Israël/Palestine : ne pas abandonner la perspective de deux États
Dans le numéro du 24 avril, Politis explorait la voie d’un État binational, considérant que l’actuel gouvernement de Benjamin Netanyahou rendait de moins en moins possible la pleine reconnaissance d’un État palestinien. Pierre Khalfa livre ici une autre réflexion, appelant à ne pas abandonner la perspective de deux États.

© KEMAL ASLAN / AFP
Sur Politis.fr, Denis Sieffert rappelle à juste titre que la perspective d’un État binational en Palestine fut défendue par de nombreux intellectuels juifs comme Martin Buber et Hannah Arendt, mais aussi par Gershom Scholem ou Albert Einstein. Plus même, un parti politique, Ihud (Unité), fondé sur cette base, obtient 44 % des voix en 1944 aux élections internes du Yichouv,la communauté juive en Palestine.
Cette perspective sera vite enterrée, et ce pour deux raisons : d’une part, les dirigeants arabes ont refusé toute solution de ce type qui, pour eux, légitimait la colonisation juive ; d’autre part, le mouvement sioniste l’a combattue férocement en s’appuyant sur la révélation de l’ampleur du génocide qui renforce alors l’idée d’un État où les juifs puissent vivre en sécurité.
Au vu du processus de colonisation qui s’amplifie jour après jour et qui menace l’existence politique du peuple palestinien, et dans le cas de Gaza son existence physique, la perspective d’un État binational est-elle devenue plus envisageable que la solution à deux États qui aurait été ruinée par la colonisation ? Disons-le tout net, dans les circonstances politiques actuelles et les rapports de force correspondants, les deux solutions semblent hors de portée. Ni l’une ni l’autre n’apparaissent réalistes. Ce n’est donc pas sur le critère de faisabilité qu’il faut évaluer la pertinence de ces deux perspectives.
Un État binational serait un État regroupant deux nationalités. L’une serait évidemment la nation palestinienne dont il faut espérer que son organisation respecterait la pluralité religieuse et politique existant en son sein. Mais quelle serait l’autre ? Serait-ce la « nation juive » ? Si tel est le cas, ce serait une nation fondée sur un critère ethnico-religieux comme l’est aujourd’hui l’État d’Israël. La création d’un État binational n’offrirait aucune garantie pour que ce dernier soit laïque. On ne voit pas pourquoi a priori un « système fédéral serait étranger à tout pouvoir théocratique ».
Comment penser que puissent cohabiter dans le même État des communautés qui se haïssent comme c’est le cas aujourd’hui ?
En fait, pour qu’un tel État soit laïque, il faudrait auparavant que l’État d’Israël cesse d’être « l’État nation du peuple juif », pour reprendre les termes de la loi de 2018, c’est-à-dire qu’il cesse d’être sioniste. La question du caractère de l’État revient d’ailleurs régulièrement au cœur des affrontements internes à Israël. Comme l’affirmait dès 2005 un des idéologues suprémacistes juifs Moti Karpel, « c’est sur l’axe Juifs-Israéliens que se profile le prochain combat. Ceux qui sont d’abord juifs font face à ceux qui sont d’abord israéliens. […] À la vision israélienne d’un État pour tous ses citoyens, avec tout ce que cela signifie, il faut opposer la vision d’une démocratie juive (1) ».
Moti Karpel cité par Louis Imbert, Le Monde, juillet 2023.
De plus, comment penser que puissent cohabiter dans le même État des communautés qui se haïssent comme c’est le cas aujourd’hui ? Un processus de paix peut se conclure entre des ennemis qui se détestent, mais une vie commune est difficile à envisager si la haine demeure. Or celle-ci mettra probablement du temps à s’effacer. Les Israéliens juifs sont traumatisés par le 7-Octobre et, avant même cette date, la violence coloniale envers les Palestiniens était monnaie courante, que ce soit à Gaza ou en Cisjordanie.
La société israélienne est gangrenée par le virus colonial qui déshumanise les Palestiniens comme le montre le génocide en cours à Gaza, même si l’existence de mouvements comme B’Tselem ou comme Women Wage Peace entretient l’espoir ténu d’un autre Israël. Les manifestations actuelles contre Netanyahou changeront-elles la donne ? L’exemple de l’Afrique du Sud montre certes que rien n’est impossible, mais nous en sommes loin aujourd’hui.
Le combat pour le droit international
Mais, surtout, abandonner la perspective de deux États, c’est renoncer à ce qui fait la légitimité du combat pour la reconnaissance des droits nationaux du peuple palestinien, l’application du droit international et des résolutions de l’ONU. Dans les conditions actuelles des rapports de force, le droit international est un des rares points d’appui du peuple palestinien. L’abandonner pour une perspective qui n’a aucune chance de se réaliser à court terme revient à faire un cadeau au gouvernement israélien et à ses amis.
C’est la bataille pour la reconnaissance internationale de l’État de Palestine qu’il faut mener.
Bien au contraire, c’est la bataille pour la reconnaissance internationale de l’État de Palestine qu’il faut mener pour isoler l’État d’Israël, en espérant ainsi faire basculer une partie de l’opinion publique israélienne et modifier les rapports de force. Avec l’espoir que la dynamique des évènements permette de bousculer une situation qui semble bloquée. L’Histoire produit des surprises et de l’inédit…
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