Sophie Binet et François Ruffin : « Nous devons cheminer ensemble »
L’une a repris le flambeau de Philippe Martinez depuis le congrès de la CGT. L’autre a fait du travail un thème majeur pour reconquérir les électeurs attirés par le Rassemblement national. Tous deux regardent 2027 non pas avec inquiétude, mais avec détermination. Entretien croisé.
Sophie Binet et François Ruffin parlent la même langue, mais pas du même endroit. Le 263, rue de Paris, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), où a lieu cette rencontre (1), c’est chez elle, depuis six mois, et le foyer historique des 660 000 adhérents de la confédération. L’élu de la Somme le sait bien. Il doit composer tout en finesse avec celle qui a connu de francs succès : de la pétition contre la loi travail, en 2016, qui avait recueilli plus d’un million de signatures en deux semaines, jusqu’à l’inédite mobilisation de cette année. Dix ans à naviguer au sein des instances de la CGT avant de devenir la première femme au poste de secrétaire générale. Certes, la réforme est passée. Il faut trimer jusqu’à 64 ans pour pouvoir partir à la retraite. Mais le texte est entré en vigueur à coup de 49.3. Et les syndicats, CFDT et CGT en tête, ont le vent en poupe, tous deux ayant attiré plusieurs dizaines de milliers de nouvelles recrues.
Cet entretien a été réalisé le 4 octobre dernier, avant la mobilisation sociale du 13 et l’assassinat du professeur de lettres, Dominique Bernard, le même jour, à Arras.
Alors, pour celui qui a mis le cap vers l’Élysée depuis sa Picardie d’élection, le moment l’impose : il faut réfléchir à faire un bout de chemin ensemble. « La charte d’Amiens, ce ne sont pas les Tables de la Loi », avance le député-reporter, laissant planer l’idée que des alliances stratégiques entre la CGT et la gauche seraient fort utiles. « La CGT est à un moment de maturité », répond sobrement Sophie Binet, qui n’oublie pas les dégâts des anciennes dépendances vis-à-vis du Parti communiste. Elle a été très claire, le 23 septembre, en s’adressant directement à Jean-Luc Mélenchon pour réaffirmer « l’indépendance » des organisations syndicales. Aujourd’hui, alors que Sophie Binet et François Ruffin constatent une critique très forte des errances du néolibéralisme dans la société et partagent un même objectif, « faire gagner le camp progressiste face à l’extrême droite », pour la première, c’est clair : chacun garde son propre navire. Mais une chose est sûre : les millions de personnes dans les rues contre la réforme des retraites devront faire partie de l’équipage.
Le 23 septembre, 6 000 personnes défilaient à Langres, commune de 7 700 habitants, pour un meilleur accès aux soins, à l’appel d’un collectif, Égalité et santé. Dans la manifestation, ni CGT ni politique de gauche, mais le député Rassemblement national (RN) Christophe Bentz. Cet exemple est-il une forme d’échec de la part des syndicats et des partis politiques de gauche comme représentants de la voix de ces populations rurales et précaires ?
François Ruffin : Cette manifestation est un symptôme, une alerte visible, mais le décrochage politique de la gauche dans ces territoires vient de loin. Le problème est antérieur. Sinon, les gens n’auraient pas voté pour eux ! Ce qui est paradoxal, c’est que les revendications de cet événement portaient beaucoup sur la place de l’État. Or le RN n’en parle pas, jamais, alors que partout dans le pays, son pilier social, l’hôpital, et son pilier républicain, l’École, sont minés. On peut prendre en défaut le RN sur ces manques : l’État, le travail et le partage des richesses. Les mots « partage », « dividende », « actionnaire », « intérim » n’existent pas chez eux. Ils peuvent faire semblant, dans une manifestation, de vouloir le retour de l’hôpital, mais ce n’est pas du tout pensé dans un programme.
François Ruffin est député de la Somme. C’est son deuxième mandat. Ardent défenseur d’une gauche unie, il occupe à La France insoumise une place singulière, ne marchant pas toujours dans les pas de Jean-Luc Mélenchon. Il est rapporteur pour le budget de la Sécurité sociale sur le volet maladies professionnelles et accidents du travail.
Sophie Binet : Je rejoins François Ruffin lorsqu’il évoque ces trois priorités. Pour nous, à la CGT, l’extrême droite refuse d’affronter le capital. Elle le refuse parce qu’elle est le fruit des politiques néolibérales. D’ailleurs, le capital subventionne largement l’extrême droite : en France, on le voit avec Vincent Bolloré, qui mène une stratégie de conquête de l’hégémonie culturelle, aux États-Unis avec l’action de Donald Trump sur Fox News, et en Grande-Bretagne, c’est la finance autoritaire, composée d’une partie du capital et du patronat, qui a eu un intérêt stratégique à sortir de l’Union européenne.
Son arrivée à la tête de la CGT, le 31 mars dernier, avec 82 % des voix des 32 fédérations est l’aboutissement d’un parcours d’engagement syndical et féministe, par l’Unef puis l’Union générale des ingénieurs, des cadres et des techniciens jusqu’au bureau confédéral de la CGT. Elle défend la puissance de l’intersyndicale avec sa nouvelle homologue de la CFDT, Marylise Léon.
Il y a ce constat partagé entre vous deux, mais comment, stratégiquement, la gauche et les syndicats peuvent faire pour qu’il rencontre l’adhésion du plus grand nombre ?
S. B. : Ce ne sont pas les mêmes questions qui sont posées aux politiques et aux syndicats. Aujourd’hui, la défiance vis-à-vis des organisations syndicales, je ne la vois pas. Certes, il peut y avoir un risque d’institutionnalisation du syndicalisme. Mais les syndicats restent des organisations de masse : on compte plus de 2 millions d’adhérents en France parmi tous les syndicats, avec une implantation de grande proximité et un fonctionnement qui n’est pas délégataire. On sort renforcés de la séquence des retraites, où 150 000 nouvelles personnes ont adhéré à un syndicat. Sur les défis vis-à-vis du RN, politiques et syndicats ont chacun leur feuille de route et des points à travailler ensemble.
Les organisations syndicales doivent être unies, aussi parce que les salariés savent que c’est un gage d’efficacité et de combativité.
S.B
Historiquement, la CGT a toujours été extrêmement claire sur la question du fascisme. Elle a toujours pris ses responsabilités. En 1933, Hitler arrivait au pouvoir en Allemagne, en France, on a gagné le Front populaire notamment parce que la CGT a fait ce travail d’unification du syndicalisme. Aujourd’hui, la CGT veut poursuivre ce désir d’unité dans un contexte où l’extrême droite n’a jamais été aussi proche de l’Élysée. Face à ce risque, les organisations syndicales doivent être unies, aussi parce que les salariés savent que c’est un gage d’efficacité et de combativité. La deuxième responsabilité, pour nous, c’est de ne jamais céder face au RN. Cela passe par l’organisation de journées thématiques de lutte contre l’extrême droite qui rassemblent plus de 400 000 inscrits.
En 2022, plus de 20 % des sympathisants de la CGT ont voté RN. 8 points de plus qu’en 2017. Comment expliquez-vous une telle hausse ?
S. B. : Ce sont des sympathisants, et là, précisément, il s’agit du vote. Je ne vais pas demander aux syndiqués pour qui ils votent. Par contre, avoir des gens qui sont militants, c’est autre chose. Et je le dis clairement : être militant pour un parti d’extrême droite, c’est incompatible avec la CGT. Plus largement, c’est le combat contre l’imposture sociale du RN qu’il faut mener. On doit progresser sur ce point : ce ne sont pas seulement les valeurs qui vont faire reculer ce parti. Il faut démontrer qu’il est l’ennemi du monde du travail, et en quoi nos luttes collectives sont le meilleur moyen de gagner des droits. C’est pour cela que nous sommes très en colère contre Emmanuel Macron : en refusant de reculer face aux syndicats sur les retraites, il conforte le discours du RN sur l’idée que les luttes collectives sont inutiles.
Le néolibéralisme entretient une forme d’instabilité permanente et de désordre, ce que Macron appelle la « vie liquide ».
F.R
F. R. : À propos du Rassemblement national, il n’y a pas de fatalité : la crise de 1929 débouche sur le nazisme en Allemagne, mais elle débouche sur le New Deal aux États-Unis et le Front populaire en France. L’histoire reste toujours ce que les hommes et les femmes en font. En France, jamais l’extrême droite n’est arrivée au pouvoir par les urnes. Alors, comment faire pour affronter le RN ? Je partage l’idée de Sophie Binet quand elle dit que ce n’est pas agiter la peur du RN qui amènera notre victoire. C’est une lutte au jour le jour pour remettre du conflit vertical (eux en haut, nous en bas). Dans mon coin, je demande souvent aux habitants : « Qui est-ce qui t’a licencié, c’est le migrant, c’est les « assistés » ou ton PDG et ses actionnaires ? » Pour moi, se joue une question fondamentale, celle de la stabilité. Le néolibéralisme entretient une forme d’instabilité permanente et de désordre, ce que Macron appelle la « vie liquide », surtout pour les classes populaires. C’est par le travail délocalisé, écrasé, méprisé que le RN s’est installé. C’est par le travail respecté, bien rémunéré et reconnu que nous reprendrons pied.
Comment la gauche peut-elle apparaître comme un gage de stabilité ?
F. R. : Les moments de victoires politiques relèvent bien souvent de la transformation d’un conflit social antérieur. Avec toutes les déceptions qu’ont pu apporter ces expériences politiques, mai 1981, c’est la traduction tardive de 1968, la victoire de Jospin en 1997, c’est l’aboutissement de la victoire de décembre 1995, François Hollande en 2012, c’est le débouché de la lutte contre la réforme des retraites de 2010. Je craignais beaucoup que le covid n’engloutisse la population dans une forme de résignation générale. Mais non, le mouvement de cette année était massif. Ça fait des années qu’on n’avait pas vu une telle ferveur. Je n’arrive pas à penser qu’une gauche, demain, à Albert, à Péronne ou à Friville-Escarbotin, ne puisse pas s’appuyer sur ces manifestants et être porteuse d’espoir. C’est là que l’on doit avoir une discussion : il faut traduire politiquement l’engagement qui a été celui de millions de manifestants lors de la bataille des retraites.
S. B. : Nous, on est très tranquilles pour dire qu’il faut des débouchés politiques à nos luttes. Évidemment, quand il y a une alternative politique progressive, ça nous donne de l’air et ça élargit le champ des possibles. Les syndicats construisent les dynamiques sociales, après il faut que la gauche politique prenne ses responsabilités. Je pense que c’est important, pour respecter les uns et les autres, de ne pas se donner des leçons. Nous, de l’endroit où on est, on peut dire qu’il y a une aspiration à l’unité. C’est clair. Les travailleurs et travailleuses aspirent à l’unité syndicale parce que c’est cette stratégie qui donne confiance. Je pense que sur le plan politique, c’est un peu la même chose. Du côté syndical, on partait quand même de très loin ! Réussir à ce que la CFDT et la CGT bataillent ensemble pendant six mois et continue de le faire avec la mobilisation du 13 octobre, et une autre en décembre, ce n’était pas gagné !
S’il ne s’agit pas de donner des leçons, un bilan peut être tiré du mouvement contre la réforme des retraites. Sophie Binet, quelles erreurs pourraient être évitées afin de permettre une transformation politique de ce conflit social ?
S. B. : Ce n’est pas à moi de donner les bons ou les mauvais points. Les batailles menées à l’Assemblée et au Sénat étaient importantes. Seules dans la rue, sans l’appui de la Nupes, mais aussi de Liot et progressivement de quelques LR, les organisations syndicales n’auraient pas eu cette force pendant six mois. C’était précieux, et je le dis. Ce dont on a besoin, et j’espère qu’on est en train de cheminer sur ce point, c’est que la normalisation des relations entre syndicats et partis politiques repose sur une bonne compréhension du rôle et de la place des uns et des autres. Certes, il n’y a pas de « domaine réservé ». Mais il y a des responsabilités différentes. Pour le politique, celle d’exercer le pouvoir, pour les syndicats, organiser les travailleuses et travailleurs. C’est ce qui explique l’ampleur de la bataille des retraites : l’unité syndicale a été organisée sur la base des revendications des travailleuses et des travailleurs, et pas d’en haut à partir d’objectifs ou de mots d’ordre politiques.
Il faut frayer un chemin d’espérance à un peuple déboussolé.
F.R
F. R. : La gravité du moment induit d’arrêter de se taper les uns sur les autres, d’arrêter l’horreur de Twitter. Nos adversaires ne sont pas à gauche, ils sont du côté de l’extrême droite et de l’extrême argent. Maintenant, l’union est une condition nécessaire mais non suffisante. Si vous allez voir les gens pour leur dire « regardez comment on est unis », ils s’en fichent. Il faut frayer un chemin d’espérance à un peuple déboussolé. C’est ce que nous avons réussi à faire en juin dernier avec une proposition de loi sur le droit aux vacances : rouvrir un imaginaire de progrès, avec des propositions majoritaires.
S. B. : Je suis tout à fait d’accord !
La réforme des retraites a notamment ramené sur le premier plan la question de la santé au travail. Pourtant, très peu de mesures concrètes sont avancées pour y répondre. Localement ou à échelle nationale, cet exemple ne peut-il pas déboucher sur des accords concrets entre vous ?
S. B. : Les organisations syndicales se battent pour améliorer les conditions de travail qui se dégradent à cause de cette obsession de la productivité. C’est ce qu’il se passe dans le secteur du soin et du lien. Le travail perd de son sens et devient toujours plus intense. La mobilisation contre la réforme des retraites a mis en lumière cette revendication d’une majorité de salariés : il est impossible de tenir cette cadence jusqu’à la retraite. Évidemment, pour les ouvriers qui ont les métiers les plus durs, mais aussi pour les cadres qui subissent des transformations permanentes et sont contraints de les appliquer à leurs équipes. Nous, on veut gagner des droits nouveaux pour que les salariés retrouvent la maîtrise de leur travail. Et c’est en cela qu’on a besoin d’agir avec les forces politiques du progrès puisqu’un certain nombre de ces questions passent par la loi. Or avec toutes les contre-réformes passées – loi Rebsamen, loi El Khomri, ordonnances Macron –, on a encore moins de possibilités d’agir sur les conditions de travail avec un code du travail qui est sans cesse transformé et écrasé. Comme le disait François Ruffin, l’autoritarisme gouvernemental ruisselle jusqu’à l’entreprise.
Ces contre-réformes renvoient-elles les syndicats à une position défensive de préservation des acquis plus qu’à une invention d’un futur désirable ?
S. B. : Le problème, c’est que les acquis, ils sont tous cassés. La CGT est très ambitieuse sur les propositions à mettre en œuvre pour que la citoyenneté ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise et pour qu’il y ait un grand élan démocratique. Les deux grandes leçons de la bataille des retraites, c’est la question du travail, qui est revenue sur le devant de la scène, et l’aspiration démocratique – dans l’entreprise comme dans la cité. Les passages en force d’Emmanuel Macron se multiplient parce que la lucidité sur la dureté de ses réformes progresse. C’est ça, l’espoir. Le point d’autocritique à faire pour nous, syndicats, c’est qu’historiquement le mouvement ouvrier a souvent dit que la question démocratique était une question bourgeoise. Or aujourd’hui, on voit bien que la réforme des retraites a pu être imposée à cause de la Ve République. Nous appelons donc clairement à une VIe République.
Les passages en force d’Emmanuel Macron se multiplient parce que la lucidité sur la dureté de ses réformes progresse.
S.B
F. R. : Nous sommes hégémoniques sur les questions économiques et sociales. Il y a quinze ans, quand on parlait de souveraineté ou de protectionnisme, on était has-been, on ramait à contre-courant. Non seulement la gauche, mais l’opinion générale a basculé sur ces sujets, tout comme sur l’indexation des salaires sur l’inflation, ou les taxes sur les dividendes. Tous les jours, les gens font face à l’échec du marché. L’hôpital, l’école, l’énergie. Depuis sa prison dans les années 1920, Gramsci disait qu’on vivait un temps de « détachement de l’idéologie dominante ». Concurrence, croissance, mondialisation, compétitivité, tous ces mots inquiètent les gens quand ils ne les font pas fuir ! Même les libéraux ne font plus campagne avec ce lexique ! Dans ce contexte, nous dit Gramsci, la classe dominante ne dirige plus : elle ne fait que dominer, elle règne par la force de coercition : la matraque dans la rue, le 49.3 dans l’Assemblée. Dans ce temps-là, des alliances entre front politique et front syndical sont à mettre sur la table…
C’est aussi le but de cette rencontre…
F. R. : Au-delà de nos rôles respectifs, il y a un état d’esprit à transmettre au pays. Dans Histoire d’un Allemand, Sebastian Haffner explique que l’avènement du nazisme a été rendu possible par des gens qui l’ont voulu, mais aussi et surtout par d’autres qui n’ont rien fait, par la dépression généralisée qui a saisi la société allemande. Pendant mes campagnes, je dis souvent aux militants : « Notre ennemi, c’est toujours la finance, mais c’est surtout l’indifférence. » Notre mission, c’est de faire que les gens ne se retirent pas dans l’abattement. De ne pas être la gauche qui broie du noir, qui fait la liste de courses des problèmes. Dans toutes les enquêtes sur le RN, il est montré que les travailleurs qui se sentent sous contrainte dans leur entreprise sont ceux qui ont une propension plus forte au vote RN. Proposons, ensemble, chacun à sa place, un grand projet pour les travailleurs. Le faire-ensemble face au défi climatique. Le retour d’un État stratège qui régule le marché et indexe les salaires sur l’inflation. De la démocratie en entreprise qu’on doit réinsuffler, au sommet et à la base : donner plus de place aux salariés et aux représentants du personnel, mais aussi aux ONG, aux associations de consommateurs, aux élus locaux. Pour inverser cette dynamique, il faut actionner un levier ensemble, politiques et syndicats : travailler mieux.
On sait que pour 2027 il faut qu’il y ait une gauche rassemblée autour de vraies alternatives politiques.
S.B
S. B. : La question, ce n’est pas un ou plusieurs interlocuteurs. On sait que pour 2027 il faut qu’il y ait une gauche rassemblée autour de vraies alternatives politiques. Parce que si c’est pour faire la même chose que François Hollande, ce n’est pas la peine.
Dans la perspective de 2027, est-il possible de dépasser l’autonomie syndicale ?
S. B. : Si vous pensez que la CGT doit fusionner avec une force politique, c’est aller dans le mur parce que ça ne répond pas aux problèmes. Il faut que chaque acteur progressiste fasse la part qui lui revient. La nôtre consiste à rassembler les travailleurs, faire des propositions et convaincre le politique de les soutenir. Pour la CGT, aujourd’hui, on est à un moment de maturité. On doit travailler avec les forces politiques, mais on ne le fera pas en niant le rôle qui est le nôtre. La CGT le dit très clairement : on ne déclenchera jamais une lutte pour un autre objectif que celui de la lutte elle-même. Dans l’autre sens, on ne mettra jamais le couvercle sur une lutte au motif qu’elle dérangerait l’accession au pouvoir d’une force politique.
La gauche n’arrive jamais au pouvoir dans une société froide, sans initiatives syndicales, associatives.
F.R
F. R. : C’est la charte d’Amiens, donc j’y suis attaché par patriotisme régional (rires). Mais ce ne sont pas non plus les Tables de la Loi. Les rapports entre partis et syndicats ont une histoire mouvementée en France. Il y a eu la scission au début du XXe siècle, puis une forme de fusion avec le PCF. Aujourd’hui, c’est une distance respectueuse : de nouveaux ponts sont à trouver. La gauche n’arrive jamais au pouvoir dans une société froide, sans initiatives syndicales, associatives, locales qui disent toutes, à leur échelle, « regardez, c’est possible ! ». Ambroise Croizat n’aurait jamais posé les bases de la Sécurité sociale s’il n’y avait pas eu des milliers de caisses de solidarité ouvrière, un déjà-là sur lequel s’appuyer pour le généraliser à la Nation tout entière. Il y aura forcément des vents contraires. Medef, Banque centrale européenne, OMC, Sénat, institutions de sondage, médias : tous seront des freins à la transformation du pays. Sans une immense poussée populaire, les nouveaux gouvernants ne feront pas le poids, y compris les plus vertueux et volontaires. Face à ces obstacles, je suis convaincu que l’on cheminera ensemble.
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