Le bouc émissaire, l’islamophobie et la gauche

Le terme d’islamophobie fait débat, y compris à gauche. Tous ne le retiennent pas. Voilà pourquoi nous le jugeons adapté.

Pablo Pillaud-Vivien  • 14 mars 2025
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Le bouc émissaire, l’islamophobie et la gauche
Une personne présente des livres partiellement brûlés le 21 décembre 2008 à Saint-Priset dans la banlieue de Lyon, lors d'un rassemblement pour dénoncer la montée de "l'islamophobie" en France.
© PHILIPPE MERLE / AFP

Parmi ceux qui l’utilisent, tous s’accordent pour dire que toute critique de la religion n’est pas un anticléricalisme, toute critique de l’islam ne relève pas de l’islamophobie. Le spécialiste du monde arabe, Alain Gresh, ne nous apprend-il pas que ce mot ancien est apparu en 1910. Son usage ne devrait pas déchaîner les passions. De fait, l’islamophobie ne relève pas de la réfutation doctrinale, mais de la haine de groupe ; ses ressorts ne sont pas du côté de la raison, mais de la passion destructrice ; il ne se nourrit pas de valeurs humaines, mais les consume.

Mais il existe bel et bien aujourd’hui un phénomène massif qu’il est raisonnable de désigner comme une islamophobie. Comme l’antisémitisme, l’islamophobie a une longue histoire. Une fois passés les souvenirs des terreurs sarrasines et des conflits sanglants des Croisades, la figure du musulman a été réactivée par la colonisation. Elle ne devient toutefois opérationnelle que dans les 30 dernières années. La peur du musulman se nourrit alors d’une double évolution.

Sur le même sujet : Dossier : Islamophobie, un racisme généralisé

D’une part, le passage d’une immigration de travail provisoire à une immigration d’installation pérenne. Elle fait de l’islam une « religion de France » au même titre que les confessions installées de longue date, chrétiennes ou juives. D’autre part, le fait religieux musulman tend à devenir visible, comme tous les phénomènes communautaires de la période récente – quartiers chinois, beth din ou halal. Cette visibilité est au cœur des polémiques récentes associant arabe à musulman, musulman à islamiste et islamiste à terroriste.

La peur des « classes dangereuses » et de l’islam

Cette modification des perceptions coïncide avec un regard sur la crise des banlieues, où se concentre la population liée à l’immigration, passée ou présente. Les échecs successifs des « politiques de la ville » fait passer de la Marche pour l’égalité et contre le racisme (1984) à l’émeute (2005, 2023). La peur des « classes dangereuses » et celle de l’islam se confondent alors dans une même dénonciation des « quartiers ». La peur se fixe sur le jeune musulman, révolté puis prosélyte, surtout après 2001, quand la « guerre des civilisations » se fait « état de guerre ». 

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Cette représentation d’une jeunesse « inassimilable » a comme fonction de construire à l’intérieur de l’espace national un « autre » absolu. Logique de l’identité : pour reconnaître le pur, il faut le jauger à l’aune de l’impur ; le loyal s’éprouve dans la confrontation avec le traître en puissance ; le lucide se mesure à la capacité à démasquer la cinquième colonne dissimulée. Pourtant à gauche, le concept d’islamophobie continue de faire débat. Chez ceux qui le réfutent, certains s’inquiètent du retour en force du religieux dans notre pays. En matière de progrès sociaux ou d’égalité des genres et des sexualités, les religions monothéistes n’ont jamais été d’avant-garde. 

L’islamophobie qui se développe jusqu’au cœur de l’État impose une vigilance redoublée.

S’inquiéter des dynamiques réactionnaires à l’œuvre dans les communautés qui les composent et contrer la stratégie de ceux qui travaillent à la réalisation de la prophétie d’Huntington de « choc des civilisations » (il n’y a pas qu’à l’ouest que certains s’y emploient) sont donc, pour eux, des engagements. Mais l’islamophobie qui se développe jusqu’au cœur de l’État et qui fait office de doctrine pour toute la partie droite de l’échiquier politique – et qui a infusé dans la population -, impose une vigilance redoublée.

Sur le même sujet : Face à l’islamophobie, ils fuient la France pour le Maroc

Le philosophe Pierre Zaoui, le fait remarquer : la figure du bouc émissaire évolue vers « une figure plus floue, plus flottante : l’Arabe, le musulman, le terroriste potentiel, le Rom, le Chinois, le travailleur des pays de l’Est européen, l’immigré pauvre ou l’étranger en général ». « Le racisme est une monstrueuse poupée gigogne qui, une fois libérée, n’épargne aucune cible » alerte Edwy Plenel.

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