« Qui a besoin du ciel », un peu de rêve dans le cauchemar américain

Avec Tommy Milliot et son impeccable distribution, le Kentucky de l’Américaine Naomi Wallace devient une puissante caisse de résonance des misères du monde. Et des luttes pour en venir à bout.

Anaïs Heluin  • 6 février 2024 abonné·es
« Qui a besoin du ciel », un peu de rêve dans le cauchemar américain
Les neuf comédiens du spectacle savent y faire avec un verbe qui ne se laisse pas facilement attraper parce que mêlant toujours onirique et concret, trivial même en certaines occasions.
© Pierre Gondard

Qui a besoin du ciel / Jusqu’au 10 février, Centquatre-Paris, Paris (19e) / Du 3 au 6 avril, La Criée, Marseille (13).


Attachée sur la chaise où elle semble assise de toute éternité, la comédienne Catherine Vinatier ouvre Qui a besoin du ciel sur une image cinéma­tographique. On pense prise d’otage, hold-up, cambriolage. Mais Naomi Wallace, l’autrice états-unienne de cette pièce mise en scène par Tommy Milliot – tout juste nommé à la tête du centre dramatique national de Besançon Franche-Comté –, ne reprend au théâtre un motif récurrent au cinéma que pour le détourner. Si elle convoque une représentation habituelle, voire figée de la violence, c’est pour se faufiler derrière et poursuivre sa carto­graphie sensible des injustices sociales et politiques aux États-Unis.

Naomi Wallace aime à mêler l’humour au désespoir.

Les premiers échanges entre la blanche Wilda Spurlock (Catherine Vinatier) et sa voisine noire Annette Patterson (Marie-Sohna Condé), guide au parc national du coin – la couleur de peau est importante dans les relations entre les membres de la petite communauté en jeu –, renversent le cliché liminaire avec l’humour que Naomi Wallace aime à mêler au désespoir. Après que l’une a fini de débiter de sa voix tremblante quelques mantras inspirés d’un livre de développement personnel, du type « c’est moi qui décide. Je suis en sécurité dans l’univers », l’autre traverse le plateau en tenue de jardinière et vient causer potager.

Écriture malicieuse et tragique

Lorsqu’elle annonce que « la taupe est revenue », ce n’est donc pas d’espion que parle Annette, mais d’animal jugé nuisible. Avec cette réplique, Naomi Wallace révèle une partie de son jeu sur les représentations. Marie-Sohna Condé, habile à faire poindre la fragilité de son Annette derrière ses développements intarissables sur les grottes qu’elle fait visiter avant d’être démise de sa fonction, est tout au service de cette écriture malicieuse et humaniste autant que tragique. Elle et Catherine Vinatier, dont on comprend vite que le personnage s’est attaché lui-même pour décrocher des médicaments avec lesquels l’assomme son médecin, sont les cheffes de file d’une belle distribution très finement dirigée.

Les neuf comédiens du spectacle savent y faire avec un verbe qui ne se laisse pas facilement attraper parce que mêlant toujours onirique et concret, trivial même en certaines occasions. La décision de Wilda, qui mobilise tout son entourage, est celle d’un ­Phénix. C’est aussi celle de la dernière chance. Naomi Wallace nous surprend à chaque étape de la tentative de son héroïne d’extorquer de l’argent au PDG de Kentucky Aluminium, cause de bien des malheurs de toute la société que fait vivre Qui a besoin du ciel. Grâce à sa précision et à son minimalisme, la mise en scène de Tommy Milliot fait de ce cauchemar américain le nôtre. Sans en oublier les lumières. 

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Théâtre
Temps de lecture : 3 minutes