En Cisjordanie, des raids pour forcer au départ

Après plus quinze mois de guerre contre la population gazaouie, quelque 2,3 millions de Palestiniens ont commencé à retourner dans leurs villes dévastées. Et tandis que Donald Trump menace de transformer Gaza en « Côte d’Azur », la Cisjordanie demeure la cible d’attaques sans précédent.

Isabelle Avran  • 12 février 2025 abonné·es
En Cisjordanie, des raids pour forcer au départ
Des Palestiniens fuient le camp de réfugiés de Nur Shams, dans le nord de la Cisjordanie, cible d’un raid israélien le 10 février 2025.
© Issam Rimawi / ANADOLU / Anadolu via AFP

On savait Donald Trump ignorant des réalités du monde, mégalomane sûr que tout s’achète, méprisant des droits des peuples, du droit international et des Nations unies. On le savait soutien inconditionnel de la politique du gouvernement d’extrême droite israélien. Le monde a découvert, mardi 4 février, jusqu’où il menace, de fait, non seulement l’avenir du peuple palestinien mais aussi tout espoir de paix régionale.

« Les États-Unis vont prendre le contrôle de la bande de Gaza et nous allons faire du bon boulot avec », a-t-il annoncé en recevant en grande pompe le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, lequel fait pourtant l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Mais le 47e président des États-Unis réclame pour cette raison des sanctions contre la CPI.

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Benyamin Netanyahou s’est officiellement réjoui des perspectives énoncées par Donald Trump, qui menace de « faire le ménage » dans l’enclave palestinienne, d’en transférer la population qui le « souhaiterait » vers des États voisins jamais consultés. Mais le peuple palestinien a appris de l’histoire. Il sait que tout départ annoncé comme transitoire serait définitif et il entend en dépit des massacres demeurer sur sa terre.

Entré en vigueur dimanche 19 janvier, ­l’accord de trêve conclu entre les dirigeants israéliens et le mouvement palestinien Hamas sous l’égide du Qatar, de l’Égypte et des États-Unis a ­permis aux Palestiniens de commencer à ne plus subir les bombardements quotidiens.

Il a rendu possibles les premiers échanges entre des otages israéliens, capturés par des commandos du Hamas et alliés sur le territoire israélien le 7 octobre 2023 lors d’une attaque sans précédent qui a fait plus d’un millier de morts, et des prisonniers politiques palestiniens dont beaucoup croupissent dans les prisons de l’occupant depuis des années, particulièrement des enfants et des femmes. Un tel accord avait été rejeté depuis plusieurs mois par Israël.

Protéger le peuple palestinien

Après des décennies d’occupation, dont plus de dix-sept ans de siège de la bande de Gaza et de toute sa population, cette dernière guerre, d’une violence, d’une ampleur et d’une durée inédites, a tué plus de 47 000 Palestiniennes et Palestiniens, plus tous ceux et celles dont les familles découvrent les corps dans des charniers et sous les décombres.

Elle a fait plus de 107 000 blessés, dont des milliers de personnes amputées, des milliers d’orphelins. Les maisons dans leur quasi-totalité ont été détruites, comme le système hospitalier et sanitaire, les écoles, les capacités énergétiques, les accès à l’eau potable, les universités, les lieux de culte, les centres de culture, les lieux de ­production économique, et toutes les conditions d’existence.

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L’accord de trêve établit un processus en trois phases. La première, de six semaines, prévoyait la cessation des « hostilités » et la libération de 33 otages israéliens et de 1 900 prisonniers palestiniens, ainsi que l’entrée massive d’une aide humanitaire vitale pour une population affamée et le retrait israélien des zones densément peuplées. Les modalités et la mise en œuvre des étapes suivantes dépendent de la réussite ou non de la première.

L’horreur des massacres commis par l’armée d’occupation a nourri le désespoir mais aussi la colère.

Benyamin Netanyahou a annoncé s’arroger le « droit » (sic) de reprendre la guerre à tout moment. S’il a rasé tout un territoire, il n’a pas atteint les objectifs officiels qu’il avait fixés, notamment l’éradication du mouvement Hamas. D’autant que l’horreur des massacres commis par l’armée d’occupation a nourri le désespoir mais aussi la colère, et une rage radicale. Après la mort de plusieurs civils palestiniens à Gaza, le Hamas a annoncé un report des libérations d’otages. Et Donald Trump a promis «l’enfer» dans cette hypothèse. Une protection internationale de la population gazaouie est indispensable dans ce contexte.

Cisjordanie : expulser pour annexer

C’est aussi le cas en Cisjordanie, que les dirigeants et colons israéliens veulent annexer. Si les gouvernements israéliens successifs ont multiplié les faits accomplis de la création illégale de colonies de peuplement en Cisjordanie occupée depuis 1967, la colonisation s’est accélérée ces dernières années et l’actuel gouvernement d’extrême droite accompagne militairement les colons suprémacistes dans leurs raids meurtriers contre des communautés palestiniennes entières, qu’ils dépossèdent de leurs terres. Les bombardements et les raids se multiplient en Cisjordanie : Jénine, Tulkarem…

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La Knesset (Parlement israélien) a en outre adopté de nouvelles lois pour interdire la présence de l’Unrwa à Jérusalem-Est illégalement annexée et tout contact d’Israël avec l’agence onusienne. Il s’agit à la fois de nier toute reconnaissance des réfugiés palestiniens et de leur droit au retour et au dédommagement, mais aussi d’empêcher l’aide indispensable que l’agence fournit aux Palestiniens pour leur survie. Et tenter de ce fait de les forcer à un départ présenté comme « volontaire ».

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Mais les Palestiniens le répètent, ils ne partiront pas. De leur côté, l’Égypte et la Jordanie refusent le projet de Donald Trump dénoncé par les Nations unies. Plusieurs pays européens, dont la France, se disent inquiets et opposés aux déplacements des populations, défendant toujours l’hypothèse de la coexistence de deux États, Palestine et Israël, malgré l’état des lieux de la colonisation. Qu’il s’agisse de la protection du peuple palestinien et de l’Unrwa, et du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, les mots ne suffisent plus.

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