« Le RN ne s’est jamais préoccupé du dérèglement climatique »

Le danger que représente l’extrême droite n’est pas seulement démocratique, il est également environnemental. Une enquête menée il y a quelques années par le Zetkin Collective alertait déjà sur ce sujet.

Olivier Doubre  • 3 juillet 2024
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« Le RN ne s’est jamais préoccupé du dérèglement climatique »
Manifestation, le 23 juin 2024 à Paris.
© Valérie Dubois / Hans Lucas / AFP

Fascisme fossile. L’extrême droite, l’énergie, le climat, Zektin Collective, coordonné par Andreas Malm, traduit de l’anglais par Lise Benoist, La Fabrique, 2020.

Groupe d’activistes et de chercheurs internationaux ayant publié en 2020 Fascisme fossile, le Zetkin Collective observe les proximités entre le secteur industriel des énergies fossiles et les politiques mises en œuvre par les extrêmes droites arrivées au pouvoir dans différents pays. Entretien.

Pourquoi le Zetkin Collective parle-t-il de « fascisme fossile » ? Les énergies fossiles nous mèneraient-elles forcément au fascisme ?

Zetkin Collective : L’augmentation des températures et celle des votes pour l’extrême droite sont deux caractéristiques de notre conjoncture politique et écologique. Le concept de « fascisme fossile », inventé par Cara New Daggett (1) dans un essai novateur sur la « pétromasculinité », tente d’établir les liens potentiels entre ces deux phénomènes. Tout d’abord, il est important de comprendre que les combustibles fossiles ne sont pas une marchandise comme les autres. Comme l’a montré Andreas Malm dans Fossil Capital (2), ils ne sont pas simplement l’un des innombrables produits que les capitalistes fabriquent dans le seul but de dégager une plus-value.

1

Professeure de science politique à l’université Virginia Tech et autrice de Pétromasculinité. Du mythe fossile patriarcal aux systèmes énergétiques féministes, Wildproject, 2023.

2

Verso Books, 2016, non traduit.

Ils sont le substrat matériel de toute la plus-value capitaliste, un intrant aussi nécessaire que le travail et le capital – soit une condition préalable au profit, si l’on veut. Cela signifie que les émissions de CO₂ et, par extension, la crise climatique elle-même sont des sous-­produits inévitables du système du « capitalisme fossile ».

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La plupart des théories du fascisme, quant à elles, considèrent qu’une certaine forme de crise est nécessaire comme condition à sa montée en puissance. Nous avons examiné deux formes du « fascisme fossile ». Premièrement, la prise de conscience de la dynamique destructrice du capitalisme fossile s’accompagne d’un élan et d’une pression pour se détourner de ces combustibles, ce qui, si cela était fait avec l’urgence requise, constituerait une menace existentielle pour cette industrie, ainsi qu’une menace structurelle pour de nombreux autres secteurs d’activité. C’est ce que nous avons appelé une « crise d’atténuation », dans laquelle les capitalistes fossiles sont menacés par l’élimination d’un élément central de leur processus de production et nouent alors des alliances avec des entreprises du secteur des combustibles.

Alors qu’une telle crise d’atténuation semble de plus en plus improbable, nous assistons néanmoins à un flot ininterrompu de réponses préventives au spectre de l’élimination progressive des combustibles fossiles, comme en témoignent les réactions contre l’urbanisme durable et les efforts visant à réduire la dépendance à l’égard de l’automobile, par exemple, ou les protestations des agriculteurs contre la réduction des subventions au diesel, ou encore l’avertissement de Donald Trump selon lequel les véhicules électriques (qui sont loin d’être une panacée écologique en soi) provoqueront une « hécatombe économique » pour le pays.

Ces politiques frontalières fascistes peuvent donc être considérées comme une réponse inadaptée (…) à un monde où les catastrophes climatiques ne cessent de se multiplier.

Simultanément, à mesure que la crise climatique s’aggravera, elle engendrera des « crises d’adaptation », c’est-à-dire des pénuries de nourriture, d’eau, de terres habitables, etc., face auxquelles ceux qui disposent de ressources suffisantes seront de plus en plus enclins à lever le pont-levis pour tenir les étrangers à distance. Ces politiques frontalières fascistes peuvent donc être considérées comme une réponse – inadaptée et inhumaine – à un monde où les catastrophes climatiques ne cessent de se multiplier.

Les droites extrêmes gouvernent ou ont gouverné plusieurs pays comme le Brésil, les États-Unis, la Hongrie, la Pologne ou l’Italie. Comment se préoccupent-elles (ou non) du réchauffement de la planète et des politiques écologiques ?

Lorsque des partis d’extrême droite accèdent au pouvoir, leur ligne, en général, est de nier, de repousser ou d’entraver la nécessité urgente d’agir pour le climat. Trump incarne cette règle en ayant retiré son pays de l’accord de Paris tout en nommant des PDG d’entreprises de combustibles fossiles à des postes gouvernementaux. Ailleurs, le bilan est parfois plus mitigé. Le Fidesz d’Orbán ou les Fratelli d’Italia de Meloni ont leur positionnement propre à l’égard de l’accord de Paris, même s’ils contestent l’urgence de prendre des mesures climatiques plus strictes.

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Même sans détenir formellement le pouvoir, l’extrême droite est en mesure d’exercer une influence sur les agendas climatique et médiatique, comme le montre l’AfD en Allemagne. Les mêmes partis d’extrême droite qui défendent un programme anticlimat peuvent, en d’autres occasions, se présenter sous un jour plus favorable, par exemple en votant en faveur de politiques de conservation de la biodiversité. En cultivant l’idée que les espèces indigènes appartiennent à un territoire national, ce qui peut sembler « écolo » à première vue sert en réalité à renforcer leur programme antimigrants. Comme le dit Meloni : « La droite aime l’environnement parce qu’elle aime la terre, l’identité, la patrie. »

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Une différence significative entre les libéraux et l’extrême droite, cependant, est que seule cette dernière tire une satisfaction psychosociale de la destruction de la planète en même temps que de la provocation de ses ennemis politiques sur cette question. Aussi, entre les mains de l’extrême droite, les perspectives d’une politique véritablement écologique semblent bien sombres.

L’extrême droite pourrait arriver au pouvoir en France. Que savez-vous de ce qu’elle pense faire – ou non – contre le changement climatique ?

Le programme du Rassemblement national en matière d’écologie s’articule principalement autour d’un rejet des mesures écologiques, qualifiées par lui de « punitives » et perçues comme étant imposées par les élites urbaines aux populations rurales et périurbaines. Paris, Bruxelles, la gauche, les Verts – pour différentes raisons –, tous sont selon lui coupables de promouvoir une écologie perçue comme « hors sol », déconnectée du quotidien des habitants et symbole d’une globalisation économique et culturelle débridée. Éoliennes, taxes et régulations sont ainsi rejetées. À la place, le RN met un accent rhétorique sur le localisme et l’énergie nucléaire.

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Malgré sa critique des accords de libre-échange, le programme du RN ne constitue en rien une rupture avec le capitalisme fossile actuel et l’extractivisme. Le RN ne s’est jamais préoccupé frontalement du dérèglement climatique global. Cela dit, la fermeture des frontières est considérée par certains comme la condition sine qua non de la mise en place d’une politique écologique digne de ce nom – un argument qui occulte aussi bien les inégalités et injustices environnementales massives de répartition des ressources que celles liées aux impacts et aux responsabilités historiques.

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