« Le spatial de défense fait partie des fronts avancés du réarmement »
Député insoumis, Arnaud Saint-Martin est corapporteur du rapport intitulé « Les satellites : applications militaires et stratégies industrielles », présenté devant la commission de la Défense le 14 mai. Une question épineuse au sein des partis de gauche, qui peinent encore à s’imposer sur ces thématiques. Entretien.
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Menaces spatiales : la France est-elle prête ? Bataille spatiale, bataille spécialeLe sociologue voit dans le réarmement spatial une évolution industrielle et économique incontournable, mais aussi une nécessité stratégique. Il estime en effet nécessaire de s’armer pour peser dans les négociations multilatérales sur le désarmement et ainsi « mieux pacifier l’espace ».
De quoi la militarisation de l’espace est-elle le nom ?
Arnaud Saint-Martin : Le terme « militarisation » fait partie de ces mots-valises qu’on utilise pour caractériser une évolution qui serait en cours et récente. En réalité, nous avons affaire à une construction originelle de l’espace qui est d’emblée militarisée et qui par moments, par des jeux de concession, de collaboration ou d’enrôlement de la science ou de la technologie, peut devenir un lieu d’expérimentation pour d’autres communautés, en l’occurrence scientifiques. L’idée d’une intensification est elle aussi ancienne mais, aujourd’hui, elle gagne une sorte d’actualité. Et sans doute y a-t-il un basculement en train de s’opérer en termes d’intensité.
Quelle place occupent la France et l’Europe dans cette militarisation ?
La France s’autonomise en tant que force spatiale, avec le commandement de l’espace. On observe une velléité de compter en tant que force spatiale. Nous avons également auditionné, pour notre rapport, le commissaire à la Défense et à l’Espace de l’Union européenne, Andrius Kubilius, qui a témoigné d’une volonté d’organiser un « spatial de défense européen ». Ce projet n’est pas sans susciter des crispations puisque certains groupes politiques, dont le mien, refusent l’idée d’une Europe de la défense sous un chapeau communautaire.
La défense est une prérogative d’abord nationale. Ce qui existe aujourd’hui, ce sont des collaborations bilatérales ou éventuellement multilatérales, entre trois ou quatre acteurs, soit plutôt des collaborations intergouvernementales avec des États qui sont également actionnaires des entreprises militaires d’armement. D’ailleurs, les militaires veulent du 100 % national, sur lequel ils ont une prise directe, et des prestataires de services privés qui font ce qu’on leur dit. Toute l’emphase sur l’Europe de la défense, y compris dans la défense spatiale, reste une incantation quand on regarde les besoins capacitaires et ce qu’en disent les forces armées.
Est-il possible de lutter contre la militarisation de l’espace ?
En qualité de sociologue, je dirais que les acteurs ressentent le besoin d’évoluer dans le sens d’une militarisation et qu’il existe des effets d’entraînement industriels et économiques. Par exemple, à Bourges, l’industrie spatiale recrute à tour de bras des ouvriers qualifiés et pas seulement des ingénieurs. Les carnets de commandes sont pleins pour dix ans. J’en discute souvent avec les camarades qui sont vent debout contre l’armement et qui s’interrogent sur les exportations vers certains États.
Cependant, ces commandes sont mirifiques et sécurisent des milliers d’emplois. Du point de vue politique, on est clairement dans une zone grise. Qui plus est, quand on entend les discours politiques, l’argent n’est pas un problème : toutes les contraintes budgétaires sont déverrouillées. Le spatial de défense fait partie des fronts avancés du réarmement. Je ne vois pas ce qui pourrait pour l’instant empêcher une telle intensification.
Que peut la politique ?
Pour être crédible dans la négociation pacifiste, il faut disposer d’armes.
À La France insoumise, nous portons un agenda de démilitarisation. Mais, pour cela, il faut disposer de capacités militaires. La formule que j’utilise souvent, c’est qu’« il faut s’armer pour désarmer ». Autrement, on ne peut pas peser dans les négociations multilatérales sur le désarmement. Cela s’est vu historiquement : qui était autour de la table au moment des traités Salt dans les années 1970-1980 ? Ceux qui étaient armés, ceux qui avaient des missiles. Je suis le premier à le regretter mais, pour être crédible dans la négociation pacifiste, il faut disposer d’armes. C’est difficile à tenir, parce que ce sont des budgets qui ne vont pas à d’autres services publics. Mais ce n’est pas une ambivalence : c’est une stratégie avec une antériorité idéologique, bien qu’elle soit politiquement difficile à articuler, y compris en commission de la Défense.
Comment les partenaires de gauche réagissent-ils à cette position ?
En réalité, c’est largement une question de formation. Certes, il y a des dimensions idéologiques : on peut être radicalement pacifiste, ce que je peux comprendre. Néanmoins, à La France insoumise, nous avons un programme sur les questions de défense depuis toujours. D’ailleurs, nous avons été pionniers sur la dissuasion spatiale. Je pense que, dans nos partis, il y a un défaut d’éducation populaire, d’instruction, d’acculturation à ces questions, et je trouve qu’on n’en fait pas assez. On l’a proposé d’ailleurs aux AMFI 2024 [l’école d’été insoumise, N.D.L.R.] : il y avait beaucoup de monde et tout le monde était super intéressé.
Quelle est la place du spatial de défense à l’Assemblée nationale ?
Ce n’est pas un mystère que, lors des auditions « air et espace », on n’est pas beaucoup à prendre la parole. Néanmoins, je termine tout juste une mission flash d’information avec ma corapporteure, Corinne Vignon, députée macroniste de la 3e circonscription de Haute-Garonne, dans le cadre de la commission de la Défense nationale et des Forces armées. En principe, une mission flash organise 20 à 25 auditions, reçoit 20 à 30 personnes et dure trois mois, alors qu’une mission d’information parlementaire, c’est plutôt six mois, mais on a réussi à obtenir une extension d’un mois et demi et on a auditionné 75 personnes !
On s’est largement déplacés et on a visité beaucoup d’entreprises. Le rapport, intitulé « Les satellites, applications militaires et stratégies industrielles », fait 80 pages et a été présenté en commission Défense le 14 mai. On y formule une cinquantaine de recommandations, dont une dizaine sur lesquelles on a divergé. La position que je déploie, c’est celle de la planification des capacités, parce qu’on doit disposer de moyens de contrôle et d’anticipation des armées du futur.
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