« Si notre métier n’est pas valorisé, le système risque de s’effondrer »

Auxiliaire de vie sociale en Normandie, Ludivine raconte son parcours et les multiples facettes de son métier.

• 29 mai 2024
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« Si notre métier n’est pas valorisé, le système risque de s’effondrer »
© National Cancer Institute / Unsplash

Auxiliaire de vie sociale en Normandie, Ludivine raconte son parcours et les multiples facettes de son métier. Elle décrit des conditions de travail difficiles et une situation de précarité qui ne favorisent pas les vocations. Or les soins apportés aux bénéficiaires par les auxiliaires de vie sont essentiels pour leur assurer des conditions justes et dignes de vie et de fin de vie.


J’ai 31 ans et cela fait bientôt cinq ans que je suis auxiliaire de vie sociale. Mère de deux enfants, je vis en Normandie et travaille pour les services d’aide et d’accompagnement à domicile qui assurent la prise en charge des personnes âgées, handicapées et atteintes de pathologies cognitives. J’aime mon métier plus que tout. Le problème, aujourd’hui, c’est que les conditions ne sont plus adaptées pour permettre à tous, auxiliaires de vie, bénéficiaires, personnel administratif et hospitalier, de travailler ensemble.

Pour la hiérarchie, les bénéficiaires restent des numéros de dossier auxquels ‘il ne faut pas s’attacher ’.

Dans notre métier, le travail s’organise autour du mantra « efficacité » ; il faut répondre à la demande des bénéficiaires, assurer nos missions, même en cas d’imprévu ou d’urgence. Il est inenvisageable pour nous de laisser les gens seuls, sans passage et sans soins ; c’est là l’essence de notre métier, privilégier l’humain avant tout. Mais à l’heure actuelle, dans notre équipe, il manque quasiment la moitié des effectifs. Surcharge des plannings, multiplication des trajets en voiture, amplitude des horaires non respectée – même à temps partiel – en sont les conséquences directes.

Le rythme des visites, à flux tendu, a évidemment un impact psychologique sur nous, sur notre travail et sur les bénéficiaires. Oui, nous assurons l’accompagnement aux gestes essentiels et activités ordinaires des bénéficiaires – habillage, toilette, repas, literie et ménage –, mais notre devoir est aussi de leur apporter bien-être et confort, les accompagner, les écouter. Cela passe par la création de liens forts, bien souvent remis en cause par la hiérarchie : les bénéficiaires restent des numéros de dossier auxquels « il ne faut pas s’attacher ».

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On devient multifonctions et on sort souvent du champ de nos compétences. C’est la problématique de la pyramide inversée. La toilette médicalisée, par exemple, réservée à la base aux infirmières, est reléguée aux aides-soignantes puis finit par devenir notre tâche. Parfois, il nous faudrait effectuer des gestes qui ne relèvent pas de nos compétences. Or, si un accident survient, à qui la faute ? De même, le lien avec le personnel médical ne se fait pas toujours, ou alors nous sommes considérés comme « non qualifiés » pour juger des situations. Le confort et le bien-être devraient l’emporter sur la hiérarchie médico-sociale et la reconnaissance de notre métier doit passer par le dialogue. Tant que les différents corps de métiers ne se rencontrent pas, ne se mettent pas à la place les uns des autres, on restera dans l’impasse.

Le service à la personne est le secteur le plus touché par les arrêts maladie et les maladies professionnelles.

Améliorer nos conditions de travail permettrait que nous puissions vivre de notre métier et lui redonner du sens. On aimerait être payés sur nos temps de travail effectifs, c’est-à-dire sur l’intégralité de la journée. Aujourd’hui nos temps de trajet en voiture – entre les domiciles des bénéficiaires – ne sont pas comptabilisés. Nous sommes payés 1 heure tous les 100 km alors que nous roulons en moyenne à 50/70 km/h. Récemment, notre agence a mis à disposition des voitures de service. Auparavant, j’ai effectué les trajets avec ma voiture personnelle pendant cinq ans. Or les frais kilométriques proposés par l’agence sont insuffisants pour couvrir les frais d’entretien (vidange, pneus, entretien).

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Lors de nos interventions auprès des bénéficiaires, on porte des charges lourdes, on effectue des transferts de personne, de matériel quotidiennement. Certaines de mes collègues souffrent de troubles musculosquelettiques. Le service à la personne est le secteur le plus touché par les arrêts maladie et les maladies professionnelles, cela ne facilite pas l’embauche. Or, il est nécessaire de rendre le métier d’auxiliaire de vie sociale attractif. Il est donc essentiel de couvrir nos frais de transport, de nous fournir un local chauffé pour la pause déjeuner (nous mangeons dans la voiture par – 4 °C l’hiver), de repenser le lien avec le personnel médical et les familles, amis, voisins.

J’aimerais que nous aussi on nous respecte.

Si notre métier n’est pas reconnu, valorisé, c’est un système entier qui risque de s’effondrer et les conditions justes et dignes de vie et de fin de vie de nos bénéficiaires. Pour ma part, je continuerai de faire de mon mieux. Présence, écoute, douceur, persévérance, discrétion, compréhension et patience : l’aide à la personne est un tout mais commence souvent par le respect. Et j’aimerais que nous aussi on nous respecte.

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