A69 : au procès des « écureuils », défenseurs des arbres centenaires

Quatre opposant·es au projet d’autoroute A69 entre Toulouse et Castres étaient jugé·es le 17 janvier pour s’être enchaîné·es à des machines d’abattage en mars dernier.

Vanina Delmas  • 18 janvier 2024
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A69 : au procès des « écureuils », défenseurs des arbres centenaires
Un globe terrestre a été symboliquement brûlé, en soutien citoyen aux quatre personnes en procès.
© Vanina Delmas

La planète brûle. Ce mercredi 17 janvier, elle a pris feu au sens propre devant le palais de justice de Toulouse. Après avoir érigé en quelques minutes un mur de parpaings, tagué de rouge et de vert « L’A69 ne passera pas ! », les citoyen·nes ont mis symboliquement le feu à un globe terrestre fait de carton et de papier. Des actions symboliques pour montrer l’urgence à agir contre le changement climatique, et le projet d’A69 entre Castres et Toulouse. Mais aussi pour soutenir les quatre écureuils (nom des militant·es qui grimpent dans les arbres pour empêcher leurs coupes) poursuivis en justice pour « opposition par violence ou voie de fait à l’exécution de travaux publics ou d’utilité publique ».

Le 27 mars 2023, Elouan H., Stéphane F., Maël T., et Lison W. ont pénétré à l’aube sur une zone du chantier de l’A69 à Verfeil (Haute-Garonne) et se sont enchaînés aux grues d’abattage et aux tractopelles de la société SMDA afin d’empêcher la poursuite du déboisement de la parcelle. Trois heures plus tard, ils étaient délogés par les gendarmes, sans résistance. Pour eux, la nécessité d’agir est évidente, car les coupes de ces arbres d’alignement centenaires sont illégales et dévastatrices pour des espèces d’oiseaux en pleine période de nidification.

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« Pour moi, tout s’est déclenché en une semaine », raconte Stéphane, engagé depuis une vingtaine d’années dans la défense de l’environnement. Une semaine avant son passage à l’action, il se rend à Vendine, sur le tracé, où Thomas Brail était perché dans un platane centenaire pour le défendre. Il apprend par les avocats que ces coupes sont illégales, car selon le code de l’environnement, il faut une autorisation spécifique pour ces arbres d’alignement centenaires qui abritent de la faune et de la flore.

Le mur de parpaing érigé symboliquement le jour du procès, à Toulouse, devant le palais de justice. (Photo : Vanina Delmas.)

Les opposants voient alors voler des mésanges charbonnières, brindille dans le bec, jusqu’à un nid au creux de cet arbre. « Nous avons repéré les nidifications en cours à Verfeil et nous avons constaté la présence de plusieurs espèces, certaines protégées : mésanges charbonnières, sittelles, buses variables… Un travail que les écologues du bureau d’étude n’avait pas fait ! Face à cette inaction institutionnelle, j’ai choisi l’action personnelle dans un cadre non-violent. »

« Prendre à bras-le-corps le problème »

Maël a aussi vécu cette montée en pression progressive jusqu’à l’action. Habitant de cette vallée du Girou, il n’envisage pas avoir une autoroute à 400 mètres du jardin où jouent ses enfants. Jusqu’à l’année dernière, il ne s’était pas vraiment engagé. Mais en début 2023, les résultats de l’enquête publique émettent de nombreuses réserves, et de plus en plus de riverains sont opposés à l’A69.

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« Il m’est apparu légitime de prendre à bras-le-corps ce problème. On ne peut plus nier les changements face à nous, proches de nous, déclare-t-il. Mon quotidien change chaque jour à cause d’arbres abattus, souvent dans l’illégalité. Et il y a aussi une disproportion de l’usage des forces de l’ordre : des copains qui partent en garde-à-vue pour le blocage de machines, la présence de onze escadrons de gendarmerie pour la coupe d’arbres. Alors je me suis perché sur cette machine, située à 500 mètres à vol d’oiseau de chez moi. »

Mon quotidien change chaque jour à cause d’arbres abattus, souvent dans l’illégalité.

Maël

Face à un tribunal plutôt conciliant, quatre témoins s’expriment ensuite à la barre : Christophe Cassou, climatologue et co-auteur principal du dernier rapport du Giec, Marie Toussaint, eurodéputée écologiste, Olivier Chollet, référent de l’antenne tarnaise du Groupe national de surveillance des arbres (GNSA), et Sabine Mousson, maire de Teulat, village situé sur le tracé de l’A69. Christophe Cassou, habitué de l’exercice, s’emploie à rappeler les grandes conclusions scientifiques « sans équivoque » sur le dérèglement climatique et que « chaque tonne de CO2 évitée dans l’atmosphère compte ».

« À l’échelle régionale, les transports représentent 47 % des émissions et cette nouvelle autoroute conduira à une augmentation des émissions de CO2, les arguments en faveur de ce projet sur le plan socio-économique ne correspondent pas aux constats scientifiques », alerte-t-il. « Je peine à comprendre comment un État condamné deux fois pour inaction climatique peut encore autoriser un projet qui nuit à la biodiversité, au climat, à la qualité de l’air. L’action des militant·es est une action de bienveillance envers la population, les arbres et les écosystèmes », enchaîne Marie Toussaint.

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Sabine Mousson, maire de Teulat depuis 2014, livre un témoignage bref, mais qui pique au vif. Si l’A69 se fait, son village sera concrètement coupé en deux. « Il faudra franchir un pont pour rejoindre le bas du village », glisse-t-elle. Elle raconte comment plusieurs élus locaux se battent depuis dix ans face à ce serpent de bitume, comment la colère des riverains monte en puissance et son inquiétude notamment pour la disparition des terres agricoles. « Et le prix du péage de 17 euros l’aller-retour va créer des inéquités territoriales. Je crains aussi le risque de pollution, et que les réseaux routiers secondaires soient mis à mal. »

L’ombre de Rémi Fraisse

L’avocat de la partie civile tente d’inverser la vapeur, de montrer que la société qu’elle représente n’est pas une adepte du greenwashing, mais une « petite PME vertueuse ». Il égraine ses divers engagements pour l’environnement depuis quarante ans, et précise que pour chaque arbre arraché, un autre est planté. « Cette entreprise n’est pas TotalEnergies ! Les prises de parole donnent l’impression qu’elle a une responsabilité énorme dans le changement climatique ! Qu’y peut-elle ? », s’insurge-t-il.

Marie Toussaint, eurodéputée écologiste (en tenue noire et baskets blanches) et le climatologue Christophe Cassou (à côté, parka rose) sont venus soutenir les défenseurs des arbres poursuivis. (Photo : Vanina Delmas.)

En écho, les avocates des prévenu·es demandent également de la rigueur notamment sur la notion d’utilité publique du projet d’autoroute, et sur les autorisations d’abattage des arbres d’alignement : « Il n’est pas évident qu’il s’agisse de travaux d’intérêts public, que la société a toutes les autorisations. Le dossier est vide, donc vous ne pourrez pas entrer en voie de condamnation. » Mais c’est la référence à Rémi Fraisse qui tombe comme un couperet. Quasiment dix ans après, l’ombre de la mobilisation contre le barrage de Sivens (Tarn) et la mort du jeune naturaliste plane toujours. 

Le projet de l’inconscience, de l’arrogance, et du mépris.

C. Durand

« Aucune leçon n’a été tirée de Sivens ! Les militants grimpaient aussi dans les arbres pour les défendre, mais les travaux ont continué. Puis le tribunal a annulé l’utilité publique du projet après la mort de Rémi Fraisse ! Parce qu’on est dans le Tarn, parce qu’on sait le drame qui est advenu, nous avons conscience qu’on ne peut pas attendre les décisions des recours juridiques pour agir, car elles arrivent toujours trop tard ! », clame Me Claire Dujardin.

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Sa consœur, Me Clémence Durand, poursuit en qualifiant l’A69 comme « le projet de l’inconscience, de l’arrogance, et du mépris » envers les habitant·es de ce territoire. « C’est un manque de considération envers les générations futures, leur droit à vivre dans un environnement sain. Est-ce que ce ne sont pas les militants contre le projet de Sivens, contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes qui ont permis que justice se fasse ? », interroge-t-elle.

Le procureur, peu véhément, a requis une peine d’avertissement de 1 000 euros d’amende dont 900 assortis du sursis pour chaque prévenu·es. Le délibéré est fixé au 28 février. Les applaudissements résonnent dans la salle avant-même la suspension d’audience. Des preuves de soutiens dont auront besoin l’ensemble des opposant·es à l’A69 puisque six autres procès auront lieu entre janvier et mai.

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