Avec le remaniement, Macron « rejoue la primaire de la droite »

L’éviction des ministres issus de la gauche au profit de sarkozystes historiques marque un tournant sur fond d’ambitions pour les prochaines échéances électorales.

Nils Wilcke  • 15 janvier 2024 abonné·es
Avec le remaniement, Macron « rejoue la primaire de la droite »
Emmanuel Macron, le 10 novembre 2023.
© STEPHANIE LECOCQ / POOL / AFP

Le remaniement opéré par Emmanuel Macron le 11 janvier tient ses promesses d’une « surprise » pour les médias et le monde politique. Les commentateurs évoquent, à raison, un « virage à droite » : sur les quatorze ministres choisis par le président, trois d’entre eux sont issus de la gauche, contre huit des Républicains et de la défunte UMP. Adieu Olivier Dussopt, Olivier Véran, Rima Abdul Malak, Clément Beaune… Les deux derniers balayés en raison de leurs réserves sur la loi immigration votée dans la division. Mais ce premier niveau de lecture ne rend pas compte de la cartographie bouleversée de la Macronie.

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De Bruno Le Maire à Catherine Vautrin, en passant par Gérald Darmanin ou Rachida Dati, ces quatre personnalités au fort tempérament ont toutes travaillé pour Nicolas Sarkozy. Au point que la gauche parle d’un « gouvernement Sarkozy IV », comme le font Marine Tondelier et Fabien Roussel, tandis que le député LFI François Ruffin estime qu’Emmanuel Macron a « ressuscité l’UMP ». À l’image d’une caricature publiée dans Le Temps, où le dessinateur suisse Chappatte a représenté Macron en magicien de cirque sortant l’ancien président de son chapeau. Cette première salve de nominations suscite le malaise au sein de la Macronie.

« Ce n’est pas un gouvernement, c’est la maison de retraite des vieux de l’UMP »

La nomination de Rachida Dati effraie les macronistes les moins à droite : « C’est une grenade dégoupillée », murmure un député, effaré. La nouvelle ministre, réputée « ingérable » et mise en examen pour des soupçons de corruption dans l’affaire Renault, fonctionne comme un repoussoir pour cette petite partie des troupes qui a survécu au second quinquennat et se retrouvait dans le profil d’Élisabeth Borne. « C’est la fin du en même temps », observe, amère, la conseillère d’une ministre débarquée. Le camp présidentiel pourrait connaître un avis de tempête.

L’ex-Première ministre envisage de constituer un groupe à part de Renaissance, tandis que les députés Stella Dupont et Sacha Houlié, marginalisés après avoir voté contre la loi immigration, comptent bien se faire entendre. « Ce qui est rassurant, c’est que Gabriel Attal a été promu numéro 1, mais c’est vrai qu’on attend un recentrage avec la deuxième vague de nominations. Pour le moment, la photographie du gouvernement interroge », reconnaît la députée Renaissance Nadia Hai, qui appartient à la « sensibilité de gauche » du camp présidentiel.

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« Ce n’est pas un gouvernement, c’est la maison de retraite des vieux de l’UMP », persifle un député LR. « On rejoue la primaire de la droite », renchérit un marcheur repenti qui a participé à la campagne d’Emmanuel Macron en 2016-2017. Pour comprendre, il faut remonter aux années du pacte « Bellota-Bellota », du nom de ce restaurant ibérique du septième arrondissement parisien prisé du personnel politique. Thierry Solère, Édouard Philippe, Gérald Darmanin, Gilles Boyer et Bruno Le Maire…

C’est là que ces « jeunes loups », impliqués à différents titres dans la primaire de la droite, concluent un accord pour entrer au gouvernement, comme l’a raconté le journaliste Marc Endeweld dans ses enquêtes sur les réseaux du président. « C’est à ce titre qu’Édouard Philippe a embarqué Gérald Darmanin et Bruno Le Maire au gouvernement en 2017 », se rappelle pour Politis un cadre issu de la droite qui a participé aux négociations.

Dati à la Culture, c’est la consécration d’un rapprochement de la Macronie avec le clan Bolloré.

Autre surprise du chef, la nomination de Rachida Dati à la Culture, qui sème la zizanie à Paris (lire ci-dessous). Avec un deal passé par Emmanuel Macron avec la cheffe de file de la droite parisienne : Rachida Dati obtiendrait l’investiture de Renaissance en échange de son ralliement. Une partie des marcheurs parisiens et des partisans d’Édouard Philippe hurlent à la « magouille ». Son poulain, Pierre-Yves Bournazel, visé par ce « troc », dénonce « une méthode politicienne archaïque ». L’élu du dix-huitième arrondissement répète à Politis, le dimanche 14 janvier, que ce « deal n’engage pas Horizons ».

ZOOM : Rachida Dati sème la zizanie dans les rangs de la droite parisienne

Gueule de bois monumentale dans les états-majors politiques parisiens après la nomination de Rachida Dati Rue de Valois. Sonnés, les élus de la droite parisienne se comptent entre eux pour mesurer la portée de ce débauchage opéré par Emmanuel Macron. Le groupe de 53 élus peut-il exploser ? Les fidèles de la nouvelle ministre montent au créneau pour soutenir leur championne, malgré son exclusion du parti au niveau national. David Alphand, vice-président du groupe au Conseil de Paris, sonde les élus : « C’est compliqué de s’opposer à Rachida Dati, elle fait peur », souffle l’un d’eux. La redoutable cheffe de file de la droite parisienne peut se targuer de ses 34 % de voix au second tour en 2020 face à Anne Hidalgo.

Déjà les ténors du parti semblent remiser leurs critiques envers la patronne : « On va devoir faire un ticket », résume un autre élu, qui veut « dégager Hidalgo à tout prix » aux prochaines élections. Même Francis Szpiner, ennemi de longue date de Rachida Dati, tout en évoquant une « erreur politique » sur France Inter, n’exclut pas de la soutenir si sa candidature devient réalité. Le camp d’Anne Hidalgo minimise la portée de ce remaniement : « Cela ne fait que confirmer que LREM et LR, c’est pareil », observe Lamia El Aaraje, adjointe et porte-parole de l’édile. « Pas sûr que les électeurs Macron-compatibles se retrouvent dans le programme de Rachida Dati. » La bataille pour Paris ne fait que commencer.

Les macronistes qui convoitent aussi le fauteuil de maire accusent le coup, comme Clément Beaune mais aussi Sylvain Maillard. Le patron de la fédération s’est pris une soufflante lors d’un conseil politique mouvementé ce samedi. « Il n’y a aucun marché, a-t-il affirmé. C’est Mme Dati qui se répand qu’elle a obtenu un poste après un accord pour la mairie de Paris, mais c’est pour le justifier auprès de son groupe. Ce sont les militants qui choisiront leur candidat, rien ne change. » « Rien ne change, surtout le foutage de gueule », a murmuré un participant, tandis que Gilles Legendre, son prédécesseur à l’Assemblée, a manifesté son indignation.

L’arrivée de Rachida Dati à la Culture répond aussi à une logique politique. « Rachida à ce ministère, c’est la consécration d’un rapprochement de la Macronie avec le clan Bolloré », observe un conseiller du pouvoir. Alors que sa prédécesseure Rima Abdul Malak se signalait par ses critiques à l’encontre de Cyril Hanouna et de la mainmise du multimilliardaire breton sur les médias, Rachida Dati « est une très proche de Sarkozy, lequel siège aussi comme administrateur au groupe Lagardère », rappelle cette même source. « Le dossier des intermittents se traite à Bercy, le patrimoine à l’Élysée », indique un conseiller Rue de Valois.

« Manu, c’est un coucou »

Rachida Dati devient surtout la ministre de tutelle de l’audiovisuel public avant la présidentielle en 2027. Anne Hidalgo a senti le danger, dénonçant une « trumpisation de la culture » dans La Tribune du dimanche. En 2016, le rapprochement d’Emmanuel Macron avec la droite s’était fait dans une relative discrétion. Le candidat entretenait alors l’image d’un progressiste, libéral sur le plan économique mais à gauche sur les questions sociales, comme les violences policières ou encore les retraites. Une fois élu, le président est revenu sur tous ses engagements. « Manu, c’est un coucou, il couve son œuf politique dans le nid des autres », ironise l’un de ses anciens conseillers.

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Dans ce contexte, la gauche peut-elle tirer son épingle du jeu ? Le président est fier de sa « prise de guerre » : « Rachida, c’est une grande gueule. En plus, cela permet de focaliser l’attention sur autre chose que l’immigration ou le chômage », affirme l’un de ses proches à Politis. La distraction idéale, en somme. Le dimanche 14 janvier, la nouvelle ministre a affirmé dans Le Parisien qu’elle resterait maire du septième arrondissement et de son groupe au conseil de Paris.

Pauvre Gaby, il risque de se faire bouffer.

Trois jours plus tôt, Gabriel Attal affirmait au contraire sur TF1 que ses ministres seraient dans leurs fonctions « à 200 % ». « Pauvre Gaby, il risque de se faire bouffer », craint un député Renaissance. Le lundi, Emmanuel Macron recevait les parlementaires du camp présidentiel. « L’heure n’est plus à la mollesse, il faut du concret : une idée, une mesure », assume un conseiller de l’exécutif. « Les ministres sont remontés comme jamais. » Pas de doute, Macron fait du Sarkozy. Au risque de brutaliser un peu plus l’espace politique ?

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