« Il ne faut pas de ‘en même temps’ pour l’égalité femmes-hommes »

La sénatrice écologiste Mélanie Vogel salue la sanctuarisation de la liberté de recourir à l’avortement dans la Constitution, qu’elle a portée avec d’autres femmes. Mais étrille le bilan d’Emmanuel Macron en matière d’égalité femmes-hommes, tout en esquissant quelques propositions.

Lucas Sarafian  • 8 mars 2024
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« Il ne faut pas de ‘en même temps’ pour l’égalité femmes-hommes »
Mélanie Vogel, lors des journées d'été des Écologistes (ex-EELV) au Havre, le 24 août 2023.
© LOU BENOIST / AFP

Mélanie Vogel est l’une des principales chevilles ouvrières de l’inscription de l’IVG dans la Constitution. En septembre 2022, quelques mois après l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade par la Cour suprême des Etats-Unis, la sénatrice écologiste de 38 ans dépose une proposition de loi constitutionnelle visant à protéger le droit à l’avortement en France. Le texte est rejeté à 17 voix d’écart. Toutefois, elle ne se résout pas.

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En coulisses, elle met la pression sur le gouvernement avec deux autres parlementaires, la sénatrice Laurence Rossignol et l’insoumise Mathilde Panot, et ferraille pour trouver un compromis au Sénat. Son combat est désormais victorieux : par 780 voix contre 72, les parlementaires au Congrès ont adopté cette révision constitutionnelle. Mais selon elle, la lutte pour les droits des femmes est loin d’être terminée.

ZOOM : Concernant cet entretien

Cet entretien a été réalisé le mercredi 6 mars au matin. La veille a été publiée dans Les Jours l’interview d’Anaïs Leleux, militante féministe, qui accuse Julien Bayou, ancien chef de file des Écologistes (Europe Écologie – Les Verts, à l’époque) de violences psychologiques. Nous n’avons pas interrogé Mélanie Vogel sur ce point. Toutefois, la sénatrice écologiste s’est exprimée sur le sujet sur X (ex-Twitter) : « La lutte contre les violences doit être au cœur de l’action des écologistes. Plus fortement encore lorsque c’est nos rangs. Le courage des femmes qui parlent nous oblige. » Ce 6 mars, le député écologiste s’est mis en retrait du parti et du groupe parlementaire dans lequel il siège à l’Assemblée nationale.

Comment avez-vous réagi après l’adoption par le Congrès de l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution ?

Mélanie Vogel : C’est impossible à décrire. Je n’avais jamais ressenti une émotion comme celle-ci. C’était l’aboutissement d’un an et demi de travail pour convaincre les parlementaires. On savait qu’il y avait une majorité à l’Assemblée nationale. Mais au Sénat, c’était beaucoup plus compliqué. On nous disait que c’était une mission impossible, que les sénateurs républicains allaient tout faire pour changer le texte. Et nous avons réussi : j’ai même été surprise par le nombre de sénateurs qui soutenaient ce texte. A ce moment-là, j’ai ressenti toute l’énergie de notre campagne, celle des associations et des parlementaires, dans une institution très conservatrice. Il se passait quelque chose de grand.

Néanmoins, des chercheuses et des féministes critiquent l’expression de « liberté garantie », tout comme l’inscription de l’IVG dans l’article 34, qui définit le champ d’action du législateur…

Aucune jurisprudence ne nous dit qu’un droit est mieux protégé qu’une liberté.

Le Conseil d’État ne fait aucune différence entre le droit et la liberté garantie sur le plan légal. Et aucune jurisprudence ne nous dit qu’un droit est mieux protégé qu’une liberté. La formulation de départ adoptée au Sénat (« la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse », N.D.L.R.) était limitée puisqu’elle se contentait de confirmer la compétence du législateur en la matière. Cela empêchait une interdiction de l’IVG, mais laissait une très grande marge de manœuvre au législateur sur les conditions d’exercice. Il fallait donc absolument ajouter le mot « garantie » pour orienter cette compétence : le législateur n’est pas seulement là pour dire les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté d’avoir recours à l’IVG, mais il doit s’assurer que ces conditions garantissent cette liberté. Cela permet donc d’assurer que le législateur ne restreint pas les conditions d’exercice.

Un texte plus ambitieux était-il envisageable ?

Oui. Mais pas avec le Parlement tel qu’il est composé aujourd’hui. Il peut toujours y avoir un texte plus protecteur pour les droits des femmes. Mais le meilleur texte possible, c’est un texte ambitieux qui a la capacité d’être adopté. Il fallait trouver une manière de faire plier le Sénat et la droite. Au moment de la loi Veil, la gauche avait défendu des propositions plus radicales et trouvait que ce texte était loin d’être satisfaisant. Mais elle a compris qu’il fallait accepter ce texte, sinon la criminalisation aurait continué. C’est aussi ce qu’on a fait.

Le Président n’est jamais du côté de la cause des femmes.

Comment décririez-vous la politique d’Emmanuel Macron en matière d’égalité femmes-hommes ?

Depuis son élection en 2017, le Président a une approche opportuniste du sujet. Il comprend qu’il y a une attente dans la société, donc il fait des annonces. La qualification de « grande cause nationale » en est un bon exemple. Mais derrière, tout est contradictoire : les moyens budgétaires manquent pour mettre en œuvre une véritable politique volontariste, la position qu’a tenue la France, aux côtés de Viktor Orbán, sur la définition du viol au niveau européen n’est pas entendable, les femmes rétrogradent dans la composition du nouveau gouvernement de Gabriel Attal et Emmanuel Macron soutient Gérard Depardieu. Il ne faut pas de « en même temps » pour l’égalité femmes-hommes. Le Président n’est jamais du côté de la cause des femmes et le gouvernement semble tellement éloigné du niveau d’action dont on a besoin.

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Si vous étiez à la tête d’un ministère chargé de l’Égalité femmes-hommes, quels sujets souhaiteriez-vous porter ?

Il faut dédier 2 % du PIB à l’égalité femmes-hommes. Autre mesure qui fonctionne à coup sûr : la conditionnalité des aides publiques au respect de l’égalité salariale dans les entreprises. Il faut que l’État arrête de subventionner les discriminations fondées sur le genre. Il est désormais urgent de regarder les différences salariales entre les secteurs à prédominance masculine et féminine : il n’y a aucun indicateur en France pour évaluer précisément la sous-rémunération des métiers majoritairement exercés par des femmes. Et pourquoi ne pas imaginer un système de remboursement pour compenser les écarts salariaux dont les femmes auraient pâti pendant des années en prenant en compte des critères précis, comme le nombre d’années d’études ou le nombre d’heures de travail par jour ? Bien entendu, il s’agit surtout de revaloriser les salaires. Mais il ne faut pas oublier que la société a une dette envers ces femmes.

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