« Œdipe roi », un roi qui tombe à pic
Éric Lacascade signe une mise en scène d’une grande épure du drame de Sophocle. La chute du souverain antique et la crise de la démocratie y résonnent avec force et évidence avec les temps présents.
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© Frédéric Iovino
Œdipe roi / Jusqu’au 7 mai à La Scala, Paris 10e.
C’est par une scène quotidienne sans paroles, une petite ronde réalisée en vitesse par Karelle Prugnaud et deux enfants, qu’Éric Lacascade entre dans Œdipe roi de Sophocle. Cette entrée en matière joueuse n’est anodine qu’en apparence. En nous présentant sa Jocaste, reine de Thèbes, dans sa sphère intime que la tragédie n’a pas encore atteinte, le metteur en scène affirme d’emblée son angle d’approche.
Il s’agit pour lui de révéler comment la pièce antique résonne avec nos sociétés actuelles, nos façons de vivre, sans en dénaturer ni la langue ni la construction. Le peuple qui forme un chœur cherchant à faire respecter les principes de la démocratie prend le relais non pas au sein de la belle et minimaliste scénographie en arc de cercle d’Emmanuel Clolus, mais en surgissant du public.
La justesse que l’on ressent tient en partie au processus de travail de Lacascade.
Ce procédé qui, dans d’autres cas, peut sembler artificiel est ici une manière simple et efficace d’approfondir la rencontre subtile de l’antique et du contemporain initiée par le bref tableau initial. La justesse que l’on ressent à être entouré des corps et des mots de ce peuple touché par la peste, et demandant à son roi de chercher l’origine de ce châtiment divin, tient certainement en partie au processus de travail de Lacascade.
Majesté du chœur
Selon sa méthode, qu’il n’a eu de cesse d’affiner en une trentaine d’années au contact de monuments du théâtre tels que Tchekhov, Gorki, Ibsen ou encore Genet, l’artiste a fait travailler tous les personnages par chaque membre de sa distribution. La majesté du chœur, sa manière très directe d’exposer ses volontés, vient sans doute en partie de ce que ses interprètes ont été rois. De même qu’on peut penser, à l’inverse, que la simplicité de la Jocaste tournoyante, et surtout d’un Œdipe passant sans transition de la tyrannie à la mendicité, vient de ce que ces puissants ont été de simples citoyens.
Si cet Œdipe roi nous parle, c’est qu’il est de tous les âges.
Très loin de créer de la confusion au plateau, ce partage des rôles au moment des répétitions débouche sur une grande clarté. La fine adaptation de la pièce par le metteur en scène est aussi pour beaucoup dans l’extrême limpidité de la trajectoire du héros, dont le tournant bien connu est sa découverte de lui-même en tant que meurtrier de son propre père et époux de sa mère.
D’une grande élégance et fluidité, le texte que portent d’un seul souffle des acteurs issus d’univers divers (Karelle Prugnaud et Otomo de Manuel sont, par exemple, proches de la performance, tandis que Christophe Grégoire en Œdipe et la plupart des autres acteurs ont un parcours plus classique) est le fruit d’une patiente composition à partir de la vingtaine de traductions existantes. Si cet Œdipe roi nous parle, c’est qu’il est de tous les âges.
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