas sûr, on se renseigne ». Pour faire face à cette situation critique, les différents organes de la CGT qui accompagnent la famille ont créé une cagnotte pour leur venir en aide.

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