Dans l’Allier, une future mine de lithium électrise le débat

Mené par une entreprise privée, Imerys, un projet de mine de lithium particulièrement gourmand en eau crispe les riverains et les associations. À gauche, seule LFI montre une véritable opposition au dossier, tel qu’il est présenté.

Tristan Dereuddre  • 26 mars 2024
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Dans l’Allier, une future mine de lithium électrise le débat
Une usine d'extraction de lithium en Bolivie.
© Aizar RALDES / AFP

La petite commune d’Échassières n’a pas l’habitude d’être sous le feu des projecteurs. Pourtant, elle catalyse les débats écologiques depuis quelques jours, autour d’un projet de mine de lithium. Baptisé « Emili » (pour “exploitation du mica lithinifère”), le chantier consisterait à implanter la première mine d’extraction de lithium en France, sur le site d’une ancienne carrière de kaolin (argile blanche). Le lithium est un métal essentiel à la conception de batteries électriques en tous genres. Environ 34 000 tonnes par an devraient être extraites de ce qui deviendra l’une des plus grosses mines d’Europe à partir de 2028.

Exploitée par le géant industriel Imerys, cette mine pourrait bien assurer la transition de la France vers les véhicules électriques, avec assez de lithium pour 700 000 batteries de voitures chaque année. Prélevé à l’état brut, le lithium serait ensuite acheminé vers un centre de stockage à 15 kilomètres de la mine, avant d’être envoyé à l’usine de Montluçon pour le raffinage. Si Imerys affirme que l’exploitation du site sera propre – de l’extraction du lithium à son acheminement –, le projet suscite de nombreuses controverses.

L’équivalent d’une piscine olympique pompée tous les deux jours

Étienne Philippe est membre de Préservons la forêt des Colettes. Son association s’inquiète des risques potentiels de pollution des sols et des eaux liés au projet : « Ce genre de mine va chercher dans la roche des minéraux à l’état moléculaire. Les millions de tonnes de granites sont broyés pour trouver le mica, au sein duquel se trouve le lithium ou le béryllium (métal polluant). Par un réseau de failles, les eaux souterraines viendront au contact de ces métaux, et on retrouvera dans les réseaux d’eau d’Échassière », glisse-t-il.

Par définition, une mine ne peut pas être propre.

É. Philippe

Les inquiétudes sont vives car des précédents existent : les sols et les eaux du secteur sont pollués à l’arsenic et au plomb en raison de l’activité minière du passé. Un rapport épluché par nos confrères de Disclose révèle que cette pollution dépasserait jusqu’à dix fois les seuils de risques. « Imerys insiste sur le fait que la mine sera ‘responsable’ ou ‘presque propre’. Je ne doute pas qu’elle le sera au maximum, mais par définition, une mine ne peut pas être propre », soupire Étienne Philippe. L’étude hydrogéologique supposée mesurer les potentiels impacts polluants de la mine, promise par Imerys, n’a toujours pas été publiée.

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Autre point de crispation, l’utilisation de l’eau, une ressource en tension : la mine devrait pomper quelque 600 000 m3 d’eau par an dans la rivière voisine, la Sioule. L’équivalent d’une piscine olympique tous les deux jours, dans une région fortement touchée par des sécheresses de plus en plus virulentes. Les arguments d’Imerys, qui loue « une production de lithium bas carbone en circuit court », peinent à convaincre. Face à la contestation, une commission nationale du débat public (CNDP) a été lancée le 12 mars dernier pour recueillir les avis des habitants. Mais celle-ci, consultative, n’aura aucune valeur contraignante.

Écologistes et communistes plutôt pour, les insoumis contre

Au niveau politique, le parti communiste s’est montré favorable au projet. « Pour faire des voitures électriques pas chères, il vous faut un bon litre d’éthanol, un bon litre d’hydrogène, et une bonne barque de lithium. C’est comme ça qu’on fait de l’écologie populaire ! », déclarait Fabien Roussel lors d’un meeting le 18 mars dernier. « Pouvoir extraire le lithium en France avec des normes sociales et environnementales, sans être obligés de l’importer avec le coût environnemental que ça représente, c’est une opportunité que nous devons saisir », poursuivait-il.

De leur côté, les écologistes se montrent plus prudents : « On n’est pas nécessairement opposés au projet, dans l’attente de la publication de l’étude hydrogéologique d’Imerys. On est inquiet sur la question de l’eau, c’est notre priorité. On sera très vigilants sur les conditions d’extraction », explique Anne Babian Lhermet, conseillère régionale en Auvergne Rhône-Alpes pour Les Écologistes, qui participera au débat public.

On se doit de penser à extraire du lithium en Europe dans de meilleures conditions.

A. Babian Lhermet

Comme le parti communiste, l’un des arguments avancés par EELV est celui de la sous-traitance du lithium dans les pays du sud : « On se doit de penser à extraire du lithium en Europe dans de meilleures conditions. Ça peut permettre de faire comprendre aux gens les externalités négatives des produits qu’on utilise au quotidien, et les amener vers un cheminement de la sobriété », indique Anne Babian Lhermet.« La sous-traitance de la transition énergétique est un vrai sujet, mais il n’existe pas de mines propres », tempère l’eurodéputé écologiste François Thiollet, conscient des limites du projet.

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C’est la France Insoumise qui montre l’opposition la plus ferme : « On rejoint le fait qu’on ne peut pas continuer à sous-traiter la production de lithium dans les pays du sud. En revanche, on s’oppose au projet tel qu’il est présenté et livré aujourd’hui. C’est un projet délégué à une entreprise privé qui veut faire du profit » déplore Marianne Maximi, députée du Puy-de-Dôme. « On n’a pas les leviers démocratiques pour s’assurer que les impacts environnementaux et sanitaires ne seront pas néfastes. On n’a que la communication d’Imerys, on manque clairement de transparence », poursuit-elle.

Insoumis et écologistes se rejoignent néanmoins sur l’utilisation du lithium issu de cette mine : pas question de remplacer la totalité du parc de voitures thermiques par des véhicules électriques. Pour Anne Babian Lhermet, la question des mobilités « se doit d’être repensée vers plus de sobriété », tandis que Marianne Maximi insiste sur « la nécessité de s’inscrire dans une réflexion à l’échelle nationale, en matière de transition écologique, qui dépasse la question de cette mine. »

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