« Les mégabassines provoquent une sécheresse anthropique des cours d’eau »

Anne-Morven Pastier et Johanne Rabier, membres de Bassines non merci 86, expliquent les raisons de leur opposition aux retenues d’eau agricoles et les multiples stratégies des institutions pour les imposer.

Vanina Delmas  • 25 mars 2024
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« Les mégabassines provoquent une sécheresse anthropique des cours d’eau »
Manifestation du collectif « Bassines non merci » et de la Confédération paysanne à Lezay (Deux-Sèvres), le 18 août 2023, pour protester contre la construction d'une nouvelle réserve d'eau.
© Yohan Bonnet / AFP

En janvier dernier, en plein mouvement de colère du monde agricole, Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, a réaffirmé son soutien au « système vertueux » des réserves d’eau depuis la Vendée, territoire précurseur de ces bassines et mégabassines. Le ministre de l’Agriculture a précisé qu’un fonds de 20 millions d’euros sera destiné à améliorer le stockage et l’irrigation.

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Pourtant, les scientifiques répètent que ces retenues sont loin d’être la seule réponse au manque d’eau et que l’urgence est de ralentir le cycle de l’eau. Et les collectifs citoyens se multiplient en France pour s’y opposer, et rappeler que seule une gestion collective et transparente de l’eau préservera cette ressource sur le long terme. Anne-Morven Pastier et Johanne Rabier, membres de Bassines non merci (BNM) 86 expliquent les raisons de leur opposition et les multiples stratégies des institutions pour imposer ces bassines.

Qui constitue le collectif Bassines Non Merci ?

Anne-Morven Pastier et Johanne Rabier : C’est un collectif de collectifs, car le mouvement antibassines, porté par des associations environnementales ou des citoyen·nes, existe depuis plusieurs années localement. Par exemple, Bassines non merci 86 a été créé en 2018. Petit à petit, d’autres collectifs sont nés soit parce que des projets de bassines arrivaient dans leur région, soit en soutien au mouvement. Les mobilisations ont débuté par de petites manifestations locales, et de la pédagogie, des réunions d’informations envers le public car il y a toujours eu beaucoup de désinformation, de mensonges à ce sujet. Puis les manifestations ont pris de l’ampleur notamment parce que toutes les tentatives de dialogue ont échoué.

Ces mégabassines servent à moins de 5 % des agriculteurs du bassin, qui sont en grande majorité des céréaliers !

Dans les Deux-Sèvres, un protocole d’accord a été mis en place par la Coop 79, qui porte les projets de bassines. Au départ, BNM 79 était intégré au processus puis a été exclu des discussions. D’autres associations environnementales l’ont alors quitté. En 2021, Les Soulèvements de la terre nous ont rejoint dans cette lutte et lui ont donné de l’ampleur mais nous étions déjà accompagnés de partenaires historiques comme la Confédération paysanne, les syndicats CGT et Solidaires.

Contre quoi vous battez-vous ?

Au départ, c’étaient des bassines, et non des mégabassines. En France, les premières sont apparues à la fin des années 1990 et il y a eu des opposant·es dès le début. Petit à petit, ces bassines et ces mégabassines se sont multipliées. BNM lutte contre les mégabassines, et plus globalement pour un changement de modèle agricole ! Un modèle qui ne soit pas agro-industriel intensif surtout porté sur le commerce, sur l’export, donc la balance commerciale française.

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On se bat pour une agriculture paysanne, vivrière, beaucoup plus locale, respectueuse de l’environnement, et pour les droits des paysannes et des paysans. BNM se bat également contre l’accaparement de l’eau, pour un partage de l’eau plus juste et une gouvernance qui soit plus transparente, qui inclut les habitantes et habitants des bassins versants.

Ces mégabassines servent à moins de 5 % des agriculteurs du bassin, qui sont en grande majorité des céréaliers ! En Vendée, il y a déjà plusieurs dizaines de bassines, dans les Deux-Sèvres, des chantiers ont démarré depuis Sainte-Soline et seize autres sont encore en projet. La justice a rejeté nos recours mais nous avons fait appel, nous attendons la réponse. En Charente, sur les seize bassines prévues sur le bassin de Aume-couture, neuf ont été annulées par le tribunal administratif de Poitiers, mais quatorze sont déjà en activité sur ce tout petit bassin versant.

Le nouveau projet de loi agricole va mettre en place des mesures de facilitation juridiques pour les porteurs de projets de stockage d’eau.

Dans la Vienne, des bassines sont construites depuis longtemps et au moins trente autres sont en projet sur le bassin du Clain dont certains chantiers pourraient démarrer prochainement. Normalement ils étaient censés passer par un projet de territoire pour la gestion de l’eau pour obtenir des financements et commencer des travaux. Sauf que là, ils sont en train de trouver des stratégies de contournement. On pourrait donc avoir des bassines qui seraient lancées avant même la fin du projet de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE).

Ces stratégies de contournements sont-elles récurrentes pour concrétiser ces projets ?

Elles sont systématiques et à tous les niveaux. Sur le plan national, le nouveau projet de loi agricole va mettre en place des mesures de facilitation juridiques pour les porteurs de projets de stockage d’eau, preuve flagrante du soutien de l’État à ce système de « rétention d’eau ». Au niveau des instances de gestion de l’eau, des préfectures, on retrouve des conflits d’intérêts, des jeux d’influence à chaque échelon qui permettent de contourner les réglementations afin de toujours donner la priorité à l’agriculture portée par la FNSEA, les coopératives…

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Par exemple, sur le bassin du Clain, ils ont contourné l’étude scientifique HMUC (Hydrologie, Milieux, Usages et Climat) sur lequel le PTGE est censé se baser car celui-ci affirme qu’il faut réduire drastiquement les volumes prélevés. Dans les Deux-Sèvres, des citoyens ont décidé de déposer une plainte contre la maire de Val-du-Mignon, pour prise illégale d’intérêt car son exploitation familiale sera bénéficiaire de la future bassine de Priaires.

Mais l’exemple le plus flagrant concerne les cinq bassines qui ont été déclarées illégales en Charente-Maritime : à chaque étape, ils ont perdu les procès, et pourtant, la préfecture a constamment signé les autorisations de travaux. Aujourd’hui, les bassines sont construites alors qu’elles sont interdites et les dégâts ont déjà été faits.

Quel est l’état hydrologique des territoires où des bassines sont installées ?

Les bassines sont toujours installées dans des bassins classés zone de répartition des eaux (ZRE) c’est-à-dire des lieux en déficit chronique de ressources en fonction des besoins locaux. C’est le cas pour le bassin de la Sèvre niortaise, pour le bassin du Clain dans la Vienne, pour la Charente… Or, ces endroits ne sont pas arides car il y a des nappes souterraines où, normalement, l’eau peut se stocker naturellement. Ils parlent de réserves de substitution pour faire passer le message qu’en prélevant de l’eau l’hiver, les nappes et les cours d’eau se porteront mieux en été. Or, chaque année, ils peinent à atteindre les volumes d’irrigation autorisée car il y a des arrêtés de sécheresse !

Dans les endroits où on a des bassines depuis longtemps, comme en Vendée, les cours d’eau sont constamment à sec l’été.

Cela fait 30 ans qu’on sait qu’on pompe trop dans ces bassins par rapport à la quantité d’eau disponible. Les mégabassines provoquent une sécheresse anthropique. L’objectif originel des bassines, financées à 70 % par de l’argent public via les agences de l’eau, était de respecter la directive cadre européenne sur l’eau de 2000 et la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (Lema) de 2006. Dans les endroits où on a des bassines depuis longtemps, comme en Vendée, les cours d’eau sont constamment à sec l’été.

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Dans le bassin des Autistes par exemple, comme ils prélèvent des millions de mètres cubes d’eau à partir du mois de novembre, cela retarde la recharge des nappes phréatiques. Conséquence : s’il ne pleut qu’au début de l’hiver, l’eau est sécurisée pour les grandes plaines céréalières et le maïs, mais pas pour l’eau potable ou pour les milieux aquatiques.

Il y a un an, juste après la manifestation de Sainte-Soline qui a rassemblé près de 30 000 personnes et a été violemment réprimée par l’État, Emmanuel Macron annonçait son « plan eau » réaffirmant l’importance de l’irrigation et des stockages d’eau, tout en appelant à la « concertation ». Les politiques de l’État concernant l’eau sont-elles à la hauteur ?

Ce plan eau est vraiment du pipeau. En listant les mesures, on constate que près de la moitié des points étaient soit déjà prévus, soit quasiment finis c’est-à-dire des plans de recherches dont on ne peut pas changer le fléchage. Puis l’annonce de 10 % d’économies d’eau dans tous les secteurs d’ici à 2030 n’est pas du tout à la hauteur. Dans notre région par exemple, il faudrait atteindre 50 % d’économie d’eau !

Les mesures politiques ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux. La seule solution est la sobriété !

De plus, la plupart des injonctions visaient surtout les citoyen·nes à propos de leur consommation d’eau, du remplissage des piscines… Mais chez nous, plus de 60% de la consommation en eau est directement liée à l’agriculture et notamment à une irrigation intensive. Mais Marc Fesneau a rassuré les agriculteurs au congrès de la FNSEA en leur disant que personne ne touchera aux volumes d’irrigation. Emmanuel Macron renchérit en disant qu’il va falloir intensifier l’irrigation en France pour lutter contre le réchauffement climatique… Donc non, les mesures politiques ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux. Avec la réduction des débits engendrée par le réchauffement climatique et le raccourcissement des têtes de bassin de toutes les rivières, la seule solution est la sobriété !

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Et si on aborde le sujet de la qualité de l’eau, ce n’est pas mieux : en Charente-Maritime, ils ont fermé des dizaines de captages d’eau ; dans la Vienne, les deux tiers du département n’ont plus d’eau potable car ils ont retrouvé des taux énormes de métabolite du chlorothalonil, fongicide suspecté par l’ANSES de présenter un risque cancérigène pour l’homme… Sans parler de toutes les molécules qu’ils ne cherchent pas encore, et des effets cocktail. C’est une vraie bombe à retardement ! Mais le préfet signe des dérogations car ils ne peuvent plus trouver de solutions pour diluer l’eau et rester dans les normes.

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