Comment le cinéma brutalise les enfants

Consultées par Politis, les vidéos de casting de CE2, le dernier long-métrage de Jacques Doillon, révèlent l’insécurité systémique dans laquelle sont plongés les mineurs au sein du cinéma français.

Hugo Boursier  • 10 avril 2024 abonné·es
Comment le cinéma brutalise les enfants
Jacques Doillon lors du tournage d’Un sac de billes (1975).
© Bernard Prim / Collection ChristopheL/AFP

Ce sont des images qui n’auraient jamais dû sortir du coffre-fort de la société de production, Arena Films. Plus de trente vidéos de castings pour le film CE2, auxquelles Politis a eu accès, qui dévoilent la préparation du dernier long-métrage réalisé par Jacques Doillon. Une plongée rare dans les arcanes d’un projet portant sur un sujet difficile, le harcèlement à l’école. Au total, plus de trois heures d’entretiens, de scènes d’improvisation et d’essais, menés par Jacques Doillon lui-même et les deux responsables des castings à Paris, Marie de Laubier et l’actrice Soria Moufakkir, avec des enfants de 7 à 9 ans.

Si la date de sortie de CE2 n’est toujours pas connue – le film ayant été finalement déprogrammé après avoir été maintenu pour le 27 mars, malgré la plainte pour viol sur mineur de Judith Godrèche à l’encontre du cinéaste –, ces vidéos sont en train d’être visionnées par la procureure de la République de Paris, Laure Beccuau. Contacté, le parquet de Paris confirme que l’étude des pièces est en cours à la suite du signalement, au titre de l’article 40 de la procédure pénale, de trois député·es de la majorité, Perrine Goulet, Véronique Riotton et Erwan Balanant. L’objet de ce signalement : des soupçons de maltraitance sur enfants lors du casting.

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Contacté, Jacques Doillon n’a pas répondu à nos sollicitations. Bruno Pesery, explique, lui, qu’il « s’agit de plus de deux cents heures d’enregistrement qui ont permis de trouver cinq enfants, qui se désespèrent aujourd’hui de ne pas voir le film sortir ». Sur les vidéos, le producteur assure : « Aucun passage ne me choque, ni n’a choqué les enfants ou leurs parents, ce d’autant plus que je sais que les équipes de casting ont apporté tout le soin nécessaire au respect des enfants rencontrés dans ce cadre. »

26 février 2020. Dans les locaux d’Arena Films, à Paris, Jacques Doillon, Marie de Laubier et une autre personne non identifiable de l’équipe technique font des essais avec plusieurs enfants ayant réussi les premières étapes du casting. Lucien*, 9 ans, et Lola*, 8 ans, doivent jouer une scène où le premier doit forcer la seconde à être promenée en laisse, à la manière d’un chien. La fillette doit finir par manger des croquettes imaginaires au sol. Les deux enfants sont gênés. Ils regardent la caméra, hagards. Lola est mutique.

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Les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.

Une attitude qui ne convient pas à Jacques Doillon. « Si elle veut pas venir, tu la tires, hein », lance-t-il à Lucien. Les prises s’accumulent. Au bout de la septième à répéter les mêmes gestes, Lucien comprend qu’il faut aller plus loin. Il fait tomber violemment Lola au sol. Un geste de trop qui clôt l’essai ? Pas du tout. Si la fillette veut arrêter, Marie de Laubier insiste : « Mais je trouve ça dommage que tu veuilles plus en refaire une [prise]. Encore une petite et ce sera super. C’est exactement dans l’état où se trouve Claire avec ce Kevin [prénoms des personnages] qui l’embête ».

Autre vidéo. Élodie*, née en 2012, quitte sa classe de CE1 pour rencontrer Marie de Laubier dans son école primaire. La proche de Jacques Doillon, qui a collaboré avec lui pour plusieurs de ses films, notamment ceux avec des enfants, se trouve face à la fillette. Plusieurs sources reconnaissent la main de Jacques Doillon à l’écran. La porte du bureau est fermée. Les parents ne sont pas présents. « Est-ce que toi, ça t’est déjà arrivé de te faire embêter, voire taper ? », lance d’emblée la directrice de casting. Élodie explique qu’un camarade de classe lui a « touché les parties intimes ».

‘Est-ce que ça t’est déjà arrivé de te faire embêter ’, lance d’emblée la directrice
de casting.

Une précision qui va attiser la curiosité de Marie de Laubier. « Alors raconte-moi comment c’est arrivé », « c’est-à-dire qu’il met sa main entre tes jambes ? », enchaîne-t-elle. Le ton se fait plus pressant. « Qu’est-ce qu’Arthur* a dit quand tu l’as dit à la maîtresse ? Parce que finalement, tu l’as balancé », accuse la directrice de casting. Plus tard, dans une scène d’improvisation, elle utilise le prénom du camarade qui avait harcelé Élodie, alors qu’elle joue une directrice d’école : « Mais qu’est-ce que tu racontes ? Il est très gentil cet Arthur ! T’es sûre que tu me racontes pas de bêtises ? »

Culpabilisation

On retrouve cette insistance à puiser dans l’expérience des enfants, même traumatisante, dans la majorité des vidéos. À Léa*, huit ans elle aussi, qui explique ne pas vouloir parler du harcèlement sexuel qu’elle a subi, Marie de Laubier répond : « Je me permets d’insister parce que c’est exactement ce qui arrive aux personnages du film. » Et s’improvise même confidente : « Mais tu sais, parfois, ça fait du bien d’en parler, justement pour s’en débarrasser ». Après un long silence, l’enfant murmure : « J’ai pas envie d’en parler, s’il vous plaît. »

Dans l’improvisation qui suit, Marie de Laubier demande des précisions et finit par interpeller l’enfant, en jouant là aussi une directrice d’école : « Mais pourquoi tu m’en as pas parlé ?! » L’enfant ne sera finalement pas sélectionnée pour jouer dans CE2, après avoir été jugée « trop fragile par rapport à son vécu », selon les explications du producteur du film, Bruno Pesery, fournies au Monde.

À Politis, le producteur avance : « Ce qui peut être rétrospectivement perçu comme une maladresse de la part de la directrice du casting a surtout permis de mettre rapidement en exergue une fragilité incompatible avec le thème abordé par le film, ce qui est quand même l’un des objectifs du casting et ce, dans l’intérêt premier de l’enfant. C’est une vidéo qui prouve, à l’inverse de ce qui est reproché, qu’il n’a jamais été question de rechercher une enfant ayant réellement souffert de harcèlement dans le but malsain de lui faire revivre sa souffrance. »

Laura* subit aussi cette forme de culpabilisation. Elle est en CE1. Lorsque l’enfant parle des coups portés par quelqu’un de son école, Marie de Laubier demande : « Mais pourquoi tu le frappes pas, toi ? » « Peut-être qu’il sent que toi, tu n’es pas du tout amoureuse », poursuit-elle. Sur une autre vidéo, Lucien*, 9 ans, est interrogé par Soria Moufakkir : « Tu te bats, il paraît, avec tes copains ? » L’enfant réfute. « Tu te bats pas à l’école ? Quelqu’un m’a dit que tu te battais souvent », insiste-t-elle. Lucien, troublé, semble perdre son assurance. « Qui ? », s’inquiète-t-il, ne sachant comment Soria Moufakkir a pu obtenir cette information. Contactées, ni celle-ci ni Marie de Laubier n’ont répondu à nos questions.

Souvent séparées, les deux chargées de casting ont mené au moins un entretien ensemble. C’était avec Théo*, 8 ans. L’enfant leur raconte qu’il est allé porter plainte avec son père après avoir été frappé au ventre. En basant l’improvisation sur ces faits réels, les deux chargées de casting accusent l’élève de CE1 de mentir. « Si, au moindre petit coup, à la moindre bagarre, on va à la police déposer plainte, qu’est-ce que c’est que cette histoire quand même Théo ! », minimise Marie de Laubier.

« Non mais là, on n’est pas vraiment dans le film ?  »

Tout en appelant l’enfant elle aussi par son vrai nom, Soria Moufakkir lance : « On m’a dit que tu lui avais volé son goûter, et c’est pour ça qu’il t’a donné un coup ! » Théo se gratte la tête. Il semble mal à l’aise. « Mais j’ai jamais fait ça ! », se défend-il. « Tu arrêtes de dire des mensonges ! », assène à son tour Marie de Laubier. À la fin de l’improvisation, qui ressemble à un interrogatoire, Théo demande : « Non mais là, on n’est pas vraiment dans le film ? » Entre fiction et réalité, les castings piochent dans le vécu des enfants et triturent leur passé. Mais ce n’est pas l’avis de Bruno Pesery. Pour lui, « aucun flou n’était entretenu, bien au contraire, puisque cela se déroulait en deux phases bien distinctes : l’entretien puis l’improvisation ».

Les deux chargées du casting parisien ont-elles présélectionné les enfants en fonction de leur expérience liée au harcèlement ? Dans un communiqué envoyé à l’AFP, la directrice de casting, la société de production et la famille d’une des comédiennes ont contesté toutes « instructions » concernant le choix des enfants. Emmanuel Thomas, qui s’occupait, lui, des castings en région, indique à Politis que Jacques Doillon ne lui a pas donné de « consignes pour aller chercher des enfants ayant été harcelés pour le rôle de Claire. »

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Mais les chargés de casting ont-ils été invités à ne garder que des enfants ayant vécu ces traumatismes ? Dans une quête sans limite de mélange des genres, Jacques Doillon justifie lui-même sa méthode dans un document fourni à la commission d’avances sur recettes du Centre national du cinéma (CNC), dont Politis a obtenu copie (1).

Face caméra, le réalisateur explique que le scénario se base sur ce qui est dit dans les castings : « Premièrement, écrire le scénario. Deuxièmement, commencer les castings en enregistrant tout de nos rencontres […] pour sapproprier en partie leur langage, leur manière de sexprimer, leurs sentiments. […] Écrire la version deux du script, et on retrouvera des éléments […] entendus pendant ce casting. Trois, bien travailler les scènes pour bien les entendre, […] pour être au plus près du langage et du comportement de leurs personnages. »

L’extrait de casting et la prise d’essai n’étaient pas de nature à relever d’un signalement auprès du procureur de la République.

CNC

À la fin de cette vidéo, l’extrait du casting d’Élodie où elle révèle qu’elle a été harcelée sexuellement et un essai avec deux autres enfants sont diffusés. Les questions de Marie de Laubier ont été coupées au montage. Pourquoi le CNC n’a-t-il pas réagi ? « Lextrait de casting et la prise d’essai n’étaient pas de nature à relever d’un signalement auprès du procureur de la République sur la base d’un article 40, donc n’étaient pas susceptibles de relever d’une infraction pénale », se justifie-t-il auprès de Politis. L’institution révèle aussi que CE2 a été présenté à l’avance sur recettes après réalisation en février 2024. « Il n’a une fois encore pas obtenu de soutien », précise le CNC, qui rappelle la responsabilité des productions dans les conditions d’exercice de leurs salariés.

Un vide béant sur la protection des enfants

L’intention de Jacques Doillon et les potentiels risques qu’elle impliquait étaient connus dès le départ. Dans le film, que Politis a pu visionner, on retrouve des expressions directement utilisées par les enfants lors de leur premier entretien de présentation. Ainsi d’Élodie, qui indique qu’un enfant dans la cour d’école lui a « touché les parties intimes ». Ou de Lucien, qui avait confié à Marie de Laubier se cacher dans un placard chez lui lorsqu’il est en colère. Bruno Pesery assure que « le scénario préexistait aux castings », lesquels avaient ensuite permis d’enrichir les dialogues en retenant certaines expressions ou tournures entendues. Il indique aussi avoir « deux versions datées de 2019 dans lesquelles on peut constater que l’intrigue est déjà là, jusque dans son dénouement ».

Le producteur ajoute qu’un scénario « est un matériau qui évolue jusqu’à la veille du tournage et parfois durant celui-ci, ce qui me paraît tout à fait légitime. Et il m’aurait, au contraire, semblé très contestable de traiter un sujet aussi grave et délicat que celui du harcèlement en milieu scolaire, qui est une préoccupation majeure du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, en laissant de côté la réalité exprimée par des enfants harcelés ».

Pour capturer le témoignage le plus fort,les chargé·es de casting ont chacun·e leurs méthodes. Si, en région, ils ont d’abord envoyé le dossier de presse de CE2 aux directeurs académiques des services de l’Éducation nationale (Dasen), puis aux chefs d’établissement, Marie de Laubier a, elle, proposé de rémunérer un éducateur spécialisé à hauteur de 1 000 euros « pour tenter d’ouvrir des portes institutionnelles », selon un document que Politis s’est procuré.

Nous ne sommes pas habilités à rentrer dans la psyché de l’enfant.

E. Thomas

Cette liberté totale, construite comme si elle était au service de l’art, pousse les chargés de casting à actionner tous les leviers. « Il n’est pas impossible qu’il y a cinq ou dix ans, je serais allé directement dans une association contre le harcèlement pour déposer un dossier de présentation du film », confie Emmanuel Thomas. Une pratique qu’il interroge aujourd’hui. « Avec l’expérience, je vois très bien qu’il faudrait que les réalisateurs et les réalisatrices changent leur méthodologie de travail avec les enfants. Ne plus mettre à l’écran des personnes qui ressemblent à leur personnage. On peut trouver un moyen différent de mise en scène pour qu’il n’y ait plus une telle confusion entre fiction et réalité », assume-t-il.

Une charte sur le casting enfant

Au-delà de la responsabilité du réalisateur et du producteur, c’est aussi toute une profession – directeur ou directrice de casting – qui doit être mieux encadrée. « Ce que j’entends, c’est que les chargés de casting sont allés appuyer sur les failles des enfants. On est au début de l’emprise. Nous ne sommes pas habilités à rentrer dans la psyché de l’enfant », réagit David Bertrand, le directeur de l’Association des directeur·ices de casting (Arda). La structure est justement en train de préparer une charte sur le casting enfant, qui sera présentée en assemblée générale en mai, annonce-t-il à Politis.

Une initiative qui vient remplir un vide béant sur la protection des enfants lors des castings, puisqu’aucune formation particulière ni cadre précis ne viennent structurer ces moments où les mineurs se livrent aux adultes. « L’art ne doit pas tout permettre », insiste Perrine Bigot, orthopédagogue et accompagnatrice des enfants dans Un  monde, de Laura Wandel (sélection officielle au Festival de Cannes, 2021), qui traite du harcèlement à l’école. « Il est fondamental de penser au respect de la psychologie des enfants, en instaurant un environnement cadré et adapté, dès les phases de casting jusqu’au tournage. Il faudrait aussi penser au suivi de ces enfants après le tournage. »

Une nécessaire protection à étendre aux lieux de tournage. Les faits de viol dénoncés par Judith Godrèche à l’encontre de Jacques Doillon concernent le tournage de La Fille de quinze ans (1989). Le cinéaste a porté plainte pour diffamation contre l’actrice. L’actrice Jennifer Covillault Miramont et la réalisatrice Laura Lardeux ont, elles, porté plainte contre le réalisateur Nils Tavernier, a révélé L’Obs, pour des faits de viol commis dans un contexte professionnel lorsqu’elles avaient 12 et 19 ans. Dans Libération, l’essayiste Mara Goyet, actrice dans La Vie de famille (1985), dénonce des conditions de tournage qui la tourmentent encore, quarante ans plus tard.

Judith Godrèche dans La Fille de quinze ans, de Jacques Doillon (1989). (Photo :
dessa Films / Collection Christophel / Collection ChristopheL via AFP.)

« On essaie de réfléchir à mieux prévenir et protéger, notamment en faisant intervenir la Drieets (Direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) dès qu’il y a, ou qu’il peut y avoir, des situations délicates », explique David Bertrand. Aujourd’hui, ce service régional donne l’autorisation aux sociétés de production d’engager des mineurs de moins de 16 ans le temps du tournage. Pour cela, la commission des enfants du spectacle de chaque Drieets est censée étudier le scénario du dossier qu’elle reçoit et identifier le rôle des enfants dans chaque scène.

Cette mission a-t-elle été respectée pour le film CE2 ? Contactées, ni la cheffe de cette commission à l’époque ni l’actuelle n’ont répondu à notre demande d’interview. Surtout : cette commission n’a pas accès aux images des castings. Ces pièces n’étant pas demandées, la commission n’a qu’une vision parcellaire du dossier. Et le cinéma l’a bien compris. 

Dans un échange de mails entre l’équipe des castings, Jacques Doillon et la production, il est indiqué qu’il « ne faut pas mentionner dans la note d’intention les ateliers qui commencent dès à présent avec Jacques (…) cela serait nous tirer une balle dans le pied. En effet, cela signalerait qu’on commence à travailler (et faire travailler) les enfants avant d’avoir eu l’autorisation de la commission ». Ce temps de préparation ne sera ainsi jamais déclaré à la Drieets. Bruno Pesery indique que les ateliers organisés avec certains enfants ont bien été comptabilisés comme un temps de travail auprès de la commission du spectacle, mais qu’ils n’ont pas eu lieu en mai. La date du mail indique pourtant le 27 mai 2020.

Les parents savaient que s’il y avait une nécessité, leur enfant pouvait être reçu à la fin du tournage par la psychologue.

B. Pesery

Toujours dans ce mail, il est ajouté qu’il « serait aussi à propos et en notre faveur pour faire passer le dossier en commission que nous notions qu’un encadrement psychologique des enfants est envisagé ». Cet encadrement a-t-il été effectif ? À ce sujet, les versions se contredisent. Sur le tournage, une véritable confusion s’est installée parmi l’équipe qui devait s’occuper des enfants. D’abord confiée à Marie de Laubier, cette responsabilité est ensuite échue à Soria Moufakkir, puis à l’assistante de production. Aucune n’est formée à la psychologie des enfants ou à la prévention des risques. Et toutes sont payées par la production, ce qui pose la question de leur lien de subordination.

De son côté, Bruno Pesery ne précise pas si un véritable « encadrement psychologique » a eu lieu pendant le tournage. Il assure cependant que les enfants ont été vus « préalablement à la délivrance de l’autorisation de l’emploi par une psychologue du travail » – ce qui est une obligation légale –, et ajoute que les parents, présents sur place, « savaient » que « s’il y avait une nécessité, leur enfant pouvait être reçu à la fin du tournage par la même psychologue ». Au-delà de ce lien de subordination, c’est aussi la place des « coachs enfants » – une profession sans formation – au sein de l’équipe technique qui interroge.

« Tout le monde ferme les yeux »

Pour un autre film, une assistante de réalisation et chargée de casting souligne « un manque de place et de crédit accordés au poste de coach, transformé plutôt en baby-sitter pour divertir l’enfant et ses parents et masquer les abus ». « Les enfants ne doivent pas subir le manque d’argent du film. Les enfants sont embarqués dans une allure qui n’est pas la leur, alors que les réalisateur·ices n’ont pas conscience de tourner avec des mineurs », dénonce-t-elle.

Les pouvoirs publics demandent de montrer patte blanche, mais il y a assez peu de contrôles des productions.

Des écarts qui, d’après plusieurs sources, sont systémiques. « Préparer deux scénarios : un en interne et un pour la commission, on l’entend beaucoup dans le milieu. Les dossiers sont très faciles à monter. Les pouvoirs publics demandent de montrer patte blanche, mais il y a assez peu de contrôles des productions », précise une source qui a décidé d’arrêter le cinéma « en partie pour des raisons éthiques ». « Je me pose des questions sur le fonctionnement global de la protection des enfants. Je ne suis pas certaine que les commissions regardent la production finale. Si les scènes sont bien faites et qu’il y a de l’émotion, on pardonne le processus. C’est ça qui me choque », poursuit-elle.

D’autres personnes évoquent le cas récurrent d’horaires non respectés, de pauses raccourcies ou de scènes ajoutées à la dernière minute. « C’est une pratique courante. Tout le monde le sait, et tout le monde ferme les yeux. S’il y avait un meurtre sur le tournage, les gens aideraient à cacher le corps », grince une source qui préfère rester anonyme.

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Les structures de protection existent, mais elles sont sommaires et souvent bernées. En plus de la Drieets, les dossiers sont aussi envoyés au rectorat. Contactés, plusieurs chefs d’établissement ayant autorisé l’absence de leurs élèves pour participer au tournage de CE2 n’ont pas répondu à notre demande d’interview. « Comment se fait-il qu’une élève qui a été agressée dans son école puisse jouer le rôle d’une enfant elle aussi agressée ? L’Éducation nationale n’a rien à redire là-dessus ? », interroge un technicien qui a participé au tournage du film.

Et France Télévisions ? Le groupe audiovisuel public est aussi coproducteur du film. Manuel Alduy, directeur du cinéma de France Télé, confirme à Politis qu’une « participation a bien été versée à la livraison finale de CE2 ». La suite donnée au signalement des trois députés Renaissance et Modem aura-t-elle une incidence sur ce financement ? « Je ne crois pas qu’une telle décision ait déjà été prise à France Télévisions », répond Manuel Alduy, qui ajoute « ne pas savoir en l’état comment ce film pourra être diffusé ».

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Temps de lecture : 19 minutes