« L’art ne doit pas écraser les intérêts de l’enfant »

Députée Modem de la Nièvre et présidente de la délégation aux droits des enfants à l’Assemblée nationale, Perrine Goulet dénonce des pratiques qui insécurisent les mineurs au cinéma.

Hugo Boursier  • 10 avril 2024 abonné·es
« L’art ne doit pas écraser les intérêts de l’enfant »
Sami Frey et Mara Goyet dans La Vie de famille, de Jacques Doillon (1985).
COLLECTION CHRISTOPHEL © Flach Film - SFP (Photo by Flach Film - SFP / Collection ChristopheL via AFP)

Bataille judiciaire autour de CE2. Après le signalement des trois députés Modem et Renaissance, dont Perrine Goulet, présidente de la délégation aux droits des enfants, à la procureure de Paris sur des soupçons de maltraitance, c’est au tour d’Arena Films, la société de production du film de Jacques Doillon, de menacer l’élue d’une plainte pour recel. Pour Politis, Perrine Goulet revient sur cette procédure. Elle dévoile aussi ses ambitions pour la création d’une commission d’enquête sur la situation des mineurs dans le cinéma et la mode. Et admet que le monde politique a été trop longtemps bercé par les promesses de rêve du cinéma.

D’après nos informations, la société de production du film CE2, Arena Films, a porté plainte contre vous pour recel. Quel est votre état d’esprit ?

« Les éléments qu’il m’a été donné de visionner doivent, à mon sens, être montrés à la justice. » (DR.)

Perrine Goulet : En effet, nous avons reçu un mail nous indiquant que la société de production allait déposer plainte. Nous n’avons toujours pas eu de confirmation de cette plainte de la part du parquet. Sur mon état d’esprit : j’accueille cette procédure de manière très sereine. Les éléments qu’il m’a été donné de visionner doivent, à mon sens, être montrés à la justice. C’est à elle, désormais, de trancher. Ce signalement, via l’article 40 de la procédure pénale, fait aussi partie de mes fonctions. Pour moi, cette démarche vise surtout à faire pression pour éteindre les interrogations que l’on pourrait avoir à propos des conditions dans lesquelles les castings se sont déroulés.

Est-ce une procédure bâillon de leur part, selon vous ?

Je ne sais pas quelle sont leurs véritables intentions. Je comprends toutefois qu’ils soient gênés à la perspective que ces images fassent le tour des rédactions. Car, en effet, elles sont choquantes. Ils veulent diminuer l’étendue de cette affaire.

Qu’avez-vous constaté en regardant ces vidéos ?

J’estime qu’il y a des droits des enfants qui ne sont pas respectés. Je vois des enfants auxquels on demande de se frapper pour être capables de jouer dans le film. Je vois une petite fille qui tombe et à qui, quand elle se relève, on demande de recommencer. En arriver à pousser les enfants à se faire mal pour que ce soit plus intéressant à l’image me déplaît fortement. Je vois aussi qu’on insiste pour qu’une petite fille parle du harcèlement sexuel qu’elle a subi à l’école, alors que cela va à l’encontre de tout ce qui est mis en place pour accueillir la parole des victimes afin qu’elles ne soient pas contraintes de répéter leur traumatisme. Toutes ces pratiques ne respectent pas les enfants.

Quand on voit comment les enfants sont traités dans ces castings, je pense qu’il est nécessaire que les parents soient présents.

Sont-elles le résultat de comportements individuels, ou bien relèvent-elles d’une faille plus systémique, selon vous ?

J’espère que ce ne sont que des comportements individuels. Mais je sais aussi que la commission d’enquête que nous souhaitons mettre en place se justifie parfaitement afin de faire la lumière sur cette question. Ce qui m’étonne beaucoup, c’est la manière dont on organise ces castings sauvages en partenariat avec des éducateurs du périscolaire. On se demande, aussi, où sont les parents. Je pense que certains d’entre eux, moins aisés, observent le cinéma comme un monde de confiance. Mais quand on voit comment les enfants sont traités dans ces castings, je pense qu’il est nécessaire que les parents soient présents.

Sur le même sujet : « Arracher à une actrice des choses qu’elle n’a pas envie de donner est odieux »

Les parents ont-ils une responsabilité particulière ?

Non, je ne pense pas. Je pense que l’imaginaire du cinéma fait rêver. Les parents sont loin d’imaginer ce qui se passe lors des castings ou des répétitions. Il faut vraiment que l’on s’interroge sur la question spécifique des enfants pendant ces moments encore trop peu contrôlés.

Avez-vous un calendrier précis pour la création de cette commission d’enquête sur les enfants dans le cinéma ?

La proposition de résolution a été validée il y a dix jours. Les discussions autour des besoins de cette commission seront ouvertes le jeudi 2 mai au matin. J’espère que cette instance sera validée et que, dès la semaine suivante, nous pourrons commencer à organiser les auditions.

Il faut entrer dans le monde du spectacle, où le droit des enfants est, à ma grande surprise, bafoué à plusieurs égards.

Avez-vous des priorités ?

Nous en discuterons avec les deux députés nommés rapporteur et président de cette commission d’enquête. Il faut auditionner le monde du cinéma, mais aussi plus largement celui de l’audiovisuel et de la mode. Ce milieu aussi est concerné par les castings. Nous voulons entendre les acteurs qui ont passé les castings, ceux qui n’ont pas été au bout, les producteurs et les réalisateurs. Il faut connaître ce système. Il faut entrer dans le monde du spectacle, où le droit des enfants est, à ma grande surprise, bafoué à plusieurs égards. Certes, les temps de travail sont plutôt bien contrôlés. Mais tout le volet artistique, psychologique des enfants dans le spectacle n’est pas étudié. Je constate aussi que ce sera, à la différence des autres commissions d’enquête pour lesquelles il existait déjà une bibliographie parlementaire, la première fois que l’Assemblée nationale traitera de cette question.

Le monde politique a-t-il trop longtemps maintenu une forme de pudeur dans son regard sur le monde artistique ?

Je pensais que ces pratiques étaient encadrées. Je dois admettre, en effet, que nous avons été aveugles. Comme pour les violences faites aux femmes : elles sont là, mais on ne veut pas les voir. Aujourd’hui, tout le monde doit savoir que ce secteur peut aussi receler des pratiques déviantes.

Il ne faut pas traiter les enfants comme un moyen de faire des bénéfices.

Quelles seraient vos premières préconisations ?

Il faut laisser faire le travail parlementaire. Mais je pense qu’il faut mieux encadrer les castings. Assurer la présence de quelqu’un qui protège les enfants si les parents ne sont pas là. Les sécuriser pendant le tournage. Il ne faut pas traiter les enfants comme un moyen de faire des bénéfices. Un enfant reste un enfant. Il faut ménager sa complexité, sa sensibilité. Je souhaite que l’on cadre ce monde artistique pour qu’il n’écrase pas les intérêts de l’enfant.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Société
Temps de lecture : 6 minutes