« Le spatial de défense fait partie des fronts avancés du réarmement »

Député insoumis, Arnaud Saint-Martin est corapporteur du rapport intitulé « Les satellites : applications militaires et stratégies industrielles », présenté devant la commission de la Défense le 14 mai. Une question épineuse au sein des partis de gauche, qui peinent encore à s’imposer sur ces thématiques. Entretien.

François Rulier  • 14 mai 2025 abonné·es
« Le spatial de défense fait partie des fronts avancés du réarmement »
Un « amplificateur à klystron relativiste », une arme à énergie dirigée qui peut être utilisée pour détruire des satellites dans l’espace.
© VICTOR HABBICK VISIONS / SCIENCE P / VHB / Science Photo Library / AFP

Le sociologue voit dans le réarmement spatial une évolution industrielle et économique incontournable, mais aussi une nécessité stratégique. Il estime en effet nécessaire de s’armer pour peser dans les négociations multilatérales sur le désarmement et ainsi « mieux pacifier l’espace ».

De quoi la militarisation de l’espace est-elle le nom ?

Arnaud Saint-Martin : Le terme « militarisation » fait partie de ces mots-valises qu’on utilise pour caractériser une évolution qui serait en cours et récente. En réalité, nous avons affaire à une construction originelle de l’espace qui est d’emblée ­militarisée et qui par moments, par des jeux de concession, de collaboration ou d’enrôlement de la science ou de la technologie, peut devenir un lieu d’expérimentation pour d’autres communautés, en l’occurrence scientifiques. L’idée d’une intensification est elle aussi ancienne mais, aujourd’hui, elle gagne une sorte d’actualité. Et sans doute y a-t-il un basculement en train de s’opérer en termes d’intensité.

Quelle place occupent la France et l’Europe dans cette militarisation ?

La France s’autonomise en tant que force spatiale, avec le commandement de l’espace. On observe une velléité de compter en tant que force spatiale. Nous avons également auditionné, pour notre rapport, le commissaire à la Défense et à l’Espace de l’Union européenne, Andrius Kubilius, qui a témoigné d’une volonté d’organiser un « spatial de défense européen ». Ce projet n’est pas sans susciter des crispations puisque certains groupes politiques, dont le mien, refusent l’idée d’une Europe de la défense sous un chapeau communautaire.

« Toute l’emphase sur l’Europe de la défense, y compris dans la défense spatiale, reste une incantation. » (Photo : DR.)

La défense est une prérogative d’abord nationale. Ce qui existe aujourd’hui, ce sont des collaborations bilatérales ou éventuellement multilatérales, entre trois ou quatre acteurs, soit plutôt des collaborations intergouvernementales avec des États qui sont également actionnaires des entreprises militaires d’armement. D’ailleurs, les militaires veulent du 100 % national, sur lequel ils ont une prise directe, et des prestataires de services privés qui font ce qu’on leur dit. Toute l’emphase sur l’Europe de la défense, y compris dans la défense spatiale, reste une incantation quand on regarde les besoins capacitaires et ce qu’en disent les forces armées.

Est-il possible de lutter contre la militarisation de l’espace ?

En qualité de sociologue, je dirais que les acteurs ressentent le besoin d’évoluer dans le sens d’une militarisation et qu’il existe des effets d’entraînement industriels et économiques. Par exemple, à Bourges, l’industrie spatiale recrute à tour de bras des ouvriers qualifiés et pas seulement des ingénieurs. Les carnets de commandes sont pleins pour dix ans. J’en discute souvent avec les camarades qui sont vent debout contre l’armement et qui s’interrogent sur les exportations vers certains États.

Sur le même sujet : Dossier : Défense, allô l’Europe ?

Cependant, ces commandes sont mirifiques et sécurisent des milliers d’emplois. Du point de vue politique, on est clairement dans une zone grise. Qui plus est, quand on entend les discours politiques, l’argent n’est pas un problème : toutes les contraintes budgétaires sont déverrouillées. Le spatial de défense fait partie des fronts avancés du réarmement. Je ne vois pas ce qui pourrait pour l’instant empêcher une telle intensification.

Que peut la politique ?

Pour être crédible dans la négociation pacifiste, il faut disposer d’armes.

À La France insoumise, nous portons un agenda de démilitarisation. Mais, pour cela, il faut disposer de capacités militaires. La formule que j’utilise souvent, c’est qu’« il faut s’armer pour désarmer ». Autrement, on ne peut pas peser dans les négociations multilatérales sur le désarmement. Cela s’est vu historiquement : qui était autour de la table au moment des traités Salt dans les années 1970-1980 ? Ceux qui étaient armés, ceux qui avaient des missiles. Je suis le premier à le regretter mais, pour être crédible dans la négociation pacifiste, il faut disposer d’armes. C’est difficile à tenir, parce que ce sont des budgets qui ne vont pas à d’autres services publics. Mais ce n’est pas une ambivalence : c’est une stratégie avec une antériorité idéologique, bien qu’elle soit politiquement difficile à articuler, y compris en commission de la Défense.

Sur le même sujet : Europe de la défense : qu’en dit la gauche ?

Comment les partenaires de gauche réagissent-ils à cette position ?

En réalité, c’est largement une question de formation. Certes, il y a des dimensions idéologiques : on peut être radicalement pacifiste, ce que je peux comprendre. Néanmoins, à La France insoumise, nous avons un programme sur les questions de défense depuis toujours. D’ailleurs, nous avons été pionniers sur la dissuasion spatiale. Je pense que, dans nos partis, il y a un défaut d’éducation populaire, d’instruction, d’acculturation à ces questions, et je trouve qu’on n’en fait pas assez. On l’a proposé d’ailleurs aux AMFI 2024 [l’école d’été insoumise, N.D.L.R.] : il y avait beaucoup de monde et tout le monde était super intéressé.

Quelle est la place du spatial de défense à l’Assemblée nationale ?

Ce n’est pas un mystère que, lors des auditions « air et espace », on n’est pas beaucoup à prendre la parole. Néanmoins, je termine tout juste une mission flash d’information avec ma corapporteure, Corinne Vignon, députée macroniste de la 3e circonscription de Haute-Garonne, dans le cadre de la commission de la Défense nationale et des Forces armées. En principe, une mission flash organise 20 à 25 auditions, reçoit 20 à 30 personnes et dure trois mois, alors qu’une mission d’information parlementaire, c’est plutôt six mois, mais on a réussi à obtenir une extension d’un mois et demi et on a auditionné 75 personnes !

Sur le même sujet : Le nouvel âge spatial : une frénésie de conquête

On s’est largement déplacés et on a visité beaucoup d’entreprises. Le rapport, intitulé « Les satellites, applications militaires et stratégies industrielles », fait 80 pages et a été présenté en commission Défense le 14 mai. On y formule une cinquantaine de recommandations, dont une dizaine sur lesquelles on a divergé. La position que je déploie, c’est celle de la planification des capacités, parce qu’on doit disposer de moyens de contrôle et d’anticipation des armées du futur.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Société
Publié dans le dossier
Bataille spatiale, bataille spéciale
Temps de lecture : 6 minutes

Pour aller plus loin…

Procès AFO : quand la « peur de la guerre civile » justifie les projets d’actions racistes
Terrorisme 28 juin 2025

Procès AFO : quand la « peur de la guerre civile » justifie les projets d’actions racistes

De l’instruction à la barre, les 16 prévenus ont constamment invoqué la crainte de la guerre civile qui les a poussés à rejoindre le groupe. Ils ont brandi cette obsession, propre à l’extrême droite, pour justifier les projets d’actions violentes contre les musulmans.
Par Pauline Migevant
Accélérationnisme : comment l’extrême droite engage une course à la guerre raciale
Idées 28 juin 2025 abonné·es

Accélérationnisme : comment l’extrême droite engage une course à la guerre raciale

L’idéologie accélérationniste s’impose comme moteur d’un terrorisme d’ultradroite radicalisé. Portée par une vision apocalyptique et raciale du monde, elle prône l’effondrement du système pour imposer une société blanche.
Par Juliette Heinzlef
« Notre école est le dernier service public du village »
École 26 juin 2025

« Notre école est le dernier service public du village »

Depuis vingt ans, 7 000 écoles publiques ont été fermées. Celle du Chautay, dans le Cher, pourrait également disparaître. Cette école est l’une des dernières classes uniques de ce département rural. Des parents d’élèves, dont Isabelle, ont décidé de lutter pour éviter cette fermeture.
En CRA, sans traitement contre le VIH, Joes est menacé d’expulsion
Asile 26 juin 2025 abonné·es

En CRA, sans traitement contre le VIH, Joes est menacé d’expulsion

Depuis deux mois, l’homme de 23 ans est retenu au CRA de Cornebarrieu (Haute-Garonne), où il n’a pas reçu son traitement contre le VIH. Les associations demandent une réévaluation de son dossier. Politis a pu le joindre.
Par Élise Leclercq