« Je suis devenue l’aidante de mon compagnon »

Graphiste reconvertie en AESH, Cécile a été aidante de son compagnon pendant près de cinq ans. Elle témoigne.

• 9 octobre 2024
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« Je suis devenue l’aidante de mon compagnon »
© National Cancer Institute / Unsplash


Graphiste reconvertie en AESH, Cécile a été aidante de son compagnon pendant près de cinq ans. Elle raconte l’épuisement dans un quotidien bouleversé par l’accident vasculaire cérébral de son partenaire, où elle a dû jongler entre la gestion de sa famille et les nombreuses tâches administratives. Elle demeure marquée à vie par cet évènement.


Ce texte est le premier d’une série de quatre, qui paraîtra pendant plusieurs mois dans nos colonnes.


Tout a commencé un jour ordinaire, en 2018. Mon compagnon a fait un grave AVC au travail. Tout a basculé en quelques heures. Nous venions d’acheter une maison un an auparavant et nous avions eu un enfant ensemble, âgé de 18 mois au moment de l’accident. Mon compagnon a passé un mois en réanimation, puis neuf mois dans un centre de rééducation. Il a dû réapprendre à tout faire : s’asseoir, manger, marcher, parler. J’allais à son chevet tous les jours, week-end inclus, avec notre fils. Voir l’homme que j’aime repartir de zéro a été un choc. Je me souviendrai toujours du jour où il a simplement réussi à rester assis quelques minutes. Il transpirait comme après un marathon.

Je me suis retrouvée à jongler entre ses soins quotidiens et l’éducation de mes trois enfants.

Quand il est revenu à la maison en septembre 2019, j’ai dû réorganiser toute notre vie. Je me suis retrouvée à jongler entre ses soins quotidiens et l’éducation de mes trois enfants. Je n’ai pas pris conscience tout de suite que nous étions devenus aidants, les enfants et moi. Il m’a fallu du temps. Pendant les premières années, je me suis battue pour qu’il bénéficie de toutes les rééducations possibles. De son côté, il s’est battu pour progresser. Nous sommes dans une zone isolée médicalement, et nous avons parcouru parfois des kilomètres pour trouver des praticiens.

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Je suis aussi devenue coordinatrice de ses soins. Il a fallu gérer tous les rendez-vous médicaux et le passage d’une aide à domicile pour la toilette, tous les matins en semaine. Notre maison est devenue un véritable hôpital, avec des professionnels qui défilaient de manière quotidienne plusieurs fois par jour. J’ai essayé de maintenir mon activité professionnelle indépendante au début, mais la charge est devenue trop lourde. J’ai fini par la réduire progressivement avant de finalement fermer mon entreprise. J’étais épuisée, physiquement et mentalement. Je me suis reconvertie en AESH (accompagnante des élèves en situation de handicap), un métier que j’ai commencé à exercer à partir de mars 2022.

Mon compagnon a bien récupéré physiquement, mais de graves séquelles cognitives persistent toujours. Ses fonctions exécutives et son orientation dans l’espace et dans le temps, sévèrement altérées, le placent en situation de handicap, avec la nécessité d’un accompagnement permanent par une tierce personne pour le guider et le stimuler à chaque instant, dans tous les gestes du quotidien. Son discernement et son attention sont fluctuants. J’étais en hypervigilance constante, je dormais d’une oreille, prête à réagir au moindre bruit.

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Je suis restée sa principale aidante pendant plus de quatre ans. C’était une charge énorme, très peu partagée à l’extérieur de notre domicile. Une partie de sa famille vit à 500 km de chez nous, mes parents sont âgés. J’avais besoin d’aide mais personne ne venant à moi spontanément, je me suis découragée. Les charges administratives sont aussi très lourdes. Entre la CAF, les dossiers pour la Maison départementale des personnes en situation de handicap (MDPH) à constituer puis à renouveler avec une somme d’attestations médicales à fournir, les assurances, les impôts. Je percevais une indemnité de proche aidant, un montant très faible par rapport à l’investissement quotidien. Jusqu’à épuisement total : j’ai fait deux burn-out.

Jusqu’à épuisement total : j’ai fait deux burn-out.

Les médecins m’ont prévenue fin 2021 : la phase de récupération étant arrivée à son terme, son état restera stable. Il n’y aura plus de progrès significatifs. Il m’a fallu un an pour l’entendre, le comprendre et l’accepter. Un jour, il a confondu une fenêtre avec une porte, je suis intervenue immédiatement avec les enfants pour le mettre en sécurité. Je me suis dit qu’il était devenu trop dangereux de continuer à tout gérer seule. J’ai commencé à envisager de le placer en établissement spécialisé, sur les recommandations de notre équipe médicale.

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Après plusieurs séjours temporaires en 2022, il a été admis en placement permanent dans un centre spécialisé en mars 2023 – les listes d’attente sont longues. Ce centre est à une heure de route, mais c’est un soulagement de savoir qu’il est en sécurité dans un cadre adapté à ses pathologies, entouré de soignants compétents et qu’il fait plein d’activités tous les jours. Il profite. Nous pouvons lui rendre visite quand nous voulons. Je suis tutrice de ses biens, je veille encore sur lui d’une certaine manière.

Ce n’est pas le plan de vie que nous avions imaginé évidemment, mais j’ai fait face à la situation rencontrée à chaque étape du mieux possible, en priorisant la sécurité physique et affective de chacun des membres de ma famille. J’ai pu retrouver un peu de répit, et surtout des nuits de sommeil complètes, ce que je n’avais plus eu depuis des années. Je resterai marquée à vie par ce rôle d’aidante.

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Carte blanche

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