JOP 2024 : les habitants des quartiers populaires seront-ils gagnants ?

Les résidents de Pleyel, de la porte de la Chapelle et de la Plaine-Saint-Denis ont été éprouvés par les chantiers des Jeux olympiques et paralympiques. Convaincus néanmoins de leur nécessité, ils ont l’espoir d’un avenir meilleur au sein de leurs lieux de vie.

Léa Lebastard  • 26 avril 2024 abonné·es
JOP 2024 : les habitants des quartiers populaires seront-ils gagnants ?
Le Village des athlètes, dans le quartier de Pleyel, représente 2 800 nouveaux logements, privés à 70 %.
© Ian LANGSDON / AFP

Nouvelles voies, village olympique, pistes cyclables, végétalisation et nouvelles infrastructures : les habitants des quartiers accueillant les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) sont au cœur de la « grande fête populaire » promise par le gouvernement. Cependant, « les habitants de notre quartier ont eu une crainte qui est légitime », raconte Rym Bouzid. La présidente de l’association de quartier Dessine-moi Pleyel revient sur la peur de l’abandon des services de l’État une fois les jeux passés. « Nous avons accueilli le plus gros chantier d’Europe dans notre petit quartier, donc forcément ça bouscule un peu tout, explique-t-elle. Mais il y a une réelle envie de faire partie de cette grande fête. »

« La population n’était pas contente de l’arrivée des JOP dans le quartier, poursuit Rym Bouzid. La municipalité et le comité ont tardivement communiqué avec nous. Mais ils se sont plutôt bien rattrapés, nous avons pu visiter le Village des athlètes, par exemple. » La Maison du projet – mise en place par la Solideo, établissement public chargé des infrastructures olympiques et paralympiques, pour présenter le chantier au public – proposait en effet de découvrir le Village des athlètes en avant-première.

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Jean-Jacques Clément, adhérent de l’association Mémoire vivante de la Plaine, a un avis bien plus tranché. « La géographie de notre quartier [la Plaine-Saint-Denis est partagée entre trois communes : Saint-Denis, Aubervilliers et Saint-Ouen, NDLR] ne facilite pas la communication, mais on n’a pas du tout été consultés, et ça, je le regrette, dénonce-t-il. La communication de la part des élus et du comité des JOP a été artificielle. Il y a eu quelques événements avec les jeunes, mais je considère ça comme de la com. Et il n’y a aucun projet concret pour la suite, juste des belles promesses. »

Selon lui, face aux problèmes qui s’accumulent, les habitants se sentent abandonnés, notamment les jeunes. « Après les violences urbaines l’été dernier [consécutives à la mort du jeune Nahel, tué par un policier à Nanterre, N.D.L.R.], nous avons fait des réunions de quartier. Les jeunes ne sont pas intégrés dans tout cet engouement autour des JOP, alors qu’ils devraient être les premiers concernés », se désole Jean-Jacques Clément.

Dans le quartier de la porte de la Chapelle, à Paris, Maryvonne, adhérente d’une association d’habitants, évoque au contraire un dialogue privilégié avec la mairie de Paris. « Nous avons tout de suite été inclus dans les réunions avec le comité d’organisation. Là-dessus, franchement, il n’y a rien à dire », se félicite-t-elle.

Inquiétudes partagées

Les places pour les JOP ont été distribuées selon des critères de sélection de l’État, de la mairie de Paris et des collectivités territoriales. « Nous avons appris par la presse la distribution de places, la communication entre les habitants et la municipalité est quasi nulle », s’insurge Jean-Jacques Clément. Le 26 mars, le département de Seine-Saint-Denis a annoncé la distribution de billets gratuits – 150 000 pour les épreuves et 28 000 pour la cérémonie d’ouverture. Mais pour Mounir Mehloul, de l’association Dessine-moi 2024, qui anime des ateliers d’éducation et d’apprentissage aux médias et à l’information, « avoir des places pour les JOP, ce n’est pas le plus important. La considération : ça, c’est essentiel pour construire l’avenir correctement »

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Ce parent d’élève du collège intercommunal Dora-Maar – situé au cœur des travaux des JOP – explique : « Nous attendons une demande de compensation pour les élèves. Les gamins sont les premiers impactés. Les parents d’élèves attendent des projets s’inscrivant dans la durée et, pour l’instant, le compte n’y est pas, surtout pour un collège en zone d’éducation prioritaire [ZEP] où beaucoup d’élèves sont en difficulté. » Il s’interroge sur la mixité sociale attendue grâce à l’arrivée d’une nouvelle population après les JOP. « Ce n’est pas parce qu’on installe des infrastructures que tous les problèmes se régleront, c’est un travail à construire », insiste Mounir Mehloul.

Les habitants ne parviennent pas à voir les aspects positifs pour l’instant.

J-J. Clément

En attendant, certains habitants envisagent de ne pas être présents pendant les épreuves olympiques. Jean-Jacques Clément s’exaspère déjà : « J’ai envie de m’échapper le plus loin possible cet été, et mes voisins aussi. » Le dispositif de sécurité qui sera mis en place va compliquer la vie des riverains, notamment en termes de circulation, déjà fortement compliquée pendant les travaux. Jean-Jacques Clément évoque de « vrais problèmes au quotidien. Les habitants ne parviennent pas à voir les aspects positifs pour l’instant. »

L’inquiétude va au-delà de la période des épreuves. Les habitants de la porte de la Chapelle relèvent déjà un problème à venir, l’accessibilité aux transports en commun. « Les stations sont trop petites, il n’y a pas assez de sécurité pour les voyageurs », s’inquiète Martine, résidant dans ce quartier. L’Adidas Arena n’est en effet desservi que par le tramway et une petite station de métro sans ascenseur. Ce qui risque de provoquer d’énormes bousculades à la sortie des événements qui y seront organisés.

L’espoir d’un lien social renforcé

En Seine-Saint-Denis, un enfant sur deux ne sait pas nager. Le centre aquatique olympique (CAO) de Saint-Denis représente un espoir pour les habitants. « Mon but, c’est que les gens aillent le plus possible à la piscine ! Je n’ai pas envie d’avoir autant d’infrastructures pour que cela ne profite pas aux habitants du département, explique Shems El Khalfaoui, adjoint au maire chargé du sport. Pour m’en assurer, un accord de principe a été décidé, partageant en trois les créneaux horaires pour le CAO – Fédération de natation, Paris et Saint-Denis. En appliquant cet accord, je sextuple ma capacité d’accueil des scolaires. » Il souligne l’importance pour la population des enjeux des travaux menés : « Fin septembre, on récupère 44 % d’infrastructures en plus ! Ce qui se traduira forcément par un développement d’activités supplémentaires pour les habitants. »

Le 11 février dernier, l’Adidas Arena a ouvert ses portes, notamment aux habitants du 18e arrondissement de Paris, conviés à la cérémonie d’ouverture. Dans le local associatif qu’ils occupent depuis quarante ans, situé dans la tour en face du nouveau complexe sportif et culturel, Jean-Michel et Maryvonne expriment leur joie : « En tant qu’association vivant dans un quartier populaire, nous avons eu le droit à des places pour tous les événements de l’Adidas Arena. »

Une opportunité garantie même après les JOP, explique le maire du 18e arrondissement, Éric Lejoindre : « En accord avec la mairie de Paris, le Paris Basketball continuera d’offrir des places pour les riverains, considérant que c’est bénéfique pour toutes les parties. » Les habitants bénéficieront de tous les nouveaux équipements. « Les deux gymnases collés à l’Adidas Arena fonctionneront comme tous les autres de la ville de Paris. Le matin, ils seront réservés aux scolaires, et l’après-midi aux clubs. Dès le départ, le but était de faire un lieu utile au quotidien et pas seulement un lieu d’événementiel », précise-t-il.

« Le futur Champs-Élysées du nord de Paris »

Un tel réaménagement induit une nouvelle dynamique de quartier et, généralement, l’arrivée d’une nouvelle population, donc une hausse des prix pour les habitants déjà présents. Le Village des athlètes, dans le quartier de Pleyel, représente 2 800 nouveaux logements, privés à 70 %. À Saint-Denis, sur 900 logements, 25 % seront réservés au parc social. Le reste sera partagé entre vente et location d’appartements ou de bureaux.

Longtemps délaissé face à la consommation et la vente de drogues dans l’espace public, le quartier populaire de la porte de la Chapelle se voit complètement modifié. La « colline du crack » a été démantelée en 2019, pour laisser place au chantier de l’Adidas Arena. La mairie de Paris avait présenté la rue de la Chapelle comme « le futur Champs-Élysées du nord de Paris ». Maryvonne nourrit l’espoir d’« un quartier plus vivant pour les habitants », et Jean-Michel prévient qu’« il faut se donner les moyens de l’entretenir », mais il « ne pense pas qu’autant d’argent ait été investi pour rien ».

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Dans le quartier de Pleyel, Rym Bouzid est également confiante. « Je pense qu’ils feront ce qu’ils ont dit, en tout cas je l’espère, confie-t-elle. Le Village des athlètes, c’est un futur lieu de vie et une belle opportunité pour les habitants du quartier. » Mounir Meloul insiste, lui, sur le besoin d’actions concrètes pour les jeunes, surtout en termes d’emplois. « Nous sommes en attente de l’héritage immatériel, précise-t-il. L’important, c’est le lien social, en menant à bien des politiques publiques s’inscrivant dans la durée. »

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Publié dans le dossier
JOP 2024 : le revers de la médaille
Temps de lecture : 8 minutes