La Catalogne enterre l’indépendantisme

Les socialistes de Catalogne ont remporté les élections de dimanche dernier, marqué par un recul global de la gauche et un virage droitier. La Catalogne ouvre une nouvelle ère, où le rêve d’indépendance est passé.

Pablo Castaño  • 14 mai 2024 abonné·es
La Catalogne enterre l’indépendantisme
Le président du gouvernement espagnol Pedro Sanchez (à gauche) et le candidat du PSC Salvador Illa, vainqueur des élections, à Barcelone, le 10 mai 2024.
© GÈNE LLUIS / AFP

Le mouvement indépendantiste catalan a été battu aux urnes. C’est le résultat le plus manifeste des élections régionales tenues dimanche dernier : les partis défendant la sécession ont perdu la majorité absolue des sièges qu’ils détenaient depuis plus d’une décennie. La deuxième conclusion, moins évidente, est que la politique catalane vire à droite. Le Parti des socialistes de Catalogne a remporté les élections, certes, mais les formations les plus à gauche ont subi un revers, tandis que la droite et l’extrême droite progressent au Parlement régional.

Tout cela lors des élections catalanes avec la participation la plus basse depuis 18 ans, ce qui suggère une grande désaffection citoyenne après une période d’une grande intensité politique et émotionnelle, marquée par la montée en force de l’indépendantisme et la répression de l’état.

Épuisement

Le « processus » indépendantiste initié par une manifestation massive en 2012 a pris fin dimanche dernier. Au cours des 12 dernières années, ce mouvement social et politique de masse a remporté des succès historiques tels que le référendum de 2017 (déclaré illégal et réprimé par les autorités espagnoles), la vague générale du 3 octobre de la même année et une montée rapidissime du support social aux postulats souverainistes. Cependant, ce dimanche a confirmé l’épuisement d’un mouvement qui n’a guère donné de résultats concrets.

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L’abstention de l’électorat indépendantiste semble être la principale cause de la chute électorale du bloc, composé lors de ces élections de Junts (centre droit), d’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC, centre gauche), de la Candidature d’Unité Populaire (CUP, gauche radicale) et, pour la première fois, d’Aliança Catalana (extrême droite). La campagne épique de Junts, qui promettait le retour de l’ancien président exilé Carles Puigdemont en cas de victoire, leur a permis d’être le parti indépendantiste qui a obtenu le plus de suffrages, mais sans compenser la baisse du soutien aux autres formations du bloc. Ensemble, ils totalisent 43 % des voix contre près de 51 % qu’ils avaient obtenus en 2021.

À l’autre tranchée du conflit territorial, le Parti des socialistes de Catalogne (PSC, antenne catalane du PSOE) a remporté une victoire incontestable, avec 28 % des voix, bien qu’il soit loin de la majorité absolue. Le candidat socialiste Salvador Illa, ancien ministre de la Santé pendant la pandémie, a gagné en promettant un retour à la stabilité politique et un discours conservateur en matière économique destiné à attirer les électeurs du centre – ses propositions incluent de nouvelles autoroutes, l’agrandissement de l’aéroport de Barcelone et la construction d’un « macrocasino » controversé.

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Salvador Illa a aussi bénéficié des décisions prises par le président du gouvernement espagnol Pedro Sánchez pour abaisser la tension en Catalogne, notamment la loi d’amnistie qui promet d’en finir avec la persécution judiciaire des leaders indépendantistes (approuvée sous la pression parlementaire des indépendantistes, nécessaires à la majorité de gouvernement de M. Sánchez).

Inédit

Les droites – toutes les droites – ont également connu une soirée heureuse dimanche dernier. Le Parti populaire, qui était très minoritaire en Catalogne en raison de son agressivité envers le souverainisme, a multiplié par 5 ses résultats, sans que cela n’entraîne un recul de l’extrême droite de Vox. Ensemble, ils totalisent près de 20 % des voix, un résultat inédit pour les droites espagnoles en Catalogne. Mais la grande nouveauté a été l’entrée au Parlement d’Aliança Catalana, premier parti indépendantiste d’extrême droite, aux positions xénophobes. Le seul soulagement pour les progressistes catalans est que ces partis n’auront aucun rôle dans la gouvernance de la région.

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En revanche, les formations situées plus à gauche de l’échiquier politique ont perdu des voix : Esquerra Republicana, les Comuns (parti catalan membre de la coalition Sumar) et la Candidatura d’Unitat Popular (CUP). Ensemble, ils comptaient 50 députés et devront maintenant se contenter de 30. La grande perdante a été l’ERC, qui, après avoir dirigé le gouvernement catalan pendant 3 ans, a perdu un tiers de ses sièges. Le président Père Aragonés a démissionné.

L’absence d’unité à gauche a sans doute contribué à l’affaiblissement de ses composantes, de même que l’ERC a eu beaucoup de difficultés à expliquer son action gouvernementale. Enfin, la CUP et les Comuns apparaissent comme des partis subordonnés respectivement à Junts et au PSC, sans un projet propre clair. La Catalogne n’échappe pas à la tendance qui se dessine partout en Europe : la croissance des droites radicales et le recul des partis de gauche.

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Incertitude

Ce qui n’a pas changé dans la politique catalane, c’est l’arithmétique parlementaire complexe, traversée à la fois par l’axe droite-gauche et l’axe indépendance-unionisme. Le socialiste Illa est le grand gagnant mais n’a pas la garantie de devenir président. La coalition la plus probable serait celle formée par les socialistes, l’ERC et les Comuns, un « tripartit » qui a déjà gouverné la Catalogne entre 2003 et 2010. Les Comuns ont déjà manifesté leur disposition à cet accord, fidèles à leur stratégie de pactes avec les socialistes, mais la position de l’ERC est imprévisible. Le parti indépendantiste vaincu pourrait finir par soutenir Salvador Illa pour avoir de l’influence sur le nouveau gouvernement, mais son électorat verrait d’un mauvais œil tout accord avec un PSC qui a remporté la victoire avec un discours clairement unioniste. Des élections anticipées sont possibles en l’absence d’accord.

La Catalogne ouvre une nouvelle ère politique, où l’indépendance redevient un rêve lointain et les gauches perdent la relative centralité qu’elles avaient connue pendant ces dernières années. Reste à savoir si ce résultat ouvrira un débat stratégique au sein des gauches qui leur permettrait de construire une alternative politique à moyen terme, en surmontant les différences entre partisans et opposants de l’indépendance.

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