918 morts au travail en 2023 : record accablant, silence assourdissant
Avec, a minima, 918 morts suite à un accident de travail, 2023 fait figure d’année noire pour les travailleurs. Une exception ? Loin de là. Depuis plusieurs années, le nombre de morts au travail augmente inexorablement, dans la terrible indifférence des pouvoirs publics.

© ARNAUD FINISTRE / AFP
Stabilité, définition : « Caractère de ce qui tend à demeurer dans le même état ». Redoutable, définition : « Très grand, extrême ». Le Petit Robert, en revanche, ne définit pas l’expression « une redoutable stabilité ». Au vu des significations des deux mots précités, on pourrait, sans trop s’avancer, la définir comme quelque chose qui tend à demeurer exactement dans le même état.
Cette petite mise au point sémantique, difficilement contestable, permet d’interroger l’affirmation d’Olivier Dussopt, qui, lorsqu’il était ministre du Travail, avait assuré que le nombre de morts au travail en France connaissait une « redoutable stabilité ». Regardons alors les chiffres. 690 décès suite à un accident du travail en 2018. 861 en 2019. 903 en 2022 (les années 2020 et 2021 ne sont pas retenues du fait de la pandémie). 918 en 2023. Au vu de ceux-ci, deux possibilités demeurent : soit Olivier Dussopt est nul en maths. Soit il ment. On vous laissera vous faire votre avis.
Une chose, toutefois, est certaine. Le nombre de morts à la suite d’un accident du travail est en redoutable augmentation depuis quelques années. Et cela, même si les pouvoirs publics se sont longtemps cachés derrière un changement de méthodologie statistique, en 2019, prenant mieux en compte les malaises, sans pour autant que les conséquences de ce changement ne soient pleinement quantifiables. « J’ai discuté avec des statisticiens de la Cnam qui m’ont assuré que ce changement n’expliquait qu’en partie cette hausse », assurait l’an passé, à Politis, Matthieu Lépine, auteur de L’Hécatombe invisible, Enquête sur les morts au travail.
Aucune statistique publique
Mais même depuis ce changement, les chiffres continuent de grimper. 918 morts suite à un accident de travail en 2023. Jamais, au cours des dernières années, un tel chiffre avait été atteint. Et encore, il est très certainement minoré : en effet, si Politis a compilé les données du régime général, du régime agricole et du régime maritime, aucune statistique publique n’existe sur les accidents de travail au sein de la fonction publique. On peut toutefois aisément estimer que plus de 1 000 personnes sont mortes en travaillant en 2023.
Un record affolant mais qui semble ne pas indigner grand monde.
Un record affolant mais qui semble ne pas indigner grand monde. Lors de la publication des derniers chiffres de la Cnam, personne, ni les grands médias, ni les politiques – de gauche comme de droite – n’ont cru bon de traiter cette information. Et de s’interroger sur les raisons d’une telle hausse. La dégradation des conditions de travail, largement documentée depuis plusieurs années en France, ne peut être éludée lorsqu’on s’attaque au sujet des accidents de travail. Car les raisons structurelles ne manquent pas : sous-traitance accrue, recours important à l’intérim, manque de formation, de mise à disposition de matériel sécurisé, de procédure de sécurité fiable, cadence infernale, etc.
Les facteurs explicatifs sont nombreux et varient selon chaque cas. Pris séparément, ils empêchent justement de percevoir le caractère systémique du phénomène. Pourtant, ils pointent tous une potentielle responsabilité de l’employeur. Car, rappelons-le, un patron a l’obligation légale de garantir la sécurité de ses salariés. Mais cette responsabilité reste largement invisibilisée au sein de la société.
Dérégulation
Ce lundi 28 avril, comme chaque année, c’est la Journée internationale de la santé et de la sécurité des travailleurs et travailleuses. Peut-être, le débat politico-médiatique s’intéressera-t-il à ce sujet, quelques heures, quelques minutes. Puis celui-ci retombera dans les limbes, inévitablement. Car s’attaquer aux accidents de travail, c’est remettre en cause un système économique qui, depuis des décennies désormais, fait de la dérégulation du monde du travail une valeur cardinale.
Que pèse un millier de morts face à une idéologie politique ?
En 2024, 110 personnes sont mortes dans des violences liées au narcotrafic. Sans nier l’importance de résorber celles-ci, on peut tout de même s’interroger sur l’importance des moyens, tant politiques que médiatiques, mis sur ce sujet quand, concernant les morts au travail, la seule initiative politique de ces dernières années est un vague spot publicitaire. Et qu’en parallèle, le ministère du Travail – et l’inspection du travail en tête – voit ses moyens être réduits d’année en année. Que pèse, alors, un millier de morts face à une idéologie politique ?
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