Pour une véritable politique publique de lutte contre le racisme

TRIBUNE. À l’occasion du 40e anniversaire de la « Marche pour l’égalité et contre le racisme », des élus locaux PS, EELV et PCF signent un plaidoyer du président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel, qui appelle à des engagements concrets de l’État pour faire société et respecter la promesse républicaine d’égalité.

Stéphane Troussel  et  Collectif  • 2 décembre 2023
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Pour une véritable politique publique de lutte contre le racisme
Une délégation de "marcheurs pour l'égalité et contre le racisme", le 2 décembre 1983, devant la mairie de Colombes.
© GEORGES BENDRIHEM / AFP

Il y a quarante ans, prenait fin la Marche pour l’égalité et contre le racisme après des crimes racistes comme les attaques à l’explosif contre des foyers de travailleurs migrants, le meurtre commis dans le train Bordeaux-Vintimille ou la mort par balle du jeune Toufik Ouanes en Seine-Saint-Denis. En marge de révoltes urbaines, des jeunes sont violenté·e·s, comme le responsable associatif Toumi Djaïdja, grièvement blessé par la police à Vénissieux, qui sera l’un des initiateurs de la Marche.

D’octobre à décembre 1983, la Marche pour l’égalité et contre le racisme a marqué un temps d’affirmation des descendant·e·s d’immigré·e·s pour revendiquer l’égalité des droits.

40 ans après, des enquêtes sociologiques, journalistiques, des testings réalisés par des chercheur·euse·s ou des associations, des jugements, tout comme les rapports officiels du Défenseur des Droits ou de l’ONU, attestent des discriminations dans le monde du travail, dans l’accès au logement, à la justice, dans le domaine de la santé, l’éducation ou encore dans le rapport à la police.

Les discriminations sont une atteinte aux valeurs de la République et leur pérennisation mettrait en faillite la promesse républicaine.

Les discriminations sont donc pleinement identifiées. Pourtant, elles perdurent et une véritable politique publique de lutte contre le racisme et les discriminations peine à se mettre en place. Les discriminations sont une atteinte aux valeurs de la République et leur pérennisation mettrait en faillite la promesse républicaine. Notre devise « Liberté, Égalité, Fraternité » doit se traduire par des actes forts et par une reconnaissance de nos institutions de la réalité vécue par de nombreux·ses habitantes et habitants, qui n’est pas seulement le fait d’actes individuels mais bien le produit d’inégalités collectives qui traversent toute la société et trouvent leurs racines dans notre histoire.

Sur le même sujet : 30 ans après la Marche de l’égalité : notre tour de France des quartiers

Après l’échec de celui de 2018, le Plan national contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine présenté par le Gouvernement en janvier 2023 aurait dû marquer un tournant dans la prise en charge des discriminations systémiques et leur dimension intersectionnelle par les pouvoirs publics. Néanmoins, en ignorant les discriminations ressenties ou vécues, le plan, et ses 80 mesures présentées sans budget alloué, est le témoin d’un manque d’ambition. La non-discrimination est loin d’être un objectif intégré à l’ensemble des politiques publiques de l’État.

Nous appelons l’État à mettre en place des mesures concrètes, aux côtés de tous les acteurs locaux, (…) afin d’engager, enfin, une politique publique d’ampleur de lutte contre le racisme et les discriminations.

Face à ces constats, nos collectivités territoriales s’organisent pour être actrices de la lutte contre les discriminations. D’abord en soutenant les associations qui comptent parmi les premiers acteurs engagés sur le terrain pour accompagner, prévenir et former. Puis, en choisissant d’agir au quotidien au moyen d’actions et d’initiatives concrètes pour combattre les discriminations. Si leur action est nécessaire, l’action volontariste de l’État est indispensable.

C’est pourquoi, à l’occasion des 40 ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme et dans la continuité de la lutte des Marcheurs, nous appelons l’État à mettre en place des mesures concrètes, aux côtés de tous les acteurs locaux, pour agir rapidement et efficacement afin d’engager, enfin, une politique publique d’ampleur de lutte contre le racisme et les discriminations, notamment en révisant le droit de la non-discrimination aujourd’hui peu opérant. Cette refonte devra se faire en partant du vécu des personnes discriminées.

Cela n’est pas seulement une exigence démocratique, c’est aussi un moyen efficace pour que nos concitoyens et concitoyennes retrouvent confiance dans les institutions.

Nous avons là une grande responsabilité : il s’agit de faire société et de respecter la promesse républicaine d’égalité.

La persistance des discriminations témoigne d’une structuration de la société française, héritée en grande partie de son passé colonial, marqué par le racisme. C’est pourquoi une véritable politique publique de lutte contre les discriminations ethno-raciales est indispensable pour faire avancer la lutte contre le racisme.

Sans être exhaustifs sur les actions déjà entreprises par nos collectivités, les six thématiques suivantes doivent appeler des engagements concrets de l’État.

Police/justice

Dès 2017, une enquête du Défenseur des Droits démontrait que les jeunes hommes « perçus comme noirs ou arabes » ont « une probabilité 20 fois plus élevée que les autres d’être contrôlés » ; en 2019, le Défenseur des Droits dénonçait un « profilage racial et social » lors des contrôles d’identité à Paris ; en 2020, le Défenseur des Droits dénonçait une « discrimination systémique ». Dans ce domaine, le déni a des conséquences irréparables. 

En outre, la justice peine à condamner les situations de discriminations. Dans ce contexte, le non-recours reste très élevé malgré la prévalence des discriminations fondées sur l’origine. Cela s’explique notamment par trois éléments : la complexité de la preuve, la faiblesse des sanctions et des indemnités et enfin le coût financier et psychologique de telles démarches pour les victimes.

 Ce que nous demandons à l’État :

  • Créer un récépissé de contrôle d’identité remis par les forces de l’ordre
  • Modifier la loi de 2017 sur l’usage des armes à feu par les policiers, sur le refus d’obtempérer et en particulier l’article L.435-1 du code de la sécurité intérieure
  • Créer un organe indépendant de contrôle et d’enquête de la force publique
  • Renforcer la formation des professionnel·le·s du droit et de la police nationale dans le champ de la lutte contre les discriminations
  • Amender les articles 225-1 et suivants du code pénal en prévoyant un mécanisme d’aménagement de la charge de la preuve
  • Créer un fonds de soutien aux actions de groupe contre les discriminations rattaché au Défenseur des Droits
  • Créer un service juridique d’accompagnement et de soutien des plaintes individuelles contre les faits discriminatoires au sein du Défenseur des Droits

Ce à quoi nous nous engageons :

  • Former les agent·e·s de police municipale à la non-discrimination

Emploi/travail

Dans le secteur de l’emploi public comme privé, de multiples enquêtes ont démontré l’existence de discriminations ethno-raciales, telles que l’enquête Trajectoires et origines (INSEE/INED), les testings réalisés sur l’accès à l’emploi pour les personnes d’origine ultramarine (TEPP), ou encore ceux réalisés dans de grandes entreprises. Parallèlement, l’accès à certains métiers fait toujours l’objet d’une clause de nationalité.

Ce que nous demandons à l’État :

  • Supprimer la clause de nationalité dans la plupart des métiers privés l’exigeant encore
  • Supprimer la clause de nationalité dans la fonction publique (hors régalien)
  • Généraliser les testings dans les entreprises, publier l’ensemble des résultats, instaurer des sanctions financières, et les accompagner vers la mise en œuvre de démarches non discriminantes
  • Rendre obligatoire la formation à la non-discrimination dans les organismes publics

Ce à quoi nous nous engageons :

  • Mettre en place des procédures de décisions contrôlées dans le recrutement et le déroulement de carrière (transparence, traçabilité et objectivation des procédures)
  • Sensibiliser les actrices et acteurs et partenaires de l’insertion et de l’emploi de nos collectivités

Logement

Les discriminations ethno-raciales dans l’accès au parc locatif privé comme public ont été mises en lumière dès l’après-guerre et elles frappent aussi bien des immigré·e·s que des Français·e·s renvoyé·e·s à leurs origines supposées. Là encore, de nombreuses études et testings ont démontré la réalité de ces discriminations, telle que l’enquête sur l’accès au logement du Défenseur des Droits de 2016. Ces discriminations s’observent principalement dans l’accès, dans les conditions et dans le statut d’occupation des logements. 

Ce que nous demandons à l’État :

  • Rendre obligatoire la formation à la non-discrimination pour les acteur·rice·s privé·e·s du logement, sous peine de sanctions financières ou de retrait de la carte professionnelle
  • Réaliser des testings réguliers auprès des bailleurs et agences immobilières, qui soient assortis de sanctions financières 
  • Déployer la mesure de cotation de la demande de logement social pour assurer la transparence, traçabilité et objectivation des procédures
  • Missionner l’ANCOLS (Agence Nationale de Contrôle du Logement Social) pour rechercher les éventuelles discriminations dans les attributions
  • Adopter une loi favorisant une meilleure répartition de l’hébergement d’urgence dans les différents territoires
  • Donner des instructions aux préfets pour appliquer effectivement la loi SRU et la loi de juillet 2000 sur les aires d’accueil

Ce à quoi nous nous engageons :

  • Sensibiliser les personnels, en particulier des bailleurs publics territoriaux, à la lutte contre les discriminations

Éducation/culture/mémoire

Souvent, les discriminations ethno-raciales s’entrecroisent avec les inégalités territoriales, c’est particulièrement vrai dans le domaine de l’éducation et des politiques culturelles.

La ségrégation scolaire, le manque de moyens humains et financiers dans certains de nos établissements scolaires, les inégalités d’accès aux lieux culturels, sont autant de manifestations des inégalités vécues par les habitant·e·s des quartiers populaires. S’ajoutent à cela des discriminations ethno-raciales dans l’orientation, dans la place faite à la création culturelle ou encore dans les politiques mémorielles.

Ce que nous demandons à l’État :

  • Former plus spécifiquement les professionnel·le·s de l’orientation et de l’université à la lutte contre les discriminations
  • Tester les plateformes Parcoursup et Mon Master au prisme de la discrimination
  • Publier une circulaire de renoncement aux contrôles d’identité d’opportunité en France lors des sorties scolaires
  • Instaurer, en mémoire du 17 octobre 1961, une journée nationale de commémoration en reconnaissance des crimes de la colonisation

Ce à quoi nous nous engageons :

  • Prendre en compte l’histoire et les mémoires dans les noms et plaques de rues et de bâtiments
  • Soutenir la création culturelle mettant en avant les luttes contre les discriminations
  • Soutenir les projets associatifs de lutte contre le racisme dans ces secteurs 

Santé

Les discriminations ethno-raciales sont particulièrement prégnantes dans le domaine de la santé : refus de soins, mauvaises prises en charges, soupçon d’un « syndrome méditerranéen », etc. Plusieurs études démontrent des inégalités importantes dans l’accès aux soins pour les immigré·e·s et leurs descendant·e·s, à l’instar de l’étude de l’INED de 2020 (Les discriminations dans le système de santé français : un obstacle à l’accès aux soins) ou encore celle d’octobre 2019 menée par le Défenseur des Droits (Les refus de soins discriminatoires : tests dans trois spécialités médicales). Ces discriminations ont des conséquences graves car elles renforcent le non-recours aux soins.

Ce que nous demandons à l’État :

  • Mettre en place un module de formation à la non-discrimination et à la lutte contre les préjugés dans les formations de santé
  • Supprimer le délai de carence pour accéder à l’Aide Médicale d’État

Ce à quoi nous nous engageons :

  • Sensibiliser les agent·es territoriaux qui œuvrent à la santé publique

Citoyenneté et accès aux droits des personnes étrangères

Les problématiques relatives à la citoyenneté et à l’accès aux droits des personnes étrangères se déploient dans plusieurs champs pourtant essentiels au vivre ensemble : le droit de vote, l’accès aux droits sociaux, le droit à l’emploi…

Par exemple, dans le cadre du projet de loi immigration en cours, le Senat a supprimé l’Aide médicale d’Etat pour les personnes sans-papiers (ce qui induirait une discrimination dans l’accès aux soins) et avalisé un amendement qui priverait les étranger·e·s, résidant légalement en France pendant 5 ans, de droits sociaux, alors-même qu’ils contribuent pourtant à les financer, sans opposition claire du Gouvernement.

Ce que nous demandons à l’État :

  • Améliorer l’accueil des étrangers en Préfecture, notamment en mettant en place des mesures alternatives effectives à la prise de rendez-vous par voie électronique
  • Sécuriser le système de prise de rendez-vous en Préfecture et prolonger le titre de séjour en cas d’impossibilité de rendez-vous
  • Accorder une Autorisation Provisoire de Séjour (APS) sous un mois dans le cas d’une promesse d’embauche
  • Accorder le droit de vote et d’éligibilité à tous les étrangers légalement en France depuis au moins cinq ans aux élections locales
  • Supprimer la condition de résidence pour les immigré·e·s âgé·e·s tels que les chibanis (comme cela a été mis en place pour les tirailleurs africains) pour qu’ils puissent recevoir leur pension

Ce à quoi nous nous engageons :

  • Prendre en compte uniquement le lieu de résidence, et éventuellement l’âge, dans le cadre des dispositifs participatifs ou de concertation
  • Sensibiliser les travailleurs sociaux des collectivités afin de mieux qualifier les situations de discriminations ethno-raciales et mieux orienter vers des acteurs, tels que le Défenseur des Droits, pour un accompagnement juridique.

=> Accéder à une version imprimable de ce plaidoyer


Signataires :

  • Stéphane Troussel, Président du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis
  • Jeanne Barseghian, Maire de Strasbourg et Co-présidente de l’ANVITA
  • Fabien Bazin, Président du Conseil départemental de la Nièvre
  • Lionel Benharous, Maire des Lilas
  • Patrice Bessac, Maire de Montreuil
  • Florance Brau, Maire de Prades-le-lez
  • Damien Carême, Député européen et Co-président de l’ANVITA
  • Dieunor Excellent, Maire de Villetaneuse
  • Mohamed Gnabaly, Maire de l’Ile-Saint-Denis
  • Matthieu Hanotin, Maire de Saint-Denis
  • Chaynesse Khirouni, Présidente du Conseil départemental de Meurthe et Moselle
  • Éric Schlegel, Maire de Gournay-sur-Marne
  • Sébastien Vincini, Président du Conseil départemental de Haute-Garonne


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