Hervé Berville : la mer et (surtout) au-delà

Très jeune secrétaire d’État à la Mer, Hervé Berville navigue entre la pêche et l’écologie en tâchant de faire le moins de vagues possible. Son chemin vers un plus grand avenir politique est périlleux, mais le Breton s’accroche, malgré les remous.

Guy Pichard  • 29 novembre 2023 abonné·es
Hervé Berville : la mer et (surtout) au-delà
© Guy Pichard

« Il aurait toute sa place à la tête des professionnels de la pêche industrielle mais pas en tant qu’élu de la République. » Lapidaire, la directrice de l’ONG Bloom, Claire Nouvian, incarne sans doute la plus farouche opposante au secrétaire d’État à la Mer. Son association, engagée dans la protection des écosystèmes marins, avait même porté plainte devant la Cour de justice de la République, le 11 avril 2023, assurant qu’Hervé Berville avait eu des « propos irresponsables […] et généré un désordre aux conséquences graves ».

Irrité par le sujet, celui qui a été élu dès 2017 sous l’étiquette LREM dans la deuxième circonscription des Côtes-d’Armor change de ton au téléphone avec Politis à l’évocation de cet épisode médiatique dont il se serait bien passé. « Sa plainte a été classée sans suite au bout de 24 heures », balaye-t-il, bien que ce soit en réalité six jours, selon l’AFP. « Personnellement, je pense que les gens qui sont dans l’outrance et la caricature ne font pas avancer le débat. Ce qui m’intéresse, ce sont les ONG ou encore les pêcheurs qui ne considèrent pas avoir la vérité absolue. » L’affaire aurait pourtant pu fortement nuire à la déjà riche carrière du jeune homme de 33 ans.

Retour de flammes

Nuit du 30 mars 2023, à Brest. Le bâtiment principal de l’Office français de la biodiversité (OFB) brûle, à la suite du jet de 300 fusées de détresse, la veille, lors d’une manifestation de pêcheurs. Les raisons de la colère sont multiples : prix du gasoil et des matières premières, restrictions des zones de pêche, éolien, etc. Et la mise en place d’un plan d’action pour l’océan, publié par la Commission européenne le 21 février, qui, selon Hervé Berville, allait « condamner la pêche artisanale française et l’amener à disparaître, pas dans dix ans, demain ». Des propos qui auraient envenimé la situation et incité les pêcheurs à s’en prendre à la police de l’environnement et à ses locaux restés vides durant la manifestation, le préfet ayant prévenu les fonctionnaires du danger.

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Après l’incendie, les agents de l’OFB sont profondément choqués et certains accusent le gouvernement de ne pas les soutenir publiquement. D’autant que les jets de fusées ont eu lieu sous les yeux des forces de police, étonnamment passives. « Hervé Berville a clairement attisé la colère des pêcheurs à notre égard […]. Son soutien a été exprimé du bout des lèvres », avait alors réagi auprès de Reporterre un représentant syndical CGT à l’OFB. La colère des pêcheurs retombera ensuite quand le secrétaire d’État les assurera de son opposition à une « interdiction générale et absolue des engins de fonds mobiles dans les zones Natura 2000 et les aires marines protégées », au grand dam des écologistes.

Si la plainte de Bloom est tombée à l’eau, l’épisode a amputé l’OFB de son cœur maritime et alerté certains élus, à l’instar de Caroline Roose, eurodéputée Les Écologistes (anciennement EELV). « Il y a eu manipulation d’un message politique sur une interdiction de tout et une mort prochaine de la pêche, se souvient-elle. Hervé Berville est monté à Bruxelles avec le président du Comité national des pêches comme un sauveur de la pêche. C’était un coup de com, mais cela a déclenché la colère des pêcheurs et même l’incendie à Brest. »

C’était un coup de com, mais cela a déclenché la colère des pêcheurs et même l’incendie à Brest. 

C. Roose

Depuis, certains agents de l’OFB ont quitté leur poste avec un sentiment d’abandon de l’État, bien que le ministre soit allé sur place, mais pas sur les lieux de l’incendie et sans la presse. « J’ai fait parvenir un courrier de soutien le lendemain de l’incendie aux agents, j’étais même le premier du gouvernement à le faire », plaide-t-il. Expliquant préférer le courrier de soutien aux tweets, il poursuit : « Ma permanence de député a été taguée une semaine après de manière ignoble vis-à-vis de ma suppléante, je n’ai pas non plus tweeté à ce sujet. Dans ces moments-là, ma stratégie n’est pas de faire de la communication. »

Du Rwanda à la Bretagne

Enfant tutsi né en 1990 au Rwanda puis orphelin, Hervé Berville a été adopté par une famille de Pluduno, dans les Côtes-d’Armor, et se montre très attaché à ses racines régionales. Après ses diplômes obtenus à l’Institut d’études politiques de Lille et à la London School of Economics, rien ne semblait le diriger vers des fonctions politiques en rapport avec la mer. « Il a su se maritimiser, défend Philippe Fourrier, chef d’entreprise à Dinan, qui côtoie le secrétaire d’État depuis 2017. En tant que député des Côtes-d’Armor, l’océan ne lui est pas étranger. »

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Des origines bretonnes qui interrogent le milieu de la pêche française, déjà portée au niveau européen par le Brestois Pierre Karleskind, eurodéputé Renaissance et président de la Commission de la pêche au Parlement européen, et surtout par le tout-puissant Olivier Le Nézet. Ce Lorientais dirige le comité national des pêches maritimes, en plus d’être président du comité départemental du Morbihan, président du comité régional des pêches de Bretagne et PDG du port de pêche de Lorient-Kéroman…

« C’est en effet un problème breto-bretonnant, analyse Dimitri Rogoff, qui est, lui, président du comité régional des pêches maritimes de Normandie. Le fait qu’Olivier Le Nézet cumule la région et le national est un souci. Ce n’est pas illégal, mais pas normal, d’autant que le secrétaire d’État à la mer est aussi breton. » Déjà incontournable pour ce qui concerne l’agriculture, la Bretagne domine donc l’industrie halieutique française. « Mon combat est de défendre tous les types de pêche et toutes les façades du littoral français. La pêche française ne se résume pas à la pêche bretonne », oppose Hervé Berville.

À fond sur les fonds marins

Aujourd’hui, les sujets intéressant le secrétariat d’État ne manquent pas, tels que l’éolien en mer, les ports ou encore le transport maritime. « La mission de mon secrétariat d’État est passionnante et est au cœur de grands enjeux fondamentaux », s’enthousiasme Hervé Berville, joint au téléphone avant d’embarquer pour le Forum des îles du Pacifique, aux Îles Cook. Ainsi, le 14 novembre, le secrétaire d’État a réaffirmé la position de la France, validant la recherche sur les grands fonds marins (avec un programme de 350 millions d’euros), mais refusant leur exploitation.

« Les études montrent que, si demain les Îles Cook ou la Norvège commencent cette activité, les impacts seront massifs. Tout ce que l’on a fait sur la protection des océans deviendra alors insignifiant, notamment sur les aires marines protégées », argumente-t-il. Favorable aux engins de fond pour la pêche dans les aires marines protégées, mais opposé à l’exploitation minière des grands fonds marins, Hervé Berville respecte le fameux « en même temps ».

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Souvent sur le terrain et très à l’aise dans cet exercice, Hervé Berville avance malgré quelques polémiques. Ainsi, sa présence à un concert de Jay-Z à la Fondation Louis-Vuitton, juste après la validation de la réforme des retraites par le Conseil constitutionnel et à quelques heures de la promulgation par Emmanuel Macron, avait beaucoup fait couler d’encre. Tout comme son idée d’un goût particulier, relatée par nos confrères du Point, d’offrir à la Première ministre un maillot floqué avec les numéros 49 à l’avant et 3 au dos. Des erreurs de jeunesse, plaideront certains, qui paraissent dérisoires face à ses prochains défis, notamment la question du gasoil détaxé sur les bateaux de pêche : un sujet explosif, qui pourrait conduire à des mobilisations des marins-pêcheurs, dont on connaît le caractère souvent spectaculaire, comme le 22 mars dernier à Rennes.

Favorable aux engins de fond pour la pêche dans les aires marines protégées, mais opposé à l’exploitation minière des grands fonds marins, Hervé Berville respecte le fameux ‘en même temps’.

« « Toutes les grandes crises de la pêche sont des crises des carburants, assure-t-il. Sur l’aide au carburant à destination des pêcheurs, la Commission européenne a autorisé la prolongation du dispositif [qui devait prendre fin ce 4 décembre, NDLR]. Au delà de l’urgence, ma priorité est surtout de préparer l’avenir avec un plan de 450 millions d’euros issus de la taxe éolienne, pour engager dès aujourd’hui la transition énergétique des navires de pêche. ». Taxer une innovation écologique – tout en réduisant les surfaces exploitables – qui irrite les pêcheurs pour les soutenir financièrement, Hervé Berville navigue là encore entre deux eaux.



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Politique
Temps de lecture : 8 minutes

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