Climat : la COP 28 à l’heure des comptes

Financement, sortie des énergies fossiles, bilan de l’accord de Paris… Le programme de la conférence de Dubaï, aux Émirats arabes unis, qui se tiendra du 30 novembre au 12 décembre, est déterminant pour dessiner le futur climatique des quinze prochaines années.

Vanina Delmas  • 29 novembre 2023 abonné·es
Climat : la COP 28 à l’heure des comptes
Dégâts de la tempête Daniel dans le village grec de Keramidi, en septembre 2023.
© Angelos TZORTZINIS / AFP

Chaque année, à l’approche de la Conférence sur le climat, se dessine un concours entre grands dirigeants du monde, qui rivalisent de grandes phrases et de promesses d’action. Cette année, le pape François fera une apparition quasi divine (1) à la COP 28 qui se tient à Dubaï, contrairement au président des États-Unis, qui n’a toujours pas inscrit ce rendez-vous dans son agenda. Du côté des grandes déclarations, le président brésilien a déjà annoncé qu’il proposerait la création d’un fonds destiné à préserver les forêts tropicales et Emmanuel Macron devrait présenter un texte qui incitera la communauté internationale à tripler les capacités de la production nucléaire mondiale d’ici à 2050 pour limiter le réchauffement climatique.

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Le chef de l’Église catholique, malade, a annoncé ce 29 novembre qu’il y participerait finalement en visioconférence.

Quant au controversé président émirati de la COP 28, Sultan Al-Jaber, par ailleurs PDG de la compagnie pétrolière nationale d’Abou Dhabi, il a déclaré dans un entretien à l’AFP : « Tout le monde doit faire partie du processus, tout le monde doit assumer ses responsabilités et rendre des comptes. Cela inclut toutes les industries, notamment les industries très émettrices comme l’aviation, les transports, l’aluminium, le ciment, l’acier ainsi que l’industrie pétrolière et gazière. »

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Derrière ces palabres se cache une réalité dramatique pour des millions de personnes. En Amérique du Sud, les températures dépassent les 40 °C – et parfois jusqu’à 60 °C ressentis – alors que l’été austral n’a pas encore débuté. En septembre, le cyclone Daniel a déferlé sur le bassin méditerranéen, provoquant des inondations sans précédent en Libye. Au moins 11 300 personnes sont mortes et 10 100 restent portées disparues dans la seule ville de Derna, selon un bilan du Croissant-Rouge libyen. Selon l’institut européen Copernicus, la période de juin à août a été la plus chaude jamais enregistrée, avec une température moyenne sur le globe de 16,77 °C, soit 0,66 °C au-dessus des moyennes de la période 1991-2020. En clair, 2023 pourrait être l’année la plus chaude jamais mesurée.

Bilan mondial accablant

Tous les États devraient être en état d’alerte maximal et prêts à prendre des décisions radicales. D’autant que cette conférence est considérée comme la COP du premier bilan mondial de l’accord de Paris, durant laquelle les États feront le point sur les avancées et les échecs depuis sa signature en 2015. Pour rappel, les États s’étaient fixé pour objectif de limiter le réchauffement climatique mondial à 1,5 °C au-dessus des niveaux de l’ère préindustrielle. Or, nous sommes déjà à environ 1,4 °C et le climat à l’échelle mondiale est parti pour augmenter jusqu’à 2,8 °C d’ici à 2100, selon le Giec, en cas de poursuite des politiques actuelles.

ZOOM : Chiffres clés

2 % : c’est la baisse des émissions mondiales estimée en 2030 par rapport à 2019, au lieu des 43 % préconisés par les climatologues pour limiter le réchauffement à +1,5 °C, selon un rapport de l’ONU Climat du 14 novembre.

Entre 3,3 et 3,6 milliards d’humains sur les 7,8 milliards présents sur Terre vivent dans un environnement très vulnérable au changement climatique », selon le 6e rapport du Giec (2022).

209 milliards de dollars : c’est le montant des réparations climatiques par an dues par les principales sociétés mondiales de combustibles fossiles pour indemniser les pays les plus vulnérables au changement climatique, selon une analyse de la revue One Earth (2023).

1 % : les plus riches soit 77 millions de personnes, seraient responsables de 16 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre en 2019, selon le dernier rapport d’Oxfam (2023).

9 millions de décès prématurés dans le monde liés à la pollution de l’air, de l’eau et des sols en 2019, soit plus que le tabac, le VIH/sida, le paludisme et la tuberculose réunis, selon une étude de la revue médicale Lancet (2022).

32 658 décès ont été imputables aux chaleurs estivales (1er juin-15 septembre) entre 2014 et 2022, en France, selon Santé publique France (2023).

49 % des 215 000 glaciers de la planète disparaîtront d’ici à 2100, selon une étude de la revue Science (2023).

-27 % d’ici à 2100 : c’est la réduction de la diversité animale terrestre à cause de l’impact du changement climatique, selon une étude Science Advances (2023).

Deux rapports publiés récemment remettent les pendules à l’heure et personne ne remporte le prix du meilleur élève de la lutte contre le changement climatique. Celui du Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue), portant sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions pour limiter le réchauffement climatique, pointe que les émissions ont augmenté de 1,2 % entre 2021 et 2022 pour atteindre un nouveau pic de 57,4 gigatonnes d’équivalent dioxyde de carbone. Des résultats qui placent la Terre sur la trajectoire d’un réchauffement de 2,5 °C à 2,9 °C d’ici à la fin du siècle.

Il faut tout faire pour réduire drastiquement les émissions entre 2023 et 2028. Après 2028, il sera trop tard.

Réseau action climat

Autre document, mêmes conclusions : le rapport de l’ONU sur les contributions au niveau national montrait que, si les États mettaient en œuvre l’ensemble de leurs engagements climatiques d’ici à 2030, les émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales ne reculeraient que de 2 %, au lieu des 43 % nécessaires pour limiter le réchauffement à 1,5 °C. À partir de ces constats peu réjouissants, les 197 parties prenantes de la COP 28 vont devoir s’accorder sur des solutions drastiques pour l’atténuation du changement climatique et l’adaptation, de sorte que chaque État révise ses objectifs d’ici à 2025, date du prochain bilan mondial. « Or 2028 est si proche de l’échéance de 2030 à laquelle les États se sont engagés à atteindre le pic mondial d’émissions de GES, qu’il faut tout faire pour réduire drastiquement les émissions entre 2023 et 2028. Après 2028, il sera trop tard », rappelle le Réseau action climat France (RAC).

Justice ou mépris climatique ?

Pour la société civile, qui sera présente à la COP 28, les seules solutions acceptables et à la hauteur des enjeux reposent sur la sortie équitable de toutes les énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) d’ici à 2050 (voir ci-contre), l’augmentation du financement climat en direction des pays du Sud, qui participerait à la concrétisation du Fonds pour les pertes et dommages. Sur ce dernier point, la COP 27, en 2022, avait permis un pas de géant en termes de diplomatie climatique après trente ans de blocages.

Infographie COP 28

Mais les ultimes négociations, en octobre dernier, laissent craindre une avalanche de désillusions car certains pays développés, notamment les États-Unis, n’ont fait preuve d’aucune bonne volonté sur ce dossier. Pourtant, les prémices de ces discussions financières remontent à 2009 : lors de la COP 15 sur le climat, les pays développés avaient promis de mobiliser 100 milliards de dollars par an dès 2020 pour accompagner le développement et la transition écologique des pays du Sud. À l’issue de la COP 27, il manquait toujours 16,7 milliards de dollars annuels.

Ce n’est pas une question de charité, mais bien de dette que les super-pollueurs ont envers les populations du Sud.

F. Petitbon

Entre-temps, la cadence infernale du changement climatique s’est accélérée. « L’écart grandissant en matière de financement de l’adaptation est un indicateur frappant d’années de négligence, laissant d’innombrables personnes vulnérables exposées à des catastrophes climatiques croissantes, a commenté le RAC. Les pays en développement sont prêts, attendant les fonds nécessaires pour protéger leurs populations contre les catastrophes climatiques imminentes. Sans une adaptation rapide, nous préparons le terrain à des pertes inimaginables de vies et de moyens de subsistance. » Le Pnue estime désormais que les coûts du dérèglement climatique et les besoins de financement pour préparer les sociétés des pays en développement sont compris entre 203 et 365 milliards d’euros par an au cours de cette décennie. 

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Pour Fanny Petitbon, responsable plaidoyer chez Care France, « il est temps que les plus gros pollueurs, au premier rang desquels l’industrie des énergies fossiles, paient pour les dégâts qu’ils engendrent aux quatre coins de la planète » Et de préciser : « Entre 2000 et 2019, les entreprises du pétrole, du gaz et du charbon auraient pu couvrir soixante fois le coût des pertes climatiques dans les pays vulnérables rien qu’avec les profits qu’elles ont engrangés. Ce n’est pas une question de charité, mais bien de dette que les super-pollueurs ont envers les populations du Sud. » La société civile et les pays du Sud devront gagner le rapport de force pour que la justice climatique reste un enjeu majeur de l’avenir climatique.

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Écologie
Publié dans le dossier
Une COP 28 (très) loin du compte
Temps de lecture : 7 minutes