Kylian « Megalopolis » Mbappé

L’attaquant français rejoint logiquement le Real Madrid au terme d’un exercice de communication parfaitement maîtrisé. Le capitaine des Bleus est un des Français les plus médiatiques et influents aujourd’hui, ce qu’Emmanuel Macron a bien compris.

Nicolas Kssis-Martov  • 4 juin 2024 abonné·es
Kylian « Megalopolis » Mbappé
Une photo postée par Kylian Mbappé sur les réseaux sociaux, lors d'une visite du club madrilène il y a plusieurs années.
© Compte X de Kylian Mbappé

Alors que la France se déchire à l’approche d’élections européennes où l’extrême droite caracole en tête des sondages, l’arrivée de Kylian Mbappé au sein du Real Madrid a monopolisé l’actualité de ce lundi 3 juin. L’annonce officielle, pourtant courue d’avance, a provoqué la mise hors-service du site du club madrilène. Sur les divers réseaux sociaux, les compteurs de ‘likes’ s’affolent sous les posts de l’ancien attaquant parisien.

Cette onde de choc s’explique facilement au sein du petit monde du ballon rond. Le génie tricolore est de fait un de plus grands joueurs de football actuels, même si sa fin de saison au PSG, marquée par son conflit avec le président Nasser al-Khelaïfi, fait douter certains de son niveau réel aujourd’hui. Son arrivée en Liga et surtout chez les Merengues (surnom des joueurs du club), constitue une consécration et une reconnaissance indéniable.

Conte de fées et étape prévisible

« De Bondy à Madrid 📍 C’est officiel, notre capitaine rejoint le Real Madrid ⚪️ » a ainsi réagi le compte X (ex-Twitter) de l’équipe de France, en plein rassemblement avant l’Euro qui débute le 14 juin en Allemagne. Kylian Mbappé laisse derrière lui une Ligue 1 exsangue, qui n’arrive toujours pas à vendre ses droits télé et perd un peu de son lustre vacillant… Quant au PSG, combien de followers vont-ils cesser de le suivre à travers le globe, surtout après les désertions de Lionel Messi et Neymar l’an dernier ?

La décision de rejoindre la « Maison blanche » – le surnom du Real – peut certes se lire à l’aune d’un conte de fées, celui d’un gamin qui exauce enfin tous ses vœux. « Tellement heureux et fier de rejoindre le club de mon rêve. Personne ne peut comprendre à quel point je suis excité à ce moment. J’ai hâte de vous voir, Madridistas, et merci pour votre incroyable soutien. Hala Madrid! » a posté le capitaine des Bleus sur les réseaux sociaux.

Il a posté nombre de photos prises lors de sa visite encore tout môme au Real, dont une avec son idole Ronaldo. Son sponsor Nike décline le même slogan, qui dissimule les millions d’euros derrière de beaux discours dignes des superhéros Marvel : « Love your dreams until they love you back. »

Ce transfert possède une dimension basiquement sportive, et marque une étape prévisible dans la carrière d’une star à crampons rejoignant le meilleur club de la planète, tout juste auréolé de sa quinzième Ligue des champions remportée samedi soir contre le Borussia Dortmund à Wembley. De ce point de vue, Mbappé rentre plutôt dans le rang : le Real ne compte plus les gloires du foot qui sont devenues immortelles en endossant son maillot. L’attaquant s’inscrit d’ailleurs dans une longue tradition française, de Kopa à Benzema en passant par Zidane.

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Il serait erroné de ne retenir que cette facette footballistique. Le foot n’est plus un sport, tant il pèse en termes d’enjeux partisans et sociaux. Il n’est pas un reflet de la société, il en un des acteurs à part entière. Et Kylian Mbappé en a pleinement conscience, d’où sa maîtrise si parfaite de sa communication. D’un seul tweet assassin, il a précipité la chute de Noël Le Graët, président de la FFF (1) – que ni les scandales ni la volonté de la ministre des sports, Amélie Oudéa-Castéra, pourtant une poche d’Emmanuel Macron –, ne semblaient capables d’ébranler.

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Le président de la FFF avait dit de l’ex-numéro 10 des Bleus : « Je ne l’aurais même pas pris au téléphone ». 

Ses prises de position face aux violences policières ont suscité de nombreuses réactions, dont Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, lui reprochant une « indignation sélective » après le passage à tabac par des policiers de Michel Zecler. L’ancien arbitre de foot, dorénavant place Beauvau, n’ignorait pas que le terrain de foot est aussi un espace politique.

Manœuvres grossières

Jupiter non plus. Le président de la République, Emmanuel Macron, n’a eu de cesse d’enrégimenter Kylian Mbappé dans la narration, le « storytelling » de la start up nation. À travers sa proximité avec le joueur, il a érigé, au fur et à mesure de son raidissement à droite, cet enfant des quartiers populaires, si sage et propre sur lui. Un moyen de garder le contact avec une jeunesse qui s’éloignait de plus en plus de lui dans les urnes et dans la rue.

La manœuvre fut souvent grossière, parfois vulgaire, comme lorsqu’il descendit le consoler après la défaite contre l’Argentine en finale de la Coupe du monde 2022 à Doha, un ‘sacrilège’ qu’aucun homme d’État ne s’était permis jusqu’à présent. Il s’est aussi abaissé à prendre son téléphone il y a deux ans pour le convaincre de rester au PSG et en France, transformant la décision de demeurer dans un club appartenant à un fonds d’investissement Qatari en un quasi-exemple de patriotisme économique. Le premier intéressé confiera encore récemment sur CNN à quel point sa décision avait été orientée devant cette pression « extérieure » au seul football.

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Dernière aberration, Emmanuel Macron a tenté en marge d’un dîner à Paris pour le 120e anniversaire de la FIFA de convaincre le boss du Real, Florentino Pérez, de laisser Kylian Mbappé participer aux JOP de Paris 2024. L’Espagnol a fait la sourde oreille : rien ne l’oblige en effet puisque le tournoi olympique ne figure pas dans le calendrier de la fédération internationale. Nouvelle humiliation pour la République. En Espagne, la loi oblige, par contre, les clubs à libérer leurs joueurs nationaux pour les Jeux. Il aurait peut-être fallu commencer par la loi plutôt que se prendre pour agent de joueur. Le cas Mbappé illustre terriblement la dégradation de la fonction présidentielle sous Emmanuel Macron.

Kylian Mbappé part donc au Real de Madrid couronner sa carrière, en quête d’une Ligue des champions et d’un Ballon d’or. En quittant la France, il ne cessera pas pour autant d’être l’un des Français les plus influents, capable de trôner en une du Time. Le regard qu’il portera sur l’Hexagone depuis son exil madrilène nous en dira peut-être long sur la situation du pays.

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Société
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