COP 28 : « C’est un accord pitoyable »

Clément Sénéchal, expert des enjeux climatiques et ancien porte-parole chez Greenpeace, fustige le manque d’ambition des résultats de l’accord de la COP 28 à Dubaï.

Tristan Dereuddre  • 13 décembre 2023
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COP 28 : « C’est un accord pitoyable »
Une femme pose devant des banderoles contre les combustibles fossiles, à Dubaï, le 12 décembre 2023 lors de la COP 28.
© Giuseppe CACACE / AFP

La ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a qualifié les accords de la COP 28 de « bons accords ». Quel bilan faites-vous de l’accord ?

Clément Sénéchal : C’est un accord pitoyable et qui était prévisible. Compte tenu de l’état des connaissances scientifiques, ce résultat est une mascarade. Ça fait bientôt trente ans qu’on a des COP, des décennies qu’on a un diagnostic stabilisé sur les causes du réchauffement climatique, mais on n’est toujours pas capables de fixer, dans les décisions de COP, une trajectoire de sortie des énergies fossiles, avec des échéances claires et des mécanismes de redevabilité. Ce qui se trouve dans le texte final ne correspond pas au langage attendu par tout le monde, à savoir « phase out », qui signifie « sortie » des énergies fossiles. À la place, on a « transitioning away », un langage faible et dilatoire, qui signifie « s’éloigner » et qui renvoie davantage à un vocabulaire de la réduction. Sans date butoir, évidemment. Il n’y a donc pas de trajectoire. C’est un discours déjà employé par un certain nombre de compagnies pétrolières dans leur répertoire de greenwashing.

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Certes, les « énergies fossiles » sont mentionnées, mais c’est complètement lunaire qu’on en parle pour la première fois dans ces négociations alors qu’elles devraient être dans les textes officiels depuis décennies, a fortiori dans l’Accord de Paris lui-même. Donc on ne va pas se consoler avec ça au moment où le réchauffement climatique accélère drastiquement, avec plusieurs points de bascule en vue. Je pense que la ministre Agnès Pannier-Runacher n’a pas dû lire le texte, ou juste les lignes du communiqué de presse du président Al Jaber. Ou peut-être a-t-elle consulté Patrick Pouyanné, le PDG de Total, accrédité par la délégation française. Ce n’est pas sérieux.

Les COP sont devenues le salon commercial des lobbies, la foire des énergies fossiles et le festival des fausses solutions.

Par ailleurs, sur les financements, qui sont quand même le cœur du problème, on patine. Il y a eu des petites annonces de quelques millions pour le fonds des pertes et dommages en début de COP, mais c’est surtout une manière de mettre de la poudre aux yeux à tout le monde pour obtenir une cécité complaisante sur le reste : les besoins de financement des pays vulnérables pour faire face aux conséquences du réchauffement climatique se comptent en centaines de milliards, loin des quelques millions consentis par quelques pays.  Et le texte ne définit pas clairement la répartition des rôles et des responsabilités entre les pays développés et les pays en voie de développement, sur l’attribution et la circulation de ces financements.

Que penser de la présentation des solutions technologiques, comme les capteurs de CO2, comme éléments de résolution de la crise climatique ?

Les COP sont devenues le salon commercial des lobbies, la foire des énergies fossiles et le festival des fausses solutions. On propose des diversions permanentes à une réduction claire de l’utilisation des énergies fossiles ; les technologies de captage de CO2 en font partie. On fait croire que ces dispositifs de captage peuvent absorber les externalités négatives de la consommation d’énergie fossile, et que par conséquent, on peut continuer de polluer sereinement. Ces industries sont subventionnées à coups de milliards par les États depuis des décennies, alors qu’elles n’ont produit aucun résultat significatif. À l’heure actuelle, l’ensemble de ces technologies nous permet de compenser à peine 10 secondes d’émissions. Utiliser ces technologies pour réduire les émissions planétaires, c’est comme vider l’océan à la petite cuillère. Il y a une autre diversion majeure : la glorification des « énergies de transition » comme levier pour réduire les émissions, alors que cette dénomination recouvre le gaz (dans l’UE, par exemple) et que c’est une énergie fossile. Ça n’a aucun sens.

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Que pensez-vous de la reconnaissance du nucléaire comme une porte de sortie des énergies fossiles dans les accords ?

C’est lamentable. Le seul intérêt diplomatique d’Emmanuel Macron, quand il va dans ces négociations, c’est de jouer l’agent commercial d’EDF et d’Orano. Il utilise ces espaces pour promouvoir en permanence la technologie nucléaire comme une énergie écologique parce qu’elle est plus décarbonée que les énergies fossiles, ce qui est vrai. Pour autant, l’énergie nucléaire est beaucoup trop longue à développer pour appuyer une baisse drastique des énergies fossiles dans les délais impartis par l’Accord de Paris. Il faut quand même réduire de moitié les émissions d’ici à 2030 !  C’est impossible de déployer assez de centrales nucléaires pour parvenir à cet objectif, à consommation énergétique constante.  Il suffit de regarder ce qui se passe avec Flamanville qui n’est toujours pas en service et accuse un retard de 12 ans à ce stade.

Je pense que les COP sont discréditées et qu’il faut arrêter de jouer le jeu

En plus, c’est une technologie qui est vulnérable au réchauffement climatique, à cause de l’assèchement des cours d’eau, de la multiplication des inondations ou des tempêtes. Et au-delà d’être fondamentalement dangereuse et d’exposer la population, c’est une technologie extrêmement polluante, puisqu’on ne sait pas quoi faire des déchets radioactifs. La question climatique ne doit pas être le prétexte d’autres formes de ravages écologiques. Il faut arrêter de penser la question climatique de manière indépendante.

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Quel type d’accord auriez-vous pu qualifier de satisfaisant ou de porteur d’espoir ?

Sur la question des énergies fossiles, il aurait fallu une trajectoire claire, des pourcentages de réduction, un échéancier strict. Il faudrait transcrire dans ces textes diplomatiques ce qui apparaît dans les conclusions scientifiques des rapports du Giec, pour leur donner une puissance politique – tout en laissant la discussion démocratique subsidiaire arbitrer sur les moyens d’atteindre ces objectifs. Je pense que les COP sont discréditées et qu’il faut arrêter de jouer le jeu. Il faut recréer un rapport de force en problématisant frontalement ce qui se passe dans les COP, voire en interrogeant à nouveau la pertinence de l’Accord de Paris. En réalité, c’est un accord dont l’architecture interne est très faible. Par conséquent, les COP tentent, année après année, de boucher vainement les trous du texte initial, tout en laissant croire aux populations que le problème est pris en charge.

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Il est temps de se remettre autour de la table pour avoir un accord international plus rigoureux et plus exigeant. Il faut aussi réformer l’espace des COP. La doctrine onusienne sur l’ouverture à la société civile et à la pluralité des acteurs laisse en réalité la porte ouverte aux lobbies, qui viennent submerger les COP de conflits d’intérêt. Il faut les exclure. Il faut aussi repenser les critères d’attribution des COP : la prochaine se tiendra aussi dans une pétromonarchie, l’Azerbaïdjan. Or les présidences de COP maîtrisent l’ordre du jour et la chorégraphie des négociations. Il font donc des critères plus stricts dans la sélection du pays hôte. Bref, il est urgent aujourd’hui de cesser d’être complaisant avec ce fonctionnement-là et passer par un boycott tant que le dispositif n’a pas évolué.

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