Gaza, l’hécatombe des journalistes

Depuis le massacre du Hamas, les journalistes sont en première ligne dans la dévastation de Gaza. Dans cette guerre, iels sont plus de 80 à avoir perdu la vie sous les bombes israéliennes. Une trentaine d’autres sont emprisonné·s. Des « crimes de guerre » pour plusieurs ONG.

Maxime Sirvins  • 23 janvier 2024
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Gaza, l’hécatombe des journalistes
Le chef du bureau d'Al Jazeera à Gaza, Wael Al-Dahdouh embrasse sa fille lors des funérailles de son fils, Hamza Wael Dahdouh, journaliste pour la même chaîne, tué lors d'une frappe aérienne israélienne à Rafah, dans la bande de Gaza le 7 janvier 2024.
© AFP

« Combien de nuits de terreur et de morts faudra-t-il encore compter à Gaza ? » écrivait Ola Atallah, une journaliste indépendante palestinienne, dans un tweet, le 8 décembre 2023. Le lendemain, elle était tuée par une frappe aérienne israélienne.

La concentration de journalistes tués dans la guerre entre Israël et Gaza est sans précédent.

CPJ

D’après le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), qui enregistre les décès dans la profession depuis 1992, « la concentration de journalistes tués dans la guerre entre Israël et Gaza est sans précédent dans l’histoire du CPJ ». Toujours selon l’association, « plus de journalistes ont été tués au cours des 10 premières semaines de la guerre entre Israël et Gaza qu’il n’y en a jamais eu dans un seul pays sur une année entière. »

Crimes de guerre

Le 15 janvier 2014, la Fédération internationale des journalistes (FIJ), dénombrait au moins 89 journalistes et professionnels des médias palestiniens tués depuis le début de la guerre. Malgré un décompte difficile, le CPJ établit une liste équivalente avec 83 journalistes et professionnels des médias confirmés morts : 76 Palestiniens, 4 Israéliens et 3 Libanais. Un lourd bilan qui « souligne à quel point la situation est grave pour la presse sur le terrain », selon la présidente du CPJ, Jodie Ginsberg.

Le CPJ affirme que l’ampleur et les circonstances des meurtres prouvent que les journalistes palestiniens à Gaza « sont pris pour cible ». Devant cette hécatombe, les différentes ONG de la presse s’activent comme elles peuvent face à « ces crimes de guerre ». Le 22 décembre 2023, Reporters sans frontières (RSF) déposait ainsi « une deuxième plainte devant la Cour pénale internationale pour des crimes de guerre commis contre les journalistes à Gaza depuis le 7 octobre ».

Le 17 janvier, en solidarité avec leurs collègues de Gaza, les journalistes de l’AFP ont manifesté, « pour demander aux autorités israéliennes d’assurer leur sécurité, et de les autoriser à quitter le territoire pour se mettre à l’abri. » Dans une série de tweets, l’agence française a publié des dizaines d’images de leurs équipes à travers le globe, en train de brandir des photos de leurs collègues gazaouis.

Des symboles d’abnégation

Alors qu’un black-out numérique et médiatique est imposé par Israël sur la bande de Gaza, les journalistes locaux continuent de travailler malgré les risques. Avec des coupures d’électricité et d’Internet récurrentes, la visibilité sur le massacre en cours est bien souvent opaque. Access Now, une ONG de défense des droits civiques numériques, a écrit le 18 janvier que « les coupures d’Internet sont une question de vie ou de mort à Gaza. »

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Au milieu de silence, plusieurs journalistes qui arrivent encore à communiquer sont devenus des symboles. Le 25 octobre, le direct de Gaza sur Al Jazeera se coupe. Le journaliste en plateau prend alors la parole. La voix tremblante et les larmes aux yeux, il explique : « Plusieurs membres de la famille de notre collègue, Wael Al-Dahdouh, ont été tués, dont sa femme, son fils et sa fille, par une frappe aérienne qui a visé la maison de notre collègue qui était avec nous (à l’antenne) il y a quelques instants. » Quelques minutes après, le chef du bureau de Gaza, Wael Al-Dahdouh, apparaît de nouveau à l’écran, en train de pleurer ses proches.

Quotidiennement suivi par des millions de spectateurs, le journaliste est blessé début décembre par un éclat d’obus lors d’un bombardement israélien. Son caméraman, Samer Abu Daqqa, y perd la vie. Wael Al-Dahdouh ne s’arrêtera pas, même après le 7 janvier, quand son fils, Hamza Al-Dahdouh, lui aussi journaliste, est tué dans une frappe de drone israélien, avec le journaliste indépendant Mustafa Thuraya. Ce n’est que le 16 janvier que Wael Al-Dahdouh a posé son casque et son gilet pare-balles pour aller se faire soigner d’une blessure à la main à Doha, capitale du Qatar.

J’ai décidé d’évacuer aujourd’hui. Je suis désolé. J’espère que je pourrai bientôt revenir.

M. Azaiza

Ce 23 janvier, un autre journaliste a annoncé, dans une émouvante vidéo qu’il partait de Gaza après 107 jours à couvrir le conflit. Suivi par plus de 18 millions de personnes sur Instagram, Motaz Azaiza a été élu « homme de l’année » par le magazine GQ Middle East à la fin 2023. « C’est la dernière fois que vous me verrez avec ce gilet [par balles] lourd et puant. J’ai décidé d’évacuer aujourd’hui. Je suis désolé. J’espère que je pourrai bientôt revenir en arrière et aider à reconstruire Gaza. » Les larmes aux yeux, Motaz Azaiza retire ensuite son gilet, aidé par plusieurs collègues. « Vous allez me manquer. »

Vague record de détentions arbitraires

Le 7 décembre, des photos dévoilaient des hommes, en rang, arrêtés et dénudés par l’armée israélienne. Interrogé par la BBC, un porte-parole du gouvernement israélien déclarait que les hommes détenus avaient été « découverts dans des zones que les civils étaient censés avoir évacuées, il y a des semaines ». Au milieu de ces hommes se trouvait le journaliste palestinien Diaa al-Kahlout, du média The New Arab. Il a été relâché plus d’un mois après, le 9 janvier 2024. Le jour de sa libération, il déclarait avoir été soumis à plusieurs reprises à des passages à tabac et à des actes de torture.

Israël est aujourd’hui devenu l’un des principaux pays au monde emprisonnant des journalistes depuis le début de la guerre, selon le recensement des prisons de 2023 du CPJ.  « Toutes les personnes connues pour être détenues par Israël à la date du recensement du CPJ du 1ᵉʳ décembre ont été arrêtées dans le territoire palestinien de Cisjordanie, occupée après le début de la guerre le 7 octobre. » Israël et l’Iran, pays détenant chacun au moins 17 journalistes au 1ᵉʳ décembre, se classent à égalité à la sixième place.

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Avec 7 % du total des journalistes enfermés au monde, Israël se place juste après la Chine, la Birmanie, la Biélorussie, la Russie et le Viêt Nam. Depuis, les choses ne se sont pas améliorées, d’après RSF qui dénombre « au moins 31 journalistes palestiniens dans les prisons israéliennes ». Un chiffre qui lui offrirait aujourd’hui la troisième place devant la Biélorussie et la Russie.

Pour Jonathan Dagher, responsable du bureau au Moyen-Orient de RSF, « ces intimidations, cette terreur, ces tentatives incessantes de réduire au silence le journalisme palestinien, que ce soit par des détentions arbitraires, des balles ou des bombes, doivent cesser ».

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99 journalistes et professionnel·les des médias sont morts d’après la FIJ et le CPJ depuis le 7 octobre 2023. 96 % ont été tués par Israël, selon les ONG.

Yazan al-Zuweidi, Mohamed Jamal Sobhi Al-Thalathini, Ahmed Bdeïr, Heba Al-Abdallah, Hamza Al Dahdouh, Mustafa Thuraya, Akram ElShafie, Jabr Abou Hadrous, Mohamed Khaireddine, Ahmed Khaireddine, Mohamed Al-Iff, Mohamed Azzaytouniyah, Ahmad Jamal Al Madhoun, Mohammad Abdul Khaleq Al Ghuf, Huthaifa Lulu, Mohamed Naser Abou Huwaidi, Mohamed Khalifé, Adel Zorob, Abdallah Alwan, Assem Kamal Moussa, Haneen Ali Al-Qashtan, Samer Abou Daqqa, Abdul Karim Odeh, Narmeen Qawwas, Duaa Jabbour, Ola Atallah, Mohamed Abu Samra, Hassan Farajallah, Shaima El-Gazzar, Abdallah Darwich, Montaser Al-Sawaf, Marwan Al-Sawaf, Adham Hassouna, Nader Al-Nazli, Mustafa Bakir, Amal Zahed, Mohamed Mouin Ayyash, Mohamed Nabil Al-Zaq, Assem Al-Barsh, Jamal Hanieh, Farah Omar, Rabih Al Maâmari, Ayat Al-Khaddura, Bilal Jadallah, Abdelhalim Awad, Saary Mansour, Hassouneh Isleem, Mustafa Al-Sawaf, Amr Abu Hayya, Moseab Ashour, Mahmoud Matar, Ahmed Fatmah, Yacoub Bursh, Mousa Al Barsh, Ahmed Al-Qara, Yahya Abu Munie, Mohammad Abu Hasira, Mohammed Al Jajeh, Mohamed Al-Bayyari, Mohammad Abu Hatab, Majd Fadl Arandas, Iyad Matar, Imad Al-Wahidi, Majd Kashkou, Nazmi Al-Nadim, Yasser Abou Namous, Duaa Sharaf, Mohammad Fayez Al Hassani, Jamal Al-Faqawi, Saed Al-Halabi, Ahmed Abu Mahadi, Salma Mukhaimar, Zaher Al Afghani, Mohammed Imad Labad, Roshdi Sarraj, Hani Madhoun, Roee Idan, Muhammad Abu Ali, Khalil Abu Athra, Samih Al-Nadi, Mohammed Balousha, Isam Bahar, Abdul Hadi Habib, Yousef Dawwas, Salam Meimah, Hossam Mubarak , Issam Abdallah, Ahmed Shehab, Mohammed Fayez Yousef Abu Matar, Said Al-Tawil, Mohammed Sobboh, Hisham Al-Nawahjh, Asaad Shamlakh, Shai Regev, Ayelet Arnin, Yaniv Zohar, Mohammad Al-Salhi, Mohammad Jarghoun, Ibrahim Lafi.


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