Thomas Brail, garde du corps des arbres

Depuis 2019, le grimpeur tarnais se bat pour défendre le patrimoine végétal. On a pu le voir suspendu en haut d’un platane ou se livrer à des grèves de la faim. Jouant de l’attention médiatique pour faire avancer ses causes.

Vanina Delmas  • 14 février 2024 abonné·es
Thomas Brail, garde du corps des arbres
Thomas Brail, dans un arbre devant le ministère français de la transition écologique à Paris, le 28 août 2019, pour protester contre la déforestation en France et en particulier contre le projet d'abattage d'arbres à Condom.
© Martin BUREAU / AFP

Son nom est bien inscrit sur la boîte aux lettres mais sa maison n’est pas là. Pourtant, nous sommes arrivés au bout de l’impasse de ce hameau de Saint-Amans-Soult, aux confins du Tarn. « Il faut encore marcher quelques mètres. C’est le portail au bout du chemin ! » glisse Thomas Brail au téléphone. Derrière cette palissade métallique capricieuse, un écrin de nature paisible, au cœur de la Montagne noire, où cohabitent un savoureux mélange de prairie et de forêt, un potager, des arbres fruitiers, un hêtre pourpre, des nichoirs pour oiseaux et chauve-souris, des poules qui déambulent autour d’un gigantesque sapin. Au loin, le bruit d’un ruisseau, frontière naturelle et amicale du terrain familial.

« Mes parents faisaient de l’élevage de volailles en plein air ici », raconte-t-il en désignant les anciens bâtiments transformés en bergerie pour ses moutons – pas toujours très aimables. Un calme qui contraste avec le tourbillon médiatique dans lequel Thomas Brail est plongé depuis quelques années. Le grand public l’a vu dans les médias, harnaché au sommet d’un arbre, mais aussi le visage émacié et les traits tirés par des jours de combat, osant par deux fois la grève de la faim. Depuis 2019, Thomas Brail se donne corps et âme pour défendre les arbres. Pour faire prendre conscience de l’importance de ce patrimoine végétal, dénigré, invisibilisé, maltraité, que ce soit dans les forêts, dans les villes ou sur les bords de route.

Une révolte organique

La première bataille a eu lieu chez lui, à Mazamet, lorsqu’il apprend que la municipalité va abattre une rangée de platanes centenaires. Des arbres qu’il a côtoyés pendant une dizaine d’années en tant que jardinier de la ville. Après avoir tenté la pédagogie avec le maire, il grimpe dans un arbre à l’aube et y passe trois jours et deux nuits. Une action d’éclat qui permet d’éviter la tronçonneuse à cinq arbres et met un coup de projecteur sans précédent sur des centaines de luttes locales semblables partout en France.

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Comme un ambassadeur du végétal un brin tête brûlée, Thomas Brail est appelé à la rescousse partout. Pour sauver les platanes de la ville de Condom, dans le Gers, il reste 28 jours, en septembre 2019, en haut d’un arbre face au ­ministère de la Transition écologique à Paris. En 2022, il revient dans la capitale défendre les arbres de la tour Eiffel menacés par la construction d’une bagagerie pour touristes. En 2023, il rejoint la lutte contre le projet d’autoroute A69 devant relier Toulouse à Castres, en se perchant dans un arbre à Vendine, dans la Haute-Garonne, puis à Paris et en arrêtant de s’alimenter pendant plus d’un mois.

Thomas est malin, stratège et prêt à tout pour faire parler de ses combats.

A. Avan

La plupart de ses combats sont perdus, les arbres arrachés, mais Thomas Brail a gagné une médiatisation hors norme et mis en lumière la problématique de l’arbre au niveau national. « Thomas est malin, stratège et prêt à tout pour faire parler de ses combats. Il sait ce qu’il fait ! Parfois, il prend des décisions seul et c’est vrai que la radicalité de quelques actions a pu cliver au sein de l’association. Mais quand il s’adresse aux médias, aux élus ou aux forces de l’ordre, il sait aussi faire redescendre la pression, et c’est très précieux dans le contexte actuel des luttes », décrit Angela Avan, coprésidente du Groupe national de surveillance des arbres (GNSA), que Thomas Brail a cofondé.

Le Tarnais l’assure : il se filme, poste les vidéos, mais ne regarde jamais les commentaires sur les réseaux sociaux. S’il n’aime pas ce monde virtuel, il a compris son impact auprès du grand public, des sphères militantes, de certains maires, mais aussi des forces de l’ordre. Thomas Brail sait aussi qu’il a ses détracteurs, partout, mais jusqu’à présent son obstination n’a pas de faille. « Ma peau, c’est comme la cuticule d’une feuille qu’on appelle la paroi pectocellulosique. Et la pectine permet de faire ruisseler l’eau qui tombe sur les feuilles », décrit-il, heureux de sa comparaison.

Électron libre et sauvage

Mais qui est-il vraiment ? Un gourou, comme l’a décrit un article du Point ? « Je ne cherche pas à embarquer à tout prix les gens dans ma folie », réplique-t-il, amusé. « Il nous a guidés à un moment clé, mais il n’est pas contre s’effacer au profit d’autres membres du GNSA », ajoute Angela Avan. Apolitique ? Il le revendique, notamment pour mettre toutes les chances de son côté pour sauver des arbres face à des municipalités de gauche et de droite. Mais il avoue à demi-mot se sentir quand même plus proche d’une partie de la gauche française qui pense l’écologie dans sa globalité. Écolo ? « Si vouloir respirer un bon air, manger de bons produits et boire de la bonne eau, c’est être écolo, alors oui. »

Parfois, je n’ai plus envie de remettre le pied au sol.

T. Brail

L’étiquette qui lui collerait le mieux à la peau est celle de l’écureuil, surnom donné aux grimpeurs qui se perchent au sommet des arbres menacés d’abattage. Il éprouve toujours la même sérénité, que ce soit à 40 mètres dans un platane au bord d’une route nationale française, au sommet d’un séquoia, ou à 60 mètres dans un arbre majestueux en Guyane. « À une certaine hauteur, on n’entend plus le monde des vivants. Parfois, je n’ai plus envie de remettre le pied au sol, je préfère rester dans ce monde fait du bruit des feuilles, des oiseaux, de ce balancement au rythme du vent. Quand je redescends, je ne me sens plus vraiment en sécurité. »

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Une bulle apaisante qu’il se forge dès son enfance dans cette nature sauvage. Minot, il part souvent en balade improvisée dans la forêt, seul avec son chien pour explorer les rochers, la rivière, les cascades, pour construire des cabanes dans les arbres. Un esprit indépendant décuplé à l’adolescence par l’arrivée de la mobylette qui lui permet de partir sur un coup de tête à Cabrespine, dans l’Aude, où vit sa famille paternelle depuis plus de quatre cents ans. Ses mirettes luisent à l’évocation de son grand-père Charlou, « un sacré personnage ».

Il se rêve garde forestier mais n’a pas les notes suffisantes, alors il est orienté vers un CAP-BEP jardins-espaces verts. Il y apprend l’essentiel mais exècre l’usage des pesticides. Quelques années plus tard, il se forme auprès d’Éric Petiot, spécialiste du soin du végétal par les plantes, et apprend la géobiologie, l’étude des sols, l’électromagnétisme de la terre, la fabrication d’extraits fermentés de plantes. « J’ai découvert la puissance du végétal et je ne plante jamais un arbre sans connaître le sol et les nœuds telluriques du lieu. Un arbre ne bouge pas, il est donc soumis toute sa vie aux aléas de la zone où tu décides de le planter. Bien souvent, on se plante d’endroit. » La tête dans les cimes mais les pieds enracinés sur terre.

Militer, ça casse

À l’aube de la cinquantaine, Thomas Brail a ressenti le besoin d’agir. Sans doute le déclic de la paternité car, il le répète, tout ce qu’il fait, c’est pour son fils, pour les générations futures. « On ne va pas en prison parce qu’on défend les arbres ! » assure-t-il. Comme une poignée de citoyens opposés à l’autoroute entre Castres et Toulouse, il est poursuivi en justice. Son crime : avoir bloqué une pelle mécanique à Vendine. Il ne regrette rien, mais s’accorde une pause militante pour se refaire une santé car, « quand on décide de lutter, il y a beaucoup de casse ».

J’ai un peu de mal à me reconstruire, alors c’est plus difficile pour grimper.

T. Brail

Sur le plan personnel, il confie s’être séparé de sa compagne à cause de son engagement. Il a également perdu des amis depuis sa mobilisation contre l’A69, qui cristallise quelques tensions dans le Tarn. Sur le plan financier, il a divisé son salaire par quatre. Il a monté sa propre entreprise il y a quelques années, Cyprès de mon arbre, en tant qu’arboriste-­grimpeur, mais est un peu boudé par certains élus.

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Sur le plan physique, ses combats ont entaillé son écorce. Après quarante jours de grève de la faim et huit heures de grève de la soif, il a perdu 11 kilos et reconnaît y avoir « laissé quelques plumes ». « J’ai trop tapé dans les muscles, et j’ai un peu de mal à me reconstruire, alors c’est plus difficile pour grimper », admet-il, au coin du feu de cheminée. « Oui, je me chauffe au bois », glisse-t-il, un sourire aux lèvres, conscient de tendre une perche à ses détracteurs. « Mais ce bois vient de mon hectare de forêt gérée de façon durable depuis des décennies afin de la laisser intacte à mon fils et mes petits-enfants ! »

La première branche vers son rêve de vivre en autonomie totale. L’autre étape sera l’autonomie alimentaire, grâce à son potager et à ses arbres fruitiers qui s’épanouissent dans cette ancienne châtaigneraie. « Je leur fous la paix et ça marche », conclut-il. Auprès de son arbre, Thomas Brail vit très heureux.

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