Médecine alternative : l’ombre sectaire
Un rapport de la Miviludes met en lumière un phénomène inquiétant. Depuis la pandémie de covid-19, l’attrait pour les soins non conventionnels s’est accru, au risque de dérives dangereuses, voire mortelles.
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Des séances de bols tibétains, de magnétisme ou de reiki, cette méthode de relaxation consistant à apposer les mains sur les différents points énergétiques du corps… Ces médecines dites « douces », « complémentaires » ou encore « alternatives », loin de se limiter à des programmes de retraites spirituelles en Asie, s’implantent aujourd’hui dans des établissements publics de santé, surtout dans les zones rurales en manque de médecins. Au risque de supplanter les soins conventionnels et de favoriser certaines dérives, comme le souligne le dernier rapport de la Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), publié le 8 avril.
Des soins à base de pierres ou des examens de tumeurs par « appareil russe à résonance magnétique ».
Sur la période de 2022 à 2024, la Miviludes note une hausse des dérives sectaires dans des domaines variés. Auparavant cantonnées à la sphère religieuse ou cultuelle, elles gagnent des secteurs comme la santé et le bien-être. Cette évolution reflète le développement de nouvelles formes de spiritualité en marge des religions traditionnelles. Plus libres et individualistes, ces pratiques alimenteraient une quête de soi influencée par le New Age, une approche holistique du monde alliant le corps, l’âme et le cosmos.
Pseudo-thérapeutes
Le rapport mentionne ainsi des cures problématiques pratiquées par des personnes dépourvues de tout diplôme d’État et surfant sur le désir d’un retour à la nature et de pratiques occultes « bienveillantes ». Ces pseudo-thérapeutes prescrivent – souvent de manière très onéreuse – des régimes alimentaires draconiens, des soins à base de pierres ou des examens de tumeurs par « appareil russe à résonance magnétique », une machine censée harmoniser le bien-être du corps, à des patients déjà affaiblis par le cancer.
Les traitements de chimiothérapie étant quant à eux fustigés comme des « poisons mortels » par ces pseudo-médecins. Un « naturopathe » a ainsi été condamné en 2023 par la cour d’appel de Paris après avoir préconisé des purges et l’usage d’huiles essentielles à un patient atteint d’un cancer des testicules. Ce dernier est décédé deux ans après le diagnostic, alors qu’il avait renoncé à suivre un traitement médical efficace dans la majorité des cas.
La défiance médicale n’est pas nouvelle et fait écho aux nombreuses prises de parole qui ont éclaté au moment du covid-19. Les tweets de l’autrice états-unienne complotiste, Naomi Wolf, associaient les vaccins à « une arme biologique » ou diffusaient la théorie de « l’excrétion vaccinale », soit l’idée que des centaines de femmes auraient d’étranges saignements quand elles se trouvent à proximité de femmes vaccinées.
Dérives nourries du confinement
La Miviludes souligne d’ailleurs que les dérives sectaires en matière de santé se sont nourries du confinement, durant lequel les personnes isolées avaient souvent internet pour seul interlocuteur. Les informations multiples se chevauchaient jusqu’à parfois se contredire. De quoi dérouter celles et ceux qui attendaient de la science un dire vrai immuable.
Gaston Bachelard l’avait déjà souligné dans La Formation de l’esprit scientifique (Vrin, 1993) : à l’inverse des croyances, guidées par un instinct conservatif, la science préfère poser des questions que s’attacher à des certitudes : « L’homme animé par l’esprit scientifique désire sans doute savoir mais c’est aussitôt pour mieux interroger. »
Au populisme proprement politique s’adjoint là un populisme anti-scientifique.
Dans un article du Monde, la philosophe Myriam Revault d’Allonnes rappelle le désordre informationnel durant la crise sanitaire et le manque de pédagogie des communications gouvernementales et scientifiques. Et d’expliquer : « [La science] ne dit pas le vrai mais le cherche […]. L’état du savoir à un moment donné est toujours sujet à révision. » Sans pour autant que ces rectifications ne remettent en question la valeur de la science.
Une nuance instrumentalisée par les artisans du chaos comme Donald Trump, qui se complaît à propager un discours antiscience et coupe les financements des programmes de recherche. En 2020, il avait rétorqué à un responsable défendant le consensus scientifique sur le réchauffement climatique : « Je ne pense pas que la science le sache vraiment. »
Au populisme proprement politique s’adjoint là un populisme anti-scientifique. Comme si la vérité ne devait plus être l’apanage d’élites universitaires distinguant le vrai du faux, mais pouvait s’approprier au gré des individualités. De quoi questionner notre capacité à faire communauté, lorsque ce qui est mis à mal est précisément l’accord commun sur la valeur de la connaissance.
Les parutions de la semaine
Frustration, Les liens qui libèrent, 224 pages, 19 euros.
Ne vous laissez pas consterner par son titre : Frustration n’exhorte pas à se complaire dans la résignation. L’insatisfaction que le système capitaliste, colonial et patriarcal engendre se transforme, à travers le magazine en ligne, en un potentiel de résistance individuel et collectif. Cet élan s’exprime dans une édition papier annuelle à l’allure pop qui n’oublie pas d’ajouter une bonne dose d’humour à ses revendications : entre deux cris d’alarme, le lecteur peut, lui aussi, se livrer à un examen de conscience à travers le test « Quel chef toxique êtes-vous ? » ou découvrir son « frustrascope », qui promet de dévoiler ce que les astres et la conjoncture économique lui réservent.
Soyons woke. Plaidoyer pour les bons sentiments, Pierre Tevanian, Divergences, 130 pages, 14 euros.
Woke, wokons, wokez ! Si vous pensez vous aussi appartenir à ceux et celles qu’il convient d’appeler « les wokistes », de l’anglais « (r)éveillé », vous êtes désormais une cible. L’ennemi principal dans un monde décadent dont vous êtes responsable. L’auteur rappelle comment, pour de nombreux commentateurs et acteurs politiques, la gauche se serait ainsi abandonnée, voire aurait trahi ses idéaux, en s’appropriant ce concept mystérieux. Un concept suffisamment dangereux pour ses détracteurs et dépenser plusieurs dizaines de millions d’euros pour lui mener « une guerre culturelle et idéologique tous azimuts ». Et faisant de l’antiwokisme une porte d’entrée vertigineuse vers le lepénisme.
Perspectives terrestres. Scénario pour une émancipation écologiste , Alessandro Pignocchi, Seuil, Collection Écocène, 192 pages, 19,50 euros.
Où sont les « perspectives terrestres » dans ce monde englué dans la « modernité occidentale » ? Cette question obsède Alessandro Pignocchi, ancien chercheur en sciences cognitives. Dans cet essai très dense, il constate notamment le détachement des liens entre vivants humains et non humains, au profit de l’économie de marché. Mais il propose un scénario optimiste, à partir des luttes territoriales pour dépasser les clivages sociaux créés par le système. Ces réflexions philosophiques sont ponctuées de planches à l’aquarelle, au ton humoristique piquant et absurde. Ainsi, on croise un Emmanuel Macron repentant, prêt à échanger son corps et son âme avec une outarde, animal totem des antibassines, et qui va totalement bifurquer. Enthousiasmant !
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