« Il faudrait un vrai travail de fond sur le devenir de nos villes »
Bien trop de villes et de villages sont touchés par ce phénomène de désertification. Pour le contrer, des artisans et des artisanes essaient de développer un contre-modèle, de proximité, soutenable et socialement souhaitable. Nathalie en fait partie.
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Des centres-villes qui se vident des petits commerces, au détriment de grandes zones industrielles habitées par les multinationales. Bien trop de villes et de villages sont touchés par ce phénomène de désertification. Pour le contrer, des artisans et des artisanes essaient de développer un contre-modèle, de proximité, soutenable et socialement souhaitable. Nathalie en fait partie.
Je suis artisane dans la couture depuis dix ans et j’ai une boutique dans une ville touristique moyenne depuis six ans. Aujourd’hui, j’ai envie de témoigner de ce que ce statut représente : au-delà des incertitudes et des difficultés financières récurrentes, il s’agit plutôt de défendre un modèle difficile à tenir et de poser ces questions : quelle société voulons-nous ? Quelles villes et quel tourisme voulons-nous ? Comment garder des boutiques de créateur·rices en centre-ville quand les loyers explosent ? Comment inciter les gens à acheter des produits de qualité, originaux, plutôt que d’aller sur internet ? Comment faire pour que les centres-villes ne deviennent pas des musées ? Comment développer le savoir-faire de chacun·e et le transmettre ?
Les jeunes et les familles partent, des classes ferment. La population vieillit.
Chaque jour, j’essaie de trouver des réponses à ces différentes questions. Chez moi, la pression immobilière est énorme pour les artisan·es et commerçant·es, mais également pour les habitant·es. Le prix des loyers s’envole. Ce n’est même pas de la gentrification, tout simplement de la spéculation ! Et cela a des répercussions sur le tissu social de la ville. En six ans je l’ai vu évoluer. Les jeunes et les familles partent, des classes ferment. La population vieillit.
Il y a aussi beaucoup de turn-over au sein des locaux commerciaux. Les gens s’emballent, s’endettent et se cassent la figure au bout de quelques mois. J’ai la chance d’avoir une propriétaire qui n’augmente pas mon loyer, mais les charges (loyer, assurance, électricité, fournisseurs) augmentent. Pour autant, je ne répercute pas forcément la hausse sur mes prix. De ce fait, ma marge diminue et mon revenu aussi.
Je ne prends que deux semaines de congés par an mais ce ne sont pas des vacances, plutôt du repos. C’est difficile, mais cela me donne le sentiment de participer au maintien du tissu local. Mes ateliers de couture sont un moyen de transmettre et d’inciter les gens à se réapproprier des techniques simples. Avant, toutes les femmes (la couture reste très genrée malheureusement !) savaient coudre et cela s’est perdu. Pourtant, ce savoir reste utile et j’invite hommes et femmes à redécouvrir les bases.
Nombre de consommateur·rices ne connaissent plus la valeur du temps de travail.
Pour moi, être couturière est une passion (même si je n’ai pas toujours eu cette activité) et c’est cela qui me fait tenir. J’ai de bons retours de mes client·es et c’est valorisant, mais cela ne suffit pas. Face à la fast fashion, on se sent démuni·e. Nombre de consommateur·rices ne connaissent plus la valeur du temps de travail. Ils ont oublié qu’en Asie les conditions de travail sont infernales et les salaires très bas. Ils ont parfois du mal à accepter le prix des réparations. Un label Récup’acteurs a été mis en place au niveau de la région pour favoriser la réparation, mais c’est une usine à gaz. Personnellement, je n’y ai pas droit car je ne suis pas soumise à la TVA.
En fait c’est pour les « gros », pas pour les « petits » artisans et artisanes ! Dans la pratique de mon activité, j’ai pris des engagements : utiliser au maximum des matières premières biologiques et venant d’Europe pour mes créations, utiliser une électricité écologique, favoriser la monnaie locale, le recyclage et le zéro déchet, offrir des services de réparation de vêtements. C’est cohérent avec mes valeurs et j’essaie de le faire savoir. Mais, dans cette démarche, je ne me sens pas vraiment aidée par la ville. Un exemple : j’ai juste un mannequin et je paie plus de 200 euros par an pour 0,3 m2 sur le trottoir.
Les politiques publiques travaillent dans l’urgence alors qu’il faudrait un vrai travail de fond sur le devenir de nos villes et le maintien des activités de proximité. Beaucoup de femmes dans mon cas se sentent dans une perpétuelle insécurité financière : les charges fixes sont énormes et les chiffres d’affaires toujours incertains. Mais nous, les femmes artisanes, faisons preuve de solidarité. On échange, on s’envoie des client·es quand on ne peut pas répondre à une demande spécifique, et c’est précieux.
Le « monde nouveau » d’après covid n’a pas duré longtemps.
Je suis toujours contente quand une nouvelle boutique de créateur·trices se crée. Il n’y a pas de réelle concurrence entre nous, nous formons un réseau. Ce tissu artisanal est important et montre un autre visage de notre société. Cela fait du bien et doit se renforcer. Je crois en la réappropriation des savoirs, la récup’ et le zéro déchet. Mais le « monde nouveau » d’après covid n’a pas duré longtemps.
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