Ukraine : le temps du doute

Deux ans après le début de la guerre de la Russie contre l’Ukraine, une sorte de statu quo s’est installé. Emmanuel Macron a évoqué une intervention occidentale directe dans le conflit. Encore une inconséquence.

Denis Sieffert  • 27 février 2024
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Ukraine : le temps du doute
Marche dans le centre-ville de Budapest pour marquer la deuxième année de l'invasion militaire russe de l'Ukraine, le 24 février 2024, près de l'ambassade de Russie.
© ATTILA KISBENEDEK / AFP.

Quand et comment cette guerre va-t-elle finir ? Nous avons d’abord été convaincus que la puissante armée russe ne ferait qu’une bouchée de la petite armée ukrainienne. C’était il y a tout juste deux ans. Puis, après une résistance opiniâtre, l’Ukraine a fait souffler l’été dernier un vent d’optimisme. La grande contre-offensive en lisière du Donbass allait infliger une défaite décisive à Poutine. Aucune de ces prophéties ne s’est réalisée. Au contraire, une sorte de statu quo s’est installé. Et, aujourd’hui, deux guerres se mènent. Celle des missiles russes qui détruisent les villes et tuent des civils. Et cette autre, dans les tranchées, sur le front. Ce n’est pas le Chemin des Dames, mais Bakhmout et Avdiivka. Les troupes ukrainiennes, moins nombreuses et en manque de munitions, s’y épuisent. On se bat et on meurt pour conquérir des champs de ruines.

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En vérité, l’issue se décide dans les capitales européennes et à Washington. Et c’est à partir de ces places éloignées du conflit que le doute se propage. L’aide américaine est bloquée par les amis de Donald Trump à la Chambre des Représentants, et l’aide européenne est inégale et tardive. Il faudrait à l’Ukraine des batteries Patriot pour parer les attaques de missiles, des avions de combat qui lui sont toujours refusés, et des munitions, beaucoup de munitions. Cette situation alarmante préfigure ce qui adviendrait en cas de succès de Trump à la présidentielle de novembre. Pas besoin d’être grand clerc pour imaginer que la victoire serait alors rapidement à portée de missiles pour Poutine.

La victoire de Poutine serait aussi une victoire des extrêmes droites en Europe, France comprise.

Le dictateur russe en profiterait pour mordre un peu plus sur le territoire ukrainien avant de négocier un cessez-le-feu tout à son avantage. En attendant un nouvel assaut deux ou trois ans plus tard, en vue d’atteindre son objectif premier, Kyiv et la « poutinisation » de la société ukrainienne. Les Russes en connaissent le prix : régression des mœurs, abolition des libertés et liquidation de la démocratie. Sans oublier ce déchaînement de propagande qui assomme tout un peuple. Ce serait aussi une victoire des extrêmes droites en Europe, France comprise, qui partagent les valeurs de Poutine. Au contraire, si Trump est vaincu, ou empêché par la justice, et si l’aide européenne devenait cohérente, il serait possible que Poutine soit repoussé à l’intérieur de ses frontières, Crimée comprise.

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Avec un corollaire dont on peut rêver, la chute du dictateur. Certains, même à gauche, ont une troisième option : ne pas attendre la victoire de Trump, faire taire les armes et entrer tout de suite en négociation. C’est la fameuse « solution politique ». On peine à imaginer qu’elle serait autre chose qu’une victoire par anticipation de Poutine. Car il n’y a guère de solution politique dans un conflit territorial. Ou bien la Russie absorbe vingt pour cent du territoire ukrainien, en attendant mieux, ou bien elle se retire du Donbass et de la Crimée. Qui peut penser un seul instant que Poutine admettrait cette hypothèse, ou même un moyen terme qui lui imposerait de rendre tout ou partie du Donbass pour ne garder que la Crimée ?

La surenchère, avec Poutine, ça ne marche pas. C’est même très dangereux.

On entend bien l’argument qui n’est pas de peu de poids : épargner des vies humaines. Il suppose que Poutine se satisfasse définitivement du compromis, et renonce à Kyiv. Ce n’est pas son genre. Sans cela, il n’y a pas d’autre choix que soutenir l’Ukraine. Car rien n’est pire que l’inconséquence qui voudrait que l’on souhaite la victoire ukrainienne sans en donner les moyens à Kyiv. On a donc particulièrement apprécié une tribune, publiée dans Libé, qui se prononçait sans détour pour les livraisons d’armes dont l’Ukraine a besoin. Elle portait entre autres les signatures des sociologues Nicole Lapierre et Anne Querrien, et de l’anthropologue Véronique Nahoum-Grappe (1). Que de dangereuses « va-t’en guerre » !

1

« Aider l’Ukraine, c’est nous aider », Libération du 24 février.

Mais voilà qu’à l’issue d’une conférence de soutien à l’Ukraine, lundi à Paris, Macron nous sort de sa boîte à malices une autre perspective, pour laquelle, prend-il le soin de préciser, «il n’y a pas consensus» (on s’en douterait !). Celle d’une intervention occidentale directe en Ukraine. Encore une inconséquence ! Au mieux, c’est à l’esbroufe une réponse à Poutine, lequel multiplie les provocations, menace nos avions en mer Noire et pourrit notre société à coups de cyberattaques. Au pire, c’est un propos d’une incroyable légèreté, à l’égal de sa « proposition » de coalition contre le Hamas. Dans tous les cas, c’est une nouvelle faute psychologique. La surenchère, avec Poutine, ça ne marche pas. C’est même très dangereux.

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